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CHAPITRE II : COUPLAGE ENTRE GUIDES D'ONDES

2. Topographie et modélisation

La confrontation entre expériences et calculs, réalisée pour les études présentées dans le chapitre précédent, nous a appris l'importance d'une excellente connaissance de la topographie de la fibre. Pour retrouver les paramètres de la fibre, nous avons employé une technique qui consiste à superposer des photos étalonnées de la fibre réelle, sur un motif régulier, dont on peut varier les paramètres. Cette approche globale 2D est bien plus efficace qu'une simple mesure des paramètres utilisant l'étalonnage. On peut déterminer ainsi la période du réseau Λ et le diamètre des trous. On utilise des images étalonnées de microscope optique et de microscope électronique à balayage MEB, réalisées toutes les deux à Alcatel Recherche et Innovation, Marcoussis et présentées dans la Figure II.1.

Figure II.1 Images optique (gauche) et MEB (droite) de la fibre à deux cœurs.

On utilise les deux types d’image pour profiter des atouts et surmonter les limitations de chaque genre de microscopie. En microscopie optique on a une résolution insuffisante, mais on peut bénéficier de l'absence d’anisotropie et de déformation de l’image. Quant au MEB, une anisotropie y est possible, mais il permet une bonne résolution. Par conséquent, on utilise les images optiques pour déterminer la période Λ, et les images MEB pour déterminer le diamètre d des trous.

La Figure II.2 présente le réseau ajusté à ces images. Le meilleur ajustement de l’image optique donne Λ=2,35±0,1 µm. Par ailleurs les valeurs approximatives des diamètres

61 des trous intérieurs et extérieurs sont d=2,05±0,1 µm. Les trous autour des deux cœurs sont allongés par rapport aux autres. En faisant l’ajustement de la photo MEB (où on voit des distorsions et un étalonnage moins bon) sur une grille de période Λ=2,35 µm donnée par l'ajustement sur l'image optique, avec une contraction de 8% sur la direction y et 9% sur x, on arrive à d=2,05±0,1 µm. On obtient ainsi d/Λ=0,87±0,03.

Figure II.2 (a) Ajustement d'une grille théorique de période Λ=2,35±0,1µm et de diamètre de trous d=2,05±0,1µm sur l'image de microscope optique. (b) Ajustement de la photo MEB sur

une grille théorique de période Λ=2,35µm fixée et de diamètre de trous d=2,05±0,1µm.

En utilisant la même méthode, on déduit que les diamètres des trous extérieurs sont jusqu’à 10% plus petits. Les deux cœurs sont légèrement elliptiques, étirés sur la direction des cœurs: le cœur central a des diamètres de 2,3µm et 2,55 µm, et le cœur extérieur des diamètres de 2,3 µm et 2,3 µm. La distance entre les centres des cœurs est 4,65±0,1 µm. Le trou qui sépare les cœurs est elliptique, avec des extensions de 1,95±0,05 µm x 2,20±0,05 µm.

Compte tenu de la différence d’environ 11% sur le diamètre, on s'attend à ce que les indices effectifs du cœur extérieur soient bien plus bas. Cependant, l'indice moyen de la gaine vue par le cœur extérieur est plus élevé et donc on s'attend à une légère augmentation [5]. On a donc affaire à un système complexe. Il est connu que les phénomènes de type tunnel, dont le couplage par onde évanescente entre deux guides en fait partie, sont très sensibles aux

62 variations des paramètres géométriques Pour les MOFs, les articles théoriques [90] prédisent pour une fibre dont le rapport d/Λ est 0,9, donc près du nôtre, une diminution de la longueur de couplage d'un facteur entre 100 et 1000 pour des déviations de quelques pourcent des paramètres, selon le type de variation et la polarisation. On peut facilement se convaincre du fait que cette sensibilité ne concerne pas seulement la longueur de couplage, mais aussi l’efficacité de celui-ci, à savoir le taux de transfert d’énergie entre les guides. Ces variations considérables sont dues aux fortes variations des indices effectifs des supermodes. Une complexité supplémentaire vient de la multimodalité de la fibre, qui est attendue lorsque le rapport d/Λ devient supérieur à 0,44 [2]. Une autre question concerne la théorie permettant de décrire au mieux la propagation dans un tel système, c'est-à-dire soit une théorie de couplage faible où les guides sont considérés quasi-individuellement, ou une théorie de couplage fort ou les deux guides forment un système unique. Pour toutes ces raisons, nous avons fait des simulations numériques avec le logiciel commercial FEMLAB basé sur la méthode des éléments finis. On retrouve ainsi les cartes d’intensité et les indices effectifs (donc les constantes de propagation) des modes propres du système (les supermodes). Vu que l’on peut répéter l’opération pour n’importe quelle longueur d’onde, on peut obtenir la courbe de dispersion, si on en a besoin.

