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D. Le cadre théorique

4. Traitement des troubles liés à une substance

Le point 4 présente les différents moyens de traiter la consommation abusive de substances psychoactives.

4.1 Les traitements biologiques

Ces traitements ont été développés surtout dans le but d’altérer les effets psychoactifs des substances qui ont occasionné la dépendance. Le médicament peut par exemple couper l’effet agréable lié à la consommation d’un produit donné, alors que d’autres molécules possèdent certaines des propriétés positives du produit dangereux (par exemple réduire l’anxiété), mais pas celle de générer une dépendance.

71 KÜBLER, D. (2000). Politique de la drogue dans les villes suisses entre ordre et santé. Paris : L’Harmattan.

72 COMMISSION FÉDÉRALE POUR LES QUESTIONS LIÉES AUX DROGUES.(2012). La politique drogue en tant que politique de société. Genève : Seismo.

73 Office fédéral de la santé publique (2010). Défi addictions : fondements d’une approche durable de la politique des addictions en Suisse. Berne : Groupe de pilotage.

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4.1.1 Substitution agoniste

La substitution agoniste propose aux patients une drogue sûre, possédant la même structure chimique que la drogue dangereuse. La méthadone est un exemple bien connu et fréquemment employé dans le cas de substitution à l’héroïne. La méthadone est un narcotique synthétique, développé en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale parce que trop peu de morphine était disponible pour traiter les blessés. Son nom original était l’Adolphine , d’après le nom d’Adolphe Hitler (Bellis, 1981). Les recherches semblent démontrer que les héroïnomanes sous méthadone et suivant une psychothérapie réduisent tant leur consommation que leurs activités criminelles (Ball & Ross, 1991). Ceci étant, au-delà des bénéfices de ce traitement, certains individus sous méthadone peuvent devenir dépendants toute leur vie. En ce qui concerne le canton du Valais, le tableau ci-dessous, proposé par le service de la santé publique, représente les statistiques méthadone sur 10 ans, soit de 1994 à 201474.

4.1.2 Traitements antagonistes

Les médicaments antagonistes stoppent les effets recherchés par la consommation de substances psychoactives. Par exemple, le naltrexone est parfois administré à des personnes dépendantes aux opiacées. Celui-ci, en plus de couper les effets euphorisants de l’héroïne, provoque immédiatement des symptômes de sevrage très pénibles. Aussi, il est préférable que le patient soit préalablement sevré. Enfin, ces traitements présentent une réussite limitée et ne peuvent être considérés comme une thérapie en soi. Ils ne sont donc, au final, qu’un additif utile à d’autres efforts thérapeutiques.

4.1.3 Autres traitements biologiques

En cas de sevrage pénible à l’alcool ou aux drogues, les médecins prescrivent régulièrement, soit des hypotenseurs, soit des sédatifs, tels que les benzodiazépines. De mon point de vue, administrer ce type de molécules à une personne toxicodépendantes, doit se faire sous un contrôle strict et de courte durée, étant donné le grand pouvoir addictogène75 des benzodiazépines.

En lien avec une addiction à la cocaïne, il arrive que du désipramine soit prescrit. C’est un antidépresseur. Une étude (Gawin, 1989) a révélé que 41 % de ceux qui ont bénéficié de ce traitement

74 Canton du Valais (2015). Service de la santé publique : MEDROTOX.

75 C'est la capacité d'induire une pharmacodépendance.

10 31 49 45 59 77 0 50 100 150 200 250 1 9 9 4 1 9 9 5 1 9 9 6 1 9 9 7 1 9 9 8 1 9 9 9 2 0 0 0 2 0 0 1 2 0 0 2 2 0 0 3 2 0 0 4 2 0 0 5 2 0 0 6 2 0 0 7 2 0 0 8 2 0 0 9 2 0 1 0 2 0 1 1 2 0 1 2 2 0 1 3 2 0 1 4 45-+ ans 40-44 ans 35-39 ans 30-34 ans 25-29 ans 20-24 ans - de 20 ans

Le tableau met clairement en évidence la tendance au vieillissement. En effet, un seul patient de plus de 45 ans est sous méthadone en 94, 15 en 2004 et 77 en 2014 !

30 ont été incapables de demeurer abstinents plus de 1 mois76. L’efficacité de ce traitement peut donc être remise en cause…

4.2 Les traitements psychosociaux

Les traitements biologiques sont efficaces. N’en demeure pas moins qu’ils doivent s’associer à un soutien social ou à une intervention thérapeutique pour fonctionner. Une pléthore de modèles existe.

4.2.1 Les structures résidentielles

Le principe des structures résidentielles est de permettre aux pensionnaires de surmonter la période initiale du sevrage, pour ensuite proposer des outils et un soutien thérapeutique permettant de retourner, mieux armés, dans la communauté (Morgan, 1981). Dans les années nonante s’est posée la question de l’efficacité des structures résidentielles par rapport à un suivi ambulatoire, en raison de la différence de coût conséquente entre les deux modèles. La recherche, effectuée alors aux États-Unis, prétend qu’il n’y aurait pas de différences entre les programmes intensifs résidentiels et des programmes ambulatoires de qualité. Je dois admettre que je suis sceptique face à cette étude. De mon point de vue, en cas de graves troubles liés à une substance, les prises en charge ambulatoires atteignent rapidement leurs limites tandis qu’un suivi résidentiel offre davantage de moyens à la personne dépendante.

