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3. Analyse de trois traductions françaises du conte Aschenputtel des frères

3.2. Analyse comparative des traductions

3.2.1. Analyse de la traduction des passages clés et des symboles

3.2.1.2. Traduction de Taube

Dans ce deuxième sous-chapitre, nous nous intéressons à la traduction du terme

« Taube », qui a été traduit de manière différente chez nos trois traducteurs. Nous avons observé que ce terme a parfois été traduit par « pigeon » et parfois par « colombe ».

Nous estimons important d’analyser la traduction de ce terme, car les oiseaux sont importants pour l’histoire : ce sont eux qui viennent en aide à l’héroïne, une première fois en l’aidant à trier les lentilles et une deuxième fois en dénonçant au prince la supercherie des belles-sœurs. Ils correspondent à l’élément magique du conte (l’animal qui parle et vient en aide au héros) (voir chap. 2.2.1.2.).

En premier lieu, le terme allemand « Taube » est défini par le Duden Online comme suit : « mittelgroßer Vogel mit gedrungenem Körper, kleinem Kopf, kurzem, leicht gekrümmtem Schnabel und niedrigen Beinen (der auch gezüchtet und als Haustier gehalten wird) » (Duden Online 2015). Le Dictionnaire allemand des frères Grimm va plus loin dans la définition : « biblisch, die Taube Noahs » (Grimm 1984). Le terme allemand « Taube » aurait donc deux équivalents français : pigeon et colombe. Le terme français « pigeon » désigne quant à lui un « [o]iseau (famille des Columbidés, genre Columba) au bec grêle, aux ailes courtes, aux pattes à quatre doigts, au plumage de couleurs variables selon les espèces » (Grand Robert 2015). Cette définition n’est pas sans rappeler la définition allemande du terme « Taube ». La colombe, quant à elle, est définie comme un « [p]igeon, considéré comme le symbole de la douceur, de la tendresse, de la pureté, de la paix » (Grand Robert 2015), ce terme étant également qualifié de « littéraire ». Il désigne également un « pigeon, spécialement pigeon blanc » (Trésor de la Langue française informatisé 2015). La relation entre un pigeon et une colombe est donc de l’ordre de l’hyperonymie : le pigeon est l’hyperonyme de la colombe, c’est-à-dire que la colombe est une sorte de pigeon.

En outre, la différence entre l’emploi de « pigeon » ou de « colombe » pour traduire le terme « Taube » réside principalement dans la symbolique liée à la colombe et dans l’image du pigeon. En effet, comme le montre la définition du Grand Robert (2015), la colombe, blanche, est le symbole de la douceur, de la pureté, de l’amour ou encore de la paix. Après le déluge, c’est une colombe que Noé envoie sur terre et qui revient avec un rameau d’olivier dans le bec, signe que le déluge est terminé et symbole d’espoir. Le pigeon de son côté ne jouit pas d’une aussi belle réputation. Grisâtre et triste, il n’est pas aussi beau et ne rappelle pas des choses aussi pures que le fait la colombe. Par ailleurs, le texte-source parle presque systématiquement de « Täubchen » (le terme « Taube » n’apparaît qu’à la fin). Le terme « Täubchen » renvoie en allemand, surtout lorsque il fait référence à un couple (« zwei Täubchen »), à l’image du couple amoureux (l’équivalent de nos « tourtereaux » français, pourrions-nous dire). Le terme employé dans le texte-source est donc empreint de la symbolique de l’amour.

Grimm Marthe Robert Pierre Durand Natacha Rimasson-Fertin

Dans nos traductions, les traducteurs ont tous les trois traduit le terme « Taube » différemment. Marthe Robert l’a traduit parfois par « pigeon », parfois par « colombe ».

Nous observons cependant une certaine cohérence au sein de sa démarche : le terme

« colombe » est l’équivalent de « weiße Täubchen », qui, selon la définition du Trésor de la Langue française, correspond à une colombe. À la page 143, l’original parle de

« Täubchen », mais fait en fait référence aux mêmes oiseaux qu’à la page 144 (« zwei weißen Täubchen ») que Marthe Robert a traduit par « petites colombes » (p. 104-5-6, dans la traduction de Marthe Robert).

Pierre Durand a lui aussi mélangé les deux termes, « pigeon » et « colombe ».

Nous n’avons cependant pas observé de schéma particulier, il utilise indifféremment les deux termes. Il semble avoir privilégié l’emploi de « pigeon », mais fait référence à deux reprises à des colombes, et ce n’est pas pour décrire des pigeons blancs (« weiße Täubchen »). Pourquoi a-t-il décidé d’alterner, est-ce pour éviter les répétitions ? Est-ce une stratégie volontaire ? Nous ne pouvons malheureusement que spéculer.

Natacha Rimasson-Fertin, quant à elle, a fait preuve d’une grande systématicité et n’a employé que le terme « colombe ». Cette pratique reflète son désir de « rest[er] la plus fidèle possible au texte original » (Rimasson-Fertin 2009a : 9).

En conclusion, si le terme allemand « Taube » peut effectivement correspondre à la fois aux termes français « pigeon » et « colombe », la réalité à laquelle les deux termes renvoient est différente. La colombe, symbole de pureté, d’espoir et d’amour, renvoie une image plus étincelante que le pigeon. Ces oiseaux sont les sauveurs de Cendrillon, ils sont pour elle le symbole de l’espoir. Par ailleurs, la colombe, symbole de l’amour, renvoie l’image des amoureux exprimée par les termes allemands « zwei Täubchen ». En ce sens, la colombe est plus représentative que le pigeon. Cependant, à la fin du conte, les oiseaux crèvent les yeux des deux belles-sœurs. Une colombe, symbole de la paix et de la pureté, oserait-elle commettre un acte d’une telle cruauté ?

Pour conclure, nous pensons que l’emploi des deux termes se justifie, pour autant qu’il y ait cohérence au niveau de l’emploi. Ce manque de cohérence chez Pierre Durand et le manque de systématicité chez Marthe Robert (qui n’a pas systématiquement employé le même terme en français, malgré une cohérence dans l’emploie différé des deux termes français) peuvent avoir motivé la retraduction de Natacha Rimasson-Fertin, pour laquelle nous avons une préférence. En effet, le terme « colombe » employé systématiquement par cette dernière est plus symbolique et permet à la fois de garder le symbole de l’amour exprimé par le terme allemand « Täubchen » et d’instaurer l’élément magique caractéristique du conte en faisant appel à un oiseau symbolique.