Le logiciel permet d'utiliser comme profil d’indice soit une structure parfaite soit la structure réelle de la fibre construite à partir d’une photo MEB. Nous avons utilisé la structure réelle, à laquelle nous avons ajouté des couches absorbantes dites Perfectly Matched Layers ou PML. Bien qu'elles soient très gourmandes en mémoire et temps de calcul, ces couches sont nécessaires pour avoir une structure finie et pour avoir une idée des pertes de confinement en utilisant la partie imaginaire de l'indice. Il n'est pas facile de trouver les bons paramètres de ces couches, tels que l'épaisseur, le coefficient d'absorption, l'éloignement par rapport à la structure, le maillage. On cherche les paramètres de ces couches pour qu'il n'y ait pas de réflexions parasites à l'interface entre la structure et la couche absorbante. Une couche trop épaisse utilise beaucoup de mémoire de calcul, et une couche trop mince doit avoir un coefficient d'absorption trop élevé, ce qui crée des perturbations du mode optique à la frontière. Un coefficient d'absorption trop petit provoque des réflexions parasites, comme si la couche n'existait pas, et un coefficient trop élevé peut diminuer voire faire disparaître certains modes, surtout les modes d'ordre supérieur. Si la couche est trop éloignée, il peut apparaître des faux modes entre la structure et la couche, mais si elle est trop proche le mode optique est très sensible à toute modification d'un quelconque paramètre. Le choix de la forme

63 géométrique des couches n'est pas très évident non plus. En pratique, pour nos fibres, la couche hexagonale s'est avéré la plus adéquate.

Un autre point sur lequel il faut être attentif est le maillage. Il doit être dense (<λ/10) dans les cœurs et assez dense dans les couches de PML (<λ/5). Dans le mode de maillage automatique, le maillage se resserre aux interfaces, donc entre les trous d'air de la gaine. Mais pour avoir un maillage très dense aussi dans les deux cœurs, nous avons délimité autour de chaque cœur une zone circulaire qui comprend le cœur et la moitié de la première couronne de trous. La solidité des résultats est en grande partie assurée par la qualité globale du maillage, qu'on peut connaître à l'aide d'un paramètre de confiance calculé par le logiciel. En s'assurant que cette valeur est supérieure à une valeur théorique minimale, on peut avoir confiance dans les résultats.

Finalement, en utilisant la possibilité de connexion de FEMLAB avec MATLAB, nous avons pu inclure la dispersion de la silice, en utilisant la relation de Sellmeier.

Figure II.3 Cartes d’intensité des modes fondamentaux en polarisation y à 1550 nm en échelle linéaire.

Les cartes d’intensité donnent des modes bien localisés (Figure II.3) dans un cœur ou dans l’autre, avec un rapport des maxima de champ électrique Ey d'environ 500 et d’intensité d'environ 105. Ces résultats nous renseignent sur la forte asymétrie de la structure des modes et suggèrent que l’on pourrait utiliser les indices et les profils de champ des supermodes en tant que modes propres des guides isolés et donc la théorie des modes couplés (TMC) pour décrire le système complet. La difficulté est de prévoir le régime de couplage, fort ou faible, car par rapport au cas des fibres à deux cœurs standards où les expériences ont validé le choix

64 de cette théorie [76] les diamètres des cœurs (~ 2µm) et la distance entre les cœurs (4-5 µm) sont environ deux fois plus petites alors que le contraste d’indice est un ordre de grandeur plus fort. Nous commençons par l'utilisation des supermodes comme modes propres des guides isolés, en supposant implicitement le cas du faible régime de couplage, puis nous vérifions cette hypothèse en pratique. Bien que le logiciel donne directement les modes propres du système unique, nous préférons cette approximation qui permet de se servir de la théorie de modes couplés, théorie qui offre une image plus intuitive des phénomènes et permet de calculer plus facilement les grandeurs caractéristiques nécessaires.