4.2.2 Les alcooliques anonymes et leurs variations

Ce modèle est actuellement le plus populaire pour le traitement de l’abus de substances. Il a été établi en 1935, par deux médecins, eux-mêmes alors alcooliques. La fondation des AA repose sur la thèse selon laquelle les alcooliques doivent reconnaitre leur dépendance, ainsi que son pouvoir destructeur. Cette dépendance est plus forte que la volonté individuelle. Dès lors, il est nécessaire de s’appuyer sur d’autres afin de surmonter ses propres faiblesses. Cette association est indépendante de la communauté médicale. Enfin, le support social lié aux rencontres de groupe est un élément important du programme. Celui-ci est constitué de 12 étapes, qui se fondent passablement sur la prière et la croyance en Dieu. Il est à noter l’importance des AA. En effet, en 1999, sont recensés plus de 97 000 groupes, dans 100 pays dans le monde (Emrick, 1999). Ce programme initial fait des émules puisqu’il existe aussi des groupes tels que les Narcotic Anonymes, les Cocaïnomanes Anonymes ou encore les

Workaholics Anonymous77.

Ces traitements sont clairement efficaces et appropriés pour une certaine catégorie de personnes, mais évidemment d’autres approches sont nécessaires pour les personnes qui réagissent mal au programme des AA.

4.2.3 Usage contrôlé

Les modèles du point précédant proposent une abstinence totale. Néanmoins, certains chercheurs contestent ce principe et sont persuadés que des personnes dépendantes sont capables de devenir des consommateurs occasionnels, ou du moins baisser et stabiliser un seuil moindre de consommation. Cette théorie fait l’objet de nombreuses controverses. Quelques pays la valident et l’emploient, comme la Grande-Bretagne, alors que d’autres la réfutent, par exemple les États-Unis… Par ailleurs, des chercheurs concluent au terme d’une étude, en 1993, que la consommation contrôlée

76 RODUIT, J.-M. (2014). Module G7, troubles liés à une substance. Sierre : HES-SO//Valais. Non publié.

31 n’est ni plus ni moins efficace que l’abstinence et qu’aucune de ces deux approches ne réussit à long terme pour 70 % à 80 % des patients78.

4.2.4 Innovations dans les prises en charge des toxicomanes vieillissants

En Suisse, le reportage de l’émission «mise au point» du 1 mars 2015, intitulé «papys junkies» permet notamment de découvrir le quotidien d’une personne toxicodépendante âgée de 70 ans. Cet usager est au bénéfice du programme PEPS79 à Genève. C’est-à-dire qu’il s’administre de l’héroïne matin et soir, payée par son assurance maladie. Cette prise en charge lui permet de retrouver de la dignité et lui évite de devoir courir après ses doses dans la rue. De fait, il peut consacrer du temps à ses petits-enfants, à l’entretien de son logement et à ses courses. Il est très reconnaissant d’être encore en si bon état de santé grâce au programme. Selon lui, la toxicomanie est une maladie et au même titre qu’un diabétique a de l’insuline, le toxicomane doit pouvoir recevoir de l’héroïne.

C’est donc un fait, les toxicomanes vieillissent et ce phénomène implique de nouveaux enjeux au niveau politique, social et médical. Le débat a déjà commencé. Les EMS pourraient être une solution s’ils étaient adaptés à ce nouveau type de bénéficiaires. À ce sujet, un EMS, situé à Spiez, dans l’Oberland bernois, ouvre une voie.

En effet, l’institution accueille une vingtaine de toxicomanes parmi les 180 bénéficiaires, dans une tentative de mixité sociale. Les usagers ont en entre 40 et 70 ans. Néanmoins, la vie dans la rue et les consommations répétées de drogues ont accéléré le processus de vieillissement, si bien que dans leur corps, ils ont plutôt 90 ans. Il est à noter que c’est une expérience pionnière en Suisse qui a débuté il y a une dizaine d’années. Le directeur explique que les toxicomanes sont acceptés parmi les résidents, et qu’au même titre que n’importe quelle personne âgée, les toxicomanes vieillissants ont besoin et droit à des soins.

Les Pays-Bas vont encore plus loin. Effectivement, à La Haye, les toxicomanes disposent de leur propre maison de retraite, baptisée «Woodstock». C’est unique au monde. Trois critères d’admission sont exigés: avoir 45 ans, être sans domicile fixe et avoir échoué dans les cures de désintoxication. Les résidents ont la possibilité de travailler dans le centre et perçoivent un salaire avec lequel ils achètent de la drogue. Ils peuvent consommer en toute liberté dans la structure. L’approche se veut pragmatique et non morale. Le but étant de réduire les risques et non pas de changer les gens80.

4.2.5 Les neurosciences

Les années à venir verront peut-être d’autres formes de soins pour les personnes présentant une addiction pathologique.

En effet, il est intéressant de mentionner dans ce travail de recherche que des souris rendues dépendantes à la cocaïne ont été soignées grâce à une stimulation cérébrale profonde réalisée en association avec l’administration d’un médicament bloquant l’action de la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans le système de récompense. Les drogues modifient les circuits de transmission au niveau des synapses, déréglant le fonctionnement du cerveau et induisant un

78 RODUIT, J.-M. (2014). Module G7, troubles liés à une substance. Sierre : HES-SO//Valais.

79 Programme Expérimentée de Prescription de Stupéfiants.

80 ROULET, F. (2015). Papys junkies. Mise au point. RTS. Issu du site :

http://www.rts.ch/emissions/mise-au-point/6476230-les-mini-maisons-papys-junkies-requerants-a-chevrilles.html

32 comportement pathologique. L’équipe de Cristian Lüsher, professeur au Département de neurosciences fondamentales, a démontré en 2014 qu’il est possible de corriger cette modification synaptique. La manipulation a permis de rétablir une communication normale entre les cellules nerveuses des rongeurs, dont le comportement est redevenu ordinaire.

La suite des recherches consistera à vérifier si les effets observés chez les souris peuvent être similaires chez les primates et chez l’être humain81.