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À partir des sources et de l’approfondissement des connaissances sur l’emploi de la terminologie du pouvoir autocratique dans l’Antiquité, il est maintenant possible d’effectuer une recension des termes utilisés pour Agathocle et d’en analyser l’usage. Les auteurs anciens usèrent d’une sémantique variée pour qualifier le pouvoir d’Agathocle dans ses fonctions. Faire appel à un corpus incluant deux langues différentes apporte une diversité du vocabulaire, bien que des associations entre le grec et le latin soient possibles. La

Bibliothèque historique de Diodore de Sicile et l’Abrégé des histoires philippiques de Justin

occupent la place centrale de cette étude puisque leur œuvre comporte plus de matière à analyser. Les passages brefs des autres auteurs servent à comparer ou à compléter la démonstration. La trame suit donc principalement l’analyse de ces deux auteurs.

L’étude est aussi thématique. Nous analysons la façon dont une terminologie est employée au sein de notions géographiques. Le thème comparatif englobe les comparaisons que les auteurs ont faites entre Agathocle et d’autres dirigeants, les moments où le Syracusain est mis en parallèle à ceux-ci, mais également le recours à un vocable en particulier lorsqu’il est question des qualités d’Agathocle. L’utilisation des différents lexèmes est aussi analysée à la lumière de thèmes politico-militaires puisque la guerre et les relations interétatiques étaient très présentes dans l’histoire d’Agathocle. Puisqu’Agathocle fut impliqué dans de nombreux conflits, la terminologie du pouvoir se retrouve dans le cadre de l’opposition politique. Ses talents militaires et le fait qu’il soit débarqué à Carthage avant les Romains furent particulièrement mentionnés tout en faisant appel à l’un ou l’autre des titres de pouvoir. Son ascension hors du commun fit aussi l’objet d’admiration, mais l’atteinte d’une certaine puissance entraîna avec elle des problèmes de succession du pouvoir.

Les termes aux radicaux τυρανν- ou tyrann-

Recension

Concernant spécifiquement Agathocle, les termes aux radicaux τυρανν- ou tyrann-, outre chez Diodore et Justin, se retrouvent aussi dans les écrits de Polybe, Plutarque et Appien. Dans la totalité de la Bibliothèque historique, vingt-six occurrences de mots au radical τυρανν- sont recensées pour décrire soit Agathocle lui-même, soit le pouvoir qu’il exerça195. Trois mentions figurent dans le livreXVIII alors que Diodore ne faisait

qu’annoncer le contenu du livre XIX196. Tout au long de ce dernier livre, les lexèmes

τυρανν- constituent les termes de pouvoir qui ont été les plus couramment utilisés pour caractériser la pratique du pouvoir d’Agathocle avec treize occurrences sur les vingt-six de l’œuvre197. Au livre XX, la présence du radical τυρανν- n’est constatée qu’à dix reprises198.

Il se mélange de plus en plus avec une autre dénomination du pouvoir. En effet, les mots au radical δυναστ- deviennent majoritaires199. Dans les fragments du livre suivant, Agathocle

n’est associé à aucun mot du lexème de la τυραννίς. Seulement trois mentions d’Agathocle sont accompagnées du lexème τύρανν- dans les Histoires de Polybe (VIII, 10, 12 ; IX, 23 2 ; XV, 35, 3), une seule dans Sur les délais de la justice divine de Plutarque (12, 557) et une occurrence dans l’Histoire romaine d’Appien d’Alexandrie (VIII, 110, 520). Justin est le seul représentant de la littérature latine dans cette catégorie avec deux évocations de la τυραννίς d’Agathocle dans l’Abrégé (XXII, 1, 1 et 3, 2-3).

Cadre géographique

Avant les trois livres de la Bibliothèque historique déjà mentionnés, le livre XVIII commence par une mention de la τυραννίς d’Agathocle en annonçant le contenu du livre

195 Diod., XVIII, 1, 5-6 ; 75, 3 ; XIX, 1, 6 ; 1, 9 ; 2, 1 ; 5, 1 ; 9, 7 ; 65, 4 ; 70,1 ; 71,2 ; 102, 7 ; 108,1 ;

110, 4 ; XX, 15, 5 ; 54, 1 ; 63, 1 ; 69, 3 ; 71, 4 ; 77, 2 ; 78, 1 ; 89, 2 ; 90, 5 ; 101,3. Certains passages contiennent plus d’une occurrence.

