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2. Fondements théoriques

2.2. Contexte littéraire : le conte

2.2.3. Public cible

Dans ce chapitre consacré au genre littéraire du conte, nous estimons pertinent de consacrer un sous-chapitre au public visé par les contes, afin de bien délimiter le contexte dans lequel notre analyse s’inscrit. Nous estimons également qu’il est important pour l’analyse de savoir à quel public les textes choisis s’adressent, car le public joue un rôle important lors du processus de traduction. Dans le deuxième sous-chapitre, nous nous intéressons plus particulièrement au public du recueil dont est extrait le texte de notre analyse, les Kinder- und Hausmärchen. Il est également

important de préciser que nous parlons de « public » et non de « lectorat » en raison du caractère potentiellement oral du conte : les contes pouvant être destinés à être lus à un public ne sachant pas encore lire, nous avons jugé plus pertinent de parler de public et non de lecteur ou de lectorat.

2.2.3.1. Aperçu à travers les âges

Qui dit conte, dit enfant. Après tout, le recueil des contes des frères Grimm ne s’intitule-t-il pas Kinder- und Hausmärchen ? Mais le conte s’adresse-t-il uniquement aux enfants ? Commençons par remonter aux débuts du conte, lorsqu’il était encore populaire. Le Larousse encyclopédique nous apprend que « [p]ourtant, on sait que le conte était au départ offert aux adultes » (Larousse encyclopédique 2015). En effet, avant d’être mis par écrit, les contes populaires étaient narrés dans le but de divertir les adultes, à la maison, lorsque les familles et les voisins se réunissaient, lors de travaux répétitifs ou à l’armée (Ellis Davidson 2006 : 5-6). Ainsi, « […] des personnes de tout type et de tous âges se retrouvaient à écouter les contes » (ibid. : 6, notre traduction).

Par ailleurs, c’est « [e]n passant de l‘oral à l’écrit, [que] le conte de fées, qui, à l’origine, s’adressait aux adultes, [a] chang[é] ainsi subrepticement de destinataires en privilégiant la cible enfantine » (Larousse encyclopédique 2015) (en gras dans le texte). En effet, la fin du XVIIIe siècle en Europe a vu la publication d’un grand nombre de contes pour enfants, ce qui a donné une nouvelle dimension au genre : la dimension pédagogique (Zipes 2000 : xxiii). Le contenu des contes a alors été simplifié et modifié afin de contribuer à l’éducation morale des enfants (ibid.).

Au cours de ce XVIIIe siècle a également émergé un nouveau genre de conte : le conte philosophique, avec Voltaire en chef de file, qui ne s’adressait pas du tout aux enfants et ne possédait aucune dimension pédagogique mais des revendications politiques et sociales (ibid. : xxiv-xxv). C’est notamment le cas du récit de Jonathan Swift, les Voyages de Gulliver (Léger 2004 : 526-7). Mais ce type de conte forme un genre à part qui ne concerne pas notre analyse.

Aujourd’hui, le genre du conte, si difficile à définir, est associé aux adaptations pour enfants. Il existe tant d’adaptations pour enfants (sous forme de livres illustrés et de dessins animés principalement) de ces contes si célèbres, tels que le Petit Chaperon Rouge, Blanche-Neige ou encore Cendrillon, que certains affirment que le genre du conte

a perdu de sa substance (Fradette 2011 : 94). Dans ce sous-chapitre, nous avons démontré que ce genre littéraire ne se cantonne pas à la littérature pour enfants.

2.2.3.2. Public des Kinder- und Hausmärchen

Qu’en est-il maintenant du public des Kinder-und Hausmärchen ? Zipes (2000 : xxvi) nous apprend que :

The Grimms’ work was consciously designed to address two audiences at the same time, and they carefully cultivated the form of their tales so that they could be easily grasped by children and adults. (Zipes 2000 : xxvi)

Le recueil des frères Grimm s’adresse donc à la fois aux adultes et aux enfants.

Cela s’explique par le fait que, pour Jacob et Wilhelm Grimm, les contes naissent de l’envie d’écouter qui caractérise les enfants comme les adultes (lettre du 29 octobre 1812, citée dans Bolte-Polívka 1982 : 427). Ce double public se manifeste concrètement par la publication en 1825 d’une édition revisitée des Kinder-und Hausmärchen pour les enfants seulement (Dollerup 1999 : 58). Cette édition, communément appelée « Petite édition », contient une série de contes soigneusement choisis par les frères Grimm et considérés comme convenables pour les enfants (ibid.). Certains ont même été préalablement réécrits (ibid.). La publication de la « Petite édition » témoigne de la vision des frères Grimm selon laquelle un conte s’adresse aux enfants pour autant qu’il leur soit expressément destiné (ibid.). Comme nous le verrons par la suite, les frères Grimm ne destinaient pas leur recueil en priorité aux enfants.

Cependant, les deux frères, et plus particulièrement Wilhelm, ont toujours pensé que leur travail présentait un intérêt certain pour les intellectuels de l’époque (ibid. : 57), de par son apport culturel (faire revivre la tradition pour enrichir la poésie de l’époque) (ibid.). Les nombreuses notes et préfaces en sont la preuve.

Cependant, le public principalement visé par le recueil n’était ni les enfants, ni les intellectuels, mais :

[l]e public le plus large à qui s’adressait le recueil était constitué de « lecteurs généraux » qui ne s’encombraient pas des notes […] et qui étaient simplement à la recherche de récits comme ceux que l’on trouvait dans la Petite Édition : des contes que l’on pouvait dévorer pour son propre plaisir ou lire en famille. (Dollerup 1999 : 59, notre traduction)

Pour conclure, le recueil des frères Grimm Kinder- und Hausmärchen s’adresse à la fois aux adultes et aux enfants. Ceci est important pour notre analyse, car cette dernière porte sur la traduction d’un texte directement tiré de ce recueil et non sur la traduction d’un conte spécialement adapté pour les enfants. Même si le texte que nous analysons s’adresse aussi aux enfants, ce n’est pas à proprement parler une version écrite pour eux uniquement. Nous devrons donc tenir compte du fait que le texte à analyser s’adresse à la fois aux adultes et aux enfants lors de l’analyse du texte et de ses traductions.

En conclusion, le conte est un genre littéraire difficile à définir, qui se caractérise par un schéma narratif commun (le protagoniste fait face à des difficultés, les surmonte et finit par atteindre le bonheur) et dont le langage est empreint de métaphores, comparaisons et exagérations.

Par ailleurs, les frères Grimm avaient pour objectif, avec leur recueil Kinder- und Hausmärchen, de collecter et de fixer par écrit les contes tels qu’ils se trouvaient alors dans la tradition orale et écrite. Ce faisant, ils ont fait naître un nouveau type de conte : le conte imprimé (ou Buchmärchen), qui se situe entre le conte populaire (oral) et le conte littéraire (création artistique).

Finalement, le public visé par les contes, et plus particulièrement par les Kinder- und Hausmärchen, ne se cantonne pas comme on pourrait s’y attendre à un public enfantin. En effet, le recueil des frères Grimm s’adressait à l’origine en priorité aux intellectuels, avant de s’orienter également vers les adultes et les enfants.