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Partie 1- De la mise en œuvre à la remise en question d’une stratégie

A- Des trajectoires distinctes : le choix de la route migratoire

européenne. La route empruntée par les individus dépend de plusieurs facteurs : d’abord de leur lieu de départ, mais aussi de leur capital économique, social et des informations qu’ils ont réussi à collecter. Ainsi, la quantité de ressources qu’ils ont en leur possession délimite leur espace du possible.

Les principales migratoires sont la route Méditerranéenne centrale, de la Libye à l’Italie, la route Méditerranéenne orientale, de la Turquie à la Grèce, la route des Balkans occidentaux, de la Turquie à la Bulgarie, la route Albanie – Grèce et la route Méditerranéenne occidentale, du Maroc à l’Espagne. Une autre possibilité pour se rendre en Europe est de prendre l’avion, néanmoins, cela nécessite un visa souvent très difficile à se procurer. Les individus doivent donc se procurer de faux documents de voyages. Ces routes apparaissent plus ou moins dangereuses selon qu’elles nécessitent ou non la traversée de la mer Méditerranée mais également selon les périodes, le nombre de migrants qui tentent de venir en Europe et le renforcement ou non des contrôles aux frontières. Ainsi, il s’agit pour les individus de faire un choix, bien que toujours contraint, de la route à emprunter pour se rendre en Europe. Sur les cinq personnes interrogées, trois ont emprunté la route des Balkans, pour ensuite aller en Bulgarie, en Serbie, en Hongrie, en Autriche, en Allemagne ou en Italie et en France. Ils se sont rendus en Turquie depuis l’Iran pour l’un et depuis le Pakistan puis l’Iran pour le deuxième, le troisième a pris l’avion depuis Kaboul avec des document de voyage légaux. Un quatrième enquêté est parti du Soudan pour aller en Tunisie en avion avec un visa de touriste en règle avant de rejoindre la Libye pour ensuite prendre un bateau et aller en Italie, puis en France. Enfin, la dernière personne s’est rendue en Turquie et a pris un avion pour Paris avec de faux documents de voyage80.

80 Annexe 2 : carte reprenant schématiquement le parcours des personnes interrogées de leur pays d’origine à Calais.

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Ainsi, tous les individus ont un même but : rejoindre l’Union européenne dans un premier temps quel que soit le pays de destination souhaité. Il existe différents moyens pour parvenir à ce même résultat, moyens plus ou moins longs, plus ou moins dangereux et plus ou moins coûteux. Il s’agit donc pour les individus de faire des choix, des choix contraints notamment par la structure des opportunités et des contraintes mais qui comportent tout de même une part de liberté81, les migrants étant des acteurs et non agents. Le fait de devoir faire des choix et d’être maître de ses choix au cours du parcours migratoire a été mis en avant lors de notre entretien avec Noor :

« J’habite cinq nuits, cinq jours dans la Turquie avec les amis de mon papa. Après je rencontre des gens, si tu me donnes de l’argent, c’est possible que je parte avec toi dans… tu choisis, il y a deux routes : une dans la mer pour la Grèce, j’ai dit c’est pas possible trop dangereux, il m’a dit c’est une autre route, c’est dans la Bulgarie, il est parti avec moi dans la jungle Bulgarie, je lui ai donné l’argent pour lui, après je pars avec lui. (…) J’ai pas accepté beaucoup les routes dangereuses, parce que à cause de ça j’ai donné argent beaucoup.82 »

Ainsi, il apparaît que les migrants sont amenés à opérer de véritables choix pendant leur parcours migratoire, choix qui dépendent des différentes ressources qu’ils ont en leur possession notamment le capital économique dont ils disposent, mais aussi le capital social, les informations qu’ils arrivent à recueillir. Ainsi, la mobilisation des ressources apparait centrale pour la réussite du parcours migratoire. De plus, cet extrait d’entretien nous permet de constater que si les migrants prennent des risques, ils ne les prennent pas sans considération et ne sont pas prêts à tout pour venir en Europe. Leurs choix apparaissent de ce fait en partie rationnels bien que la rationalité soit toujours limitée. Nos entretiens ont permis de mettre en avant la conscience du risque pris par les individus comme Abdo nous l’a confié lors de notre entretien au sujet de l’appel qu’il a passé à ses parents avant de prendre le bateau en Libye pour aller en Italie :

« J’ai dit “Ma mère, toutes les garçons dans le monde un jour ils meurent”. (…) J’ai fait ça parce que je veux changer ma vie, je veux changer opportunités dans ma vie. Je veux aider ma vie, je veux aider toi, mon père, mon frère. (…) La mort c’est réalité. Je sais c’est

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Triest Frédéric, Rea Andrea et Martiniello Marco, « La problématique théorique : le concept de "carrière migratoire", chap. in Nouvelles migrations et nouveaux migrants en Belgique, op. cit.. p. 19.

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très dangereux mais je ne sais je suis mort ici ou demain ou l’année prochaine. Mais je suis vivant. (…) Je ne vais pas retourner, c’est mon choix, quand je meurs prie pour moi, je t’aime, je t’aime83 ».

Nous constatons bien avec cet extrait d’entretien que la personne avait conscience des risques qu’elle prenait, du risque de, peut-être ne pas arriver vivant. Néanmoins, il a eu le temps de bien réfléchir à son projet, et c’est après avoir pesé le pour et le contre, les coûts et les bénéfices qu’il a pris la décision de rejoindre l’Union européenne par une traversée de la mer Méditerranée. Malgré cela, il nous a confié à propos de sa traversée : « c’est quelque chose… If told me do it again, NEVER, je ne le referais jamais, jamais, jamais84 ». Ainsi, malgré une préparation au départ et un choix réfléchi et assumé, nous voyons que personne ne peut être véritablement prêt à ces difficultés.

Nous avons mis en évidence le fait qu’il existe différents moyens de se rendre au sein de l’Union européenne et plus précisément en France, cependant toutes ces routes apparaissent bien incertaines.

B- Des carrières migratoires incertaines : entre passeurs et