196 Une occurrence dans Diod., XVIII, 1, 5-6 et deux dans XVIII, 75, 3

197 Diod., XIX, 1, 6 ; 1, 9 ; 2, 1 ; 5, 1 ; 9, 7 ; 65, 4 ; 70,1 ; 71,2 ; 102, 7 ; 108,1 ; 110, 4. Certains

passages contiennent plus d’une occurrence.

198 Diod., XX, 15, 5 ; 54, 1 ; 63, 1 ; 69, 3 ; 71, 4 ; 77, 2 ; 78, 1 ; 89, 2 ; 90, 5 ; 101,3. 199 Comparativement à τυρανν-, δυναστ- apparaît à vingt et une reprises dans le livre XX.

suivant : « ἡ μὲν γὰρ πρὸ ταύτης βύβλος τὰς Ἀλεξάνδρου πράξεις ἁπάσας περιείληφε μέχρι τῆς τελευτῆς· αὕτη δὲ τὰ τοῖς διαδεξαμένοις τὴν τούτου βασιλείαν πεπραγμένα περιέχουσα τελευτὴν μὲν ἔχει τὸν προηγούμενον ἐνιαυτὸν τῆς Ἀγαθοκλέους τυραννίδος, περιείληφεν δ᾿ ἔτη ἑπτά » (XVIII, 1, 5-6)200. Le groupe de mots utilisé étant « τῆς Ἀγαθοκλέους

τυραννίδος », Diodore utilisa en premier lieu la τυραννίς pour décrire le régime politique d’Agathocle. Le livre fini sur un rappel de cette τυραννίς : « Ἐπεὶ δὲ κατὰ τὸν ἑπόμενον ἐνιαυτὸν Ἀγαθοκλῆς ἐγένετο τύραννος τῶν Συρακοσίων, ταύτην μὲν τὴν βύβλον αὐτοῦ περιγράψομεν κατὰ τὴν ἐν ἀρχῇ πρόθεσιν, τῆς δ᾿ ἐχομένης τὴν ἀρχὴν ἀπὸ τῆς Ἀγαθοκλέους τυραννίδος ποιησάμενοι διέξιμεν τὰς οἰκείας τῇ γραφῇ πράξεις » (XVIII, 75, 3)201. Dans cet

extrait, Diodore attribua au Syracusain un titre politique particulier, celui de « τύραννος ». Il utilisa le même vocabulaire pour nommer le régime politique : « τῆς Ἀγαθοκλέους τυραννίδος ». Il attribua aussi à la τυραννίς un cadre ethno-géographique précis en mentionnant « τύραννος τῶν Συρακοσίων ». Dans le livre XIX, les lexèmes de la τυραννίς furent conjugués à la pratique du pouvoir politique et militaire spécifiquement au sein de la cité de Syracuse. Au chapitre 1 du livre XIX, le régime a été réaffirmé sous la forme d’un verbe à l’aoriste, « Ἀγαθοκλῆς ἐτυράννησε τῶν Συρακοσίων » (XIX, 1, 6), signifiant « être tyran de Syracuse ». Dans le deuxième chapitre du même livre, l’auteur inséra aussi la cité dans l’appellation du titre de tyran d’Agathocle : « Συρακόσιος τύραννος » (XIX, 2, 1). Au début du livre XIX, ce pouvoir de τύραννος fut surtout associé aux évènements qui se produisirent à Syracuse et s’y limitèrent. Dans les ouvrages de Polybe et Plutarque, la cité fut aussi juxtaposée au pouvoir d’Agathocle. Dans le seul passage où Plutarque utilisa le radical τυρανν- pour caractériser Agathocle, il le mentionna comme « ὁ Συρακοσίων τύραννος » (Sur le délai de la justice divine, 12, 557). Polybe, au livre XV, mentionna à la fois Agathocle et Denys l’Ancien comme « τύραννοι Συρακουσῶν » (XV, 35, 3)202. Cette association de

τυραννίς avec le cadre géographique de Syracuse apparaît donc chez Diodore au livre XX,

200 « Le livre précédent comprenait tous les actes d’Alexandre jusqu’à sa mort ; celui-ci, contenant

les actes de ceux qui ont succédé à son royaume, se termine avec l’année précédant la tyrannie d’Agathocle et comprend sept ans » (traduction de Paul Goukowsky).