Une autre remarque est que chaque mode est doublement dégénéré, un mode étant polarisé plutôt selon x et l’autre plutôt selon y. Plus précisément, chaque mode est hybride, donc le champ électrique a des composantes sur x, y et même sur z. Le mode qui a la composante dominante Ex est appelé "x", et celui qui a la composante dominante Ey est appelé "y". L’écart de l’indice effectif entre les deux composantes est bien inférieur à l’écart entre les modes fondamentaux de la Figure II.3.

Nous avons fait des simulations à des longueurs d'onde plus grandes. Autour de λ=2000 nm, le rapport des maxima de Ey baisse à environ 80, ce qui nous dit que l'ampleur du couplage augmente. Pour une longueur d'onde autour de 3000 nm, les cartes des champs ont toujours des lobes asymétriques, mais les maxima deviennent comparables et donc le régime de coulage est fort. Dans ce régime, on ne peut plus approximer les supermodes par les modes propres des guides isolés.

Un point intéressant est qu'il n'y a pas une longueur d'onde pour laquelle la différence des indices effectifs des supermodes soit minimale (longueur d'onde d'accord de phase), comme c'est le cas pour des fibre SMF à deux cœurs ou des guides en ruban [89]. A cette longueur d'onde, le taux de transfert est maximal et la caractéristique de transmission en fonction de λ est celle d'un filtre passe-bande. Ceci est possible si les deux cœurs ont deux paramètres différents : un cœur plus petit (l'indice effectif baisse) et en même temps un matériau d'indice plus élevé (ce qui change la pente de dispersion) permettent d'avoir une longueur d'onde où les deux cœurs ont le même indice effectif. Pour notre fibre, le cœur extérieur est plus petit, mais les indices des deux cœurs sont identiques, donc il n'y a aucune longueur d'onde où les indices effectifs puissent être égaux. Le fait que la gaine effective du cœur extérieur ait un indice équivalent un peu plus élevé n'a qu'une très faible influence [5].

65 Comme on l'a vu, la fibre doit être fortement multimode, en raison du rapport d/Λ qui est très supérieur à 0,44. Des battements entre les modes propres de chaque guide peuvent également exister. A l’aide du même logiciel, on retrouve les supermodes d’ordre supérieur. Considérant la forte asymétrie et localisation des supermodes fondamentaux, on s’attend à ce que les supermodes d’ordre supérieur soient eux aussi quasiment localisés dans un cœur et dans l’autre. Ces prévisions sont confirmées par la simulation. Dans la Figure II.4 on présente les premiers modes d’ordre supérieur localisés respectivement dans les deux cœurs.

Figure II.4 Carte d’intensité du premier (haut) et du deuxième (bas) mode d’ordre supérieur polarisés selon y (la direction qui unit les cœurs) à 1550 nm en échelle linéaire pour le cœur

66 Comme nous avons déjà pu le constater (chapitre I.5), un trou d’air dans une fibre à fort d/Λ suffit pour confiner le mode fondamental et limiter les pertes de confinement. Cependant, pour les modes d’ordre supérieur, les pertes de confinement dans cette configuration sont bien plus importantes. On retrouve à nouveau ce comportement si on compare les cartes de champ du mode fondamental et des modes supérieurs du cœur extérieur, surtout pour le deuxième mode (Figure II.4 droite bas).

Plusieurs questions se posent. La première est de trouver une approche pour décrire quantitativement le battement intra-cœurs (à l’intérieur du chaque cœur). On va s’appuyer sur des travaux déjà publiés. La deuxième porte sur la possibilité de séparer les battements inter-cœurs et intra-cœur afin de simplifier le problème, surtout si pour chacun des deux on peut employer des théories différentes. Si on ne considère que les modes fondamentaux et le premier mode supérieur pour chaque cœur, on aura soit 4 équations couplées, soit deux systèmes à deux équations seulement. Pour instant, on va supposer qu'il est correct de simplifier le problème en séparant le système en deux, mais cela aussi reste à vérifier en pratique. Nous considérons dans ce qui suit que le problème peut se séparer en deux systèmes d'équations, puis vérifions la validité de cette approche.

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