201 « Puisque Agathocle est devenu le tyran de Syracuse l’année suivante, nous allons terminer ce

livre comme proposé au début. Nous allons commencer le livre suivant par la tyrannie d’Agathocle et y inclure les événements qui méritent d’être commémorés dans notre récit » (traduction de Paul Goukowsky).

202 Agathocle suivit les traces déjà dessinées par un autre dirigeant syracusain qui atteignit une

chez Plutarque dans l’une de ses Œuvres Morales et dans une mention d’Agathocle dans les

Histoires de Polybe.

Toutefois, l’affiliation du lexème τυρανν- au cadre géographique de Syracuse disparaît complètement à partir du livre XX de la Bibliothèque historique. L’Abrégé de Justin contient la notion de tyrannis en lien avec le pouvoir d’Agathocle uniquement dans deux passages (XXII, 1, 1 ; 3, 2-3). Dans le premier extrait, Justin attribua à Agathocle une extension de sa

tyrannis sur toute la Sicile : « Agathocles, Siciliae tyrannus » (XXII, 1, 1). Il utilisa la

terminologie associée à tyrann- pour qualifier un pouvoir qui s’étendait non seulement sur Syracuse, mais sur la Sicile. Un parallèle se trouve dans la littérature grecque alors que Polybe dénomma le Syracusain « Ἀγαθοκλέα τὸν Σικελίας τύραννον (IX, 23, 2). Dans le même passage, Polybe souligna que la population sicilienne était sous sa domination par l’expression « τὴν Σικελιωτῶν ἀρχὴν πάντων ». Cela contraste avec l’extrait du livre XV mentionné plus tôt. Toutefois, dans l’extrait du livre XV, Agathocle était mis au côté de Denys l’Ancien. Il se pourrait donc que dans ce dernier passage, Polybe référât à une terminologie du pouvoir commune aux deux dirigeants, soit la τυραννίς. Lorsqu’Agathocle est présenté seul dans les Histoires de Polybe, le pouvoir de la τυραννίς semble subir une expansion géographique. De même, Appien d’Alexandrie, dans les deux seules mentions d’Agathocle de son Histoire romaine, le qualifia de « Ἀγαθοκλέους τοῦ Σικελιωτῶν τυράννου » (VIII, 110, 520) et de « ἄρχων Σικελίας » (III, fr. 11, 1). Pourtant, dans la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, les termes associés à τυρανν- ne sont jamais joint au cadre géographique de la Sicile.

Thème de l’opposition politique

Vers la fin du livre XIX de la Bibliothèque historique, alors qu’Agathocle affrontait des oligarques réfugiés ou des déserteurs, la τυραννίς prit un sens nettement péjoratif. Diodore rendit ainsi la façon dont Agathocle fut associé à la τυραννίς aux yeux de ses antagonistes. Particulièrement au chapitre 65, Agathocle subit le ressentiment de ses

opposants : « τὸν τύραννον μίσος » (XIX, 65, 4). C’est au moment d’une bataille contre le groupe oligarchique qu’Agathocle est considéré comme un τύραννος (XIX, 65, 4-5 ; 70, 1 ; 71, 2). Aux chapitres 102, 108 et 110 du même livre, Agathocle est nommé τύραννος dans le récit des batailles de Messine et de Phalaris, ainsi que le repli d’Agathocle vers la cité de Géla (XIX,102, 7 ; 108,1 ; 110, 4). Au moment où Agathocle se réfugie à Géla après sa défaite, les cités qui « haïssent le tyran » firent défection pour se joindre au parti opposé. Dans le livre XX, dans l’épisode de la rébellion de Ségeste, Diodore décrivit comment le τύραννος (XX, 71, 4) massacra toute la population, usant notamment de tortures des plus imaginatives, pour la punir de la rébellion contre son pouvoir. Le thème de la cruauté d’Agathocle revint aussi au côté du vocable τύραννος lors de la défaite de Deinocratès à la bataille de Torgion. Après qu’une partie des troupes oligarchiques eut déserté pour le τύραννος syracusain et que les derniers soldats se furent rendus, ils furent abattus par Agathocle qualifié encore de τύραννος (XX, 89, 2 et 5). De même, dans un excursus de Diodore, le terme τύραννος fut utilisé alors qu’il est question de l’impiété dont Agathocle fit preuve alors qu’il demanda aux Liparéens de lui donner l’argent sacré d’Éole et d’Héphaïstos. Celui-ci se serait retourné contre Agathocle en lui donnant une mort par le feu (XX, 101, 3). Comme le propose S. Consolo Langher, ces passages proviennent probablement d’une source locale, favorable au parti oligarchique. Particulièrement, le passage expliquant la torture de la population de Ségeste aurait servi à justifier l’opposition à Agathocle203. L’utilisation d’un terme à connotation péjorative est cohérente puisqu’il

représentait le point de vue des ennemis et contribuait à donner une image négative d’Agathocle. Le même fait est visible chez Justin qui présenta le point de vue des Carthaginois alors que ceux-ci condamnaient les agissements de leur général, Hamilcar. Ils reprochaient au général d’avoir passé un accord avec le « infestissimo hosti », Agathocle. Le Syracusain était aussi accusé de se conduire en « dominum et tyrannum » (XXII, 3, 2-3). Dans le même ordre d’idées, la définition du pouvoir du Syracusain avec l’emploi du radical τυρανν- se présente aussi chez Polybe. Alors qu’il critiquait Timée, Polybe exprima comment il dressait le portrait d’Agathocle « ὡς γὰρ κατ᾿ ἐχθροῦ καὶ πονηροῦ καὶ τυράννου διατίθεται

τὴν κατηγορίαν » (VIII, 10, 12)204. Comme il faisait partie du groupe s’opposant au pouvoir

d’Agathocle, Timée le définissait comme un τύραννος et Polybe fit plutôt usage de « Ἀγαθοκλέους τοῦ Σικελίας δυνάστου » à la phrase précédente.

Cadre comparatif

Malgré le fait qu’Agathocle fut associé à des actes méprisés des anciens, Diodore utilisa parfois un cadre comparatif en affirmant qu’Agathocle se comportait différemment des autres τύραννοι ou qu’il possédait certaines vertus. Après qu’Agathocle eut reçu la fonction de στρατηγὸς αὐτοκράτωρ (ΧΙΧ, 9, 3-4), Diodore mentionnait que le Syracusain décida de ne pas copier la conduite des précédents τύραννοι en évitant certains comportements : « ἔχων δὲ τηλικαύτην δυναστείαν οὔτε διάδημα ἀνέλαβεν οὔτε δορυφόρους εἶχεν οὔτε δυσεντευξίαν ἐζήλωσεν, ἅπερ εἰώθασι ποιεῖν σχεδὸν ἅπαντες οἱ τύραννοι » (XIX, 9, 7)205. Selon les

mentions antécédentes de la τυραννίς, Agathocle faisait partie du groupe d’individus que Diodore qualifiait de τύραννοι. Toutefois, le terme fut utilisé pour marquer une comparaison entre les agissements du Syracusain qui ne correspondaient pas à ceux d’un τύραννος et les comportements d’autres dirigeants que Diodore de Sicile considérait comme des actes mauvais. Auparavant, l’auteur mentionnait aussi que « Ἀπὸ δὲ τούτων γενόμενος τοῦ μὲν ἔτι φονεύειν ἢ κολάζειν τινὰς ἀπέστη, μεταβαλόμενος δ᾿ εἰς τοὐναντίον εὐγνωμόνως τοῖς πλήθεσι προσεφέρετο καὶ πολλοὺς μὲν εὐεργετῶν, οὐκ ὀλίγους δ᾿ ἐπαγγελίαις μετεωρίζων, πάντας δὲ λόγοις φιλανθρώποις δημαγωγῶν οὐ μετρίας ἀποδοχῆς ἐτύγχανεν » (XIX, 9, 6)206.

L’utilisation de la comparaison avec d’autres τύραννοι combinée à la présentation du dévouement d’Agathocle pour le peuple réduit l’impact négatif de l’usage du terme

204 « Il dresse un réquisitoire contre un ennemi, un méchant homme, un tyran » (traduction de

Raymond Weil).

205« Malgré l’étendue de son pouvoir, il ne porta jamais de diadème, n’eut pas de garde armée et ne

chercha pas à rendre son abord difficile, comme ont coutume de le faire presque tous les tyrans » (traduction de Françoise Bizière).

206 « Cela fait, il arrêta les meurtres et les châtiments et, changeant du tout au tout, il montra beaucoup

de bienveillance envers le peuple : il rendit service à beaucoup, encouragea bien des personnes par des promesses et gagna la sympathie de tous par des paroles aimables, ce qui lui valut une grande considération » (traduction de Françoise Bizière).

τύραννος207. Un autre exemple de comparaison se trouve au chapitre 71 du même livre. Le

général Acrotate de Sparte, fils de Cléomène II, qui était venu pour aider les exilés du parti oligarchique, y fut qualifié de « τῶν τυράννων ὠμότερος » (XIX, 71, 2). L’énoncé exprime clairement le caractère négatif que revêtait la τυραννίς. Toutefois, l’utilisation de ὠμός au comparatif sert à la démonstration de Diodore de Sicile afin d’illustrer de façon dramatique la cruauté du στρατηγός lacédémonien en comparaison d’Agathocle qu’il qualifia du titre de τύραννος. Au livre XX, le chapitre 63 expose un exemple où Agathocle préférait se comporter en simple citoyen. En abandonnant un moment « les honneurs dus à la tyrannie », il faisait preuve d’humilité (XX, 63, 1). Le même chapitre se poursuit en décrivant le comportement du τύραννος Denys l’Ancien qui, au contraire d’Agathocle, entrait à l’Assemblée accompagné de sa garde et se défiait de tous. Pour Denys, la sécurité d’un τύραννος était garantie par sa méfiance (XX, 63, 3). Les deux passages montrent les agissements d’Agathocle comme étant contraires à ce que devaient comporter la τυραννίς.

La recension des mentions du titre d’Agathocle associé au radical τυρανν- ou tyrann- illustre une utilisation diversifiée et parfois associée à des cadres thématiques. Chez Diodore de Sicile, l’utilisation des racines de τυρανν- était restreinte géographiquement à la cité de Syracuse et ses dépendances. Cela semble être le cas de Plutarque ainsi que de Polybe lorsque ce dernier l’associait à Denys l’Ancien. Toutefois, dans un extrait de Polybe ainsi que chez Justin et Appien d’Alexandrie, la τυραννίς dépasse le cadre de la cité de Syracuse et s’étend à la Sicile. Chez Diodore, Polybe et Justin, le titre de tyran fut associé à un lexique péjoratif lorsqu’il se dégage de passages mettant en scène des opposants d’Agathocle. Dans la Bibliothèque historique, douze passages utilisent la terminologie de la τυραννίς dans un contexte d’opposition aux groupes oligarchiques sur le total des vingt-six occurrences des mots associés à τυρανν-. Dans les Histoires, l’usage péjoratif du terme se présente en lien avec son usage chez Timée de Tauroménion, un opposant d’Agathocle. Le point de vue carthaginois exposé dans l’Abrégé est également le cadre d’une utilisation péjorative. Néanmoins, la τυραννίς d’Agathocle put prendre une connotation positive lorsqu’elle fut

utilisée comme élément de comparaison à l’égard de comportements jugés mauvais par Diodore de Sicile au sein de cinq passages.

Les termes associés à δυναστ-

Recension

Le vocabulaire relatif à δυναστ- concernant la caractérisation du pouvoir d’Agathocle n’est présent que chez Diodore et Polybe. Toutefois, la Bibliothèque historique en fait plusieurs fois mention. C’est pourquoi il nécessite une investigation approfondie. Les mots commençants par δυναστ- furent les plus fréquemment utilisés par Diodore dans l’ensemble de son œuvre lorsqu’il traitait d’Agathocle et de son pouvoir politique et militaire208.

Toutefois, leur usage débute de façon très partielle, alors que les vocables associés à la τυραννίς dans les premiers livres sont plus nombreux. Aux livres XVI et XIX, neuf occurrences du lexème δυναστ- se rencontrent contre treize mentions de τυρανν- au livre XIX209. Dans le livre XX, le radical δυναστ- devient le vocable le plus présent : il est

employé vingt et une fois alors que dix occurrences de τυρανν- se trouvent dans le même livre210. Conséquemment, au livre XX de la Bibliothèque historique, la présence des mots au

radical δυναστ- s’intensifie alors que celle des vocables associés à la τυραννίς décroît. Agathocle fut considéré comme un δυνάστης dans plus de la moitié des occurrences du lexème dans l’entièreté de la Bibliothèque historique211. Le terme est aussi utilisé pour faire

référence à sa puissance. L’utilisation se poursuit dans le livre XXI malgré son état fragmentaire où δυναστ- est employé à huit reprises212. Il y côtoie les mots formés du radical

βασιλ-. Pour sa part, Polybe attribua la δυναστεία à Agathocle à trois reprises (VIII, 10, 12 ;

208 Cette plus grande fréquence des mots formés du radical δυναστ- fut aussi remarqué par

Stefania De Vido, op. cit., 2016a, p. 344.

209 Neuf occurrences de δυναστ- : XVI, 83, 2-3 ; XIX, 1, 10 ; 2, 1 ; 65, 1 ; 102, 1 ; 102, 6 ; 102, 7 ;

103, 4 ; 106, 1.

210 XX, 4, 4 ; 4, 7 ; 5, 1 ; 13, 4 ; 33, 3 ; 33, 4 ; 33, 8 ; 34, 7 ; 39, 4 ; 39, 5 ; 54, 1 ; 57, 2 ; 62, 2 ; 63, 6 ;

63, 7 ; 67, 2 ; 68, 4 ; 69, 2 ; 77, 2 ; 77, 3 ; 79, 3.

211 XX, 4, 4 ; 4, 7 ; 5, 1 ; 13, 4 ; 33, 3 ; 33, 8 ; 34, 7 ; 39, 4 ; 57, 2 ; 62, 2 ; 67, 2 ; 68, 4 ; 69, 2 ; 77, 2 ;

77, 3 ; 79, 3.

212 Huit mentions ont pu être trouvé : fr. 17, 1, 6 ; 29, 2, 2 ; 29, 5, 1 ; 29, 6, 3 ; 30, 1, 1 ; 30, 1, 2 ;

IX, 23, 2 ; XII, 15, 7). Dans les deux dernières utilisations, le terme apparaît auprès d’autres vocables du pouvoir.

Cadre géographique

Dans une description de type géographique du livre XVI, Diodore employa pour la première fois δυναστ- en rapport avec le Syracusain alors qu’il décrivait une construction établie par « Ἀγαθοκλῆς ὁ δυνάστης » (XIV, 83, 2-3). La mention suivante n’apparaît qu’au livre XIX où, dès le premier chapitre, l’auteur fit usage de « τῆς δυναστείας » (XIX, 1, 10) tandis que τυραννίς fut utilisé quelques lignes plus tôt (1, 5-6). Aux chapitres 102 et 103, δυναστ- est encore repris afin de décrire son pouvoir ou sa personne : τῇ δυναστείᾳ et τοῦ δυνάστου (102,7 ; 103,4). Le mot τύραννος fut aussi utilisé par l’auteur à proximité. Le concept de δυναστ- côtoie ainsi celui de τυρανν- au dix-neuvième livre.

La juridiction géographique accordée au pouvoir d’Agathocle sembla évoluer au sein du livre XIX. Comme pour la mention de τυρανν-, Diodore mit en relation le pouvoir dynastique avec la cité de Syracuse « Συρακοσίων δυνάστης » (XIX, 65,1). Au chapitre 106, l’auteur indiquait plutôt qu’Agathocle avait l’autorité d’organiser plusieurs cités de l’île en fonction de ses desseins : « τὸν δυνάστην συσκευαζόμενον τὰς ἐν τῇ νήσῳ πόλεις » (106, 1). Pour Diodore, la puissance d’Agathocle commençait à s’étendre à l’extérieur de Syracuse vers d’autres cités de l’île. Pour sa part, Polybe donna le rôle de δυνάστης à Agathocle pour la Sicile tout entière au chapitre VIII : « Ἀγαθοκλέους τοῦ Σικελίας δυνάστου » (VIII, 10, 12). Toutefois, ce sont les seuls relevés du lexème en association avec un cadre géographique.

Cadre d’opposition politique

À part pour les trois mentions aux livres XVI (83, 2-3) et XIX (1, 10 ; 2, 1), Diodore n’employa pas le lexème δυναστ- pendant le récit des péripéties militaires d’Agathocle et

avant la réussite de son coup d’État en 316/317 a.C. où il obtint des pouvoirs autocratiques (XIX, 9). Cette absence peut s’expliquer pour deux raisons distinctes. Le choix du vocabulaire peut provenir des sources qui furent utilisées par Diodore de Sicile. La présence de la terminologie de la τυραννίς pendant ce récit (XIX, 5, 1 et 9, 7) pourrait supposer que l’histoire du coup d’État a été tiré d’une source sicilienne oligarchique défavorable au Syracusain comme le propose S. Consolo Langher213. Cette hypothèse impliquerait une

dualité entre l’utilisation péjorative de τυρανν- et méliorative de δυναστ-.

Cependant, cette absence peut provenir d’un choix délibéré de Diodore de Sicile ou de ses sources du fait qu’Agathocle ne possédait pas, avant le chapitre 9 du livre XIX, un pouvoir qui correspondait à la notion de δυναστ-, sans que ce dernier ait un caractère nécessairement positif. Au chapitre 63 du livre XIX, Diodore continua avec les conflits militaires et politiques qui opposaient les partisans d’Agathocle et les exilés oligarchiques. Le contexte se trouve dans le thème de l’opposition politique et Diodore y fit usage du vocabulaire de la δυναστεία. Au chapitre 63 par exemple, l’auteur écrivit une suite d’anecdotes sur Agathocle et termina sur la façon dont il fit massacrer tous ceux qui lui étaient hostiles avant de quitter Syracuse. Les formules « τὰ πρὸς τὴν δυναστείαν » (XIX, 63, 6) et « καταλύσωσι τὴν δυναστείαν » (XIX, 63, 7), qui se traduiraient par « hostiles à son pouvoir » et « renversé sa dynastie », furent utilisées plutôt que τυραννίς. Certes, les mots au lexème τυρανν- continuent de qualifier le pouvoir d’Agathocle dans les mêmes passages. Trois mentions du vocable δυναστ- (XIX, 102, 1 ; 102, 6 ; 102, 7) se retrouvent entremêlées avec l’utilisation de τυρανν- (XIX, 102, 7) dans un contexte d’opposition politique. Diodore de Sicile y fit le récit de l’opposition de Messine et Tauroménion malgré un traité avec les autres cités grecques. Il y exposa l’exécution des citoyens et l’exil de la plupart des survivants. De la même façon, δυναστ- fut employé lors de l’exécution sommaire des citoyens de Centoripes au chapitre 103.

213 À ce sujet, voir les ouvrages déjà cités de Sebastiana Consolo Langher, 2005, p. 165‑167, 170,

Il semble que le vocabulaire de la τυραννίς fut de plus en plus remplacé par la conception de δυναστεία, même dans des passages où Diodore et des protagonistes des évènements furent hostiles envers le Syracusain. Au livre XX, le thème de l’opposition apparaît alors auprès du thème de la ruse et de la fourberie qui firent la renommée d’Agathocle214. Alors qu’Agathocle se préparait secrètement à quitter Syracuse pour porter

la guerre en Afrique du Nord, Diodore rapporta qu’il sépara les familles en embarquant une

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