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CHAPITRE III. Les tissus adipeux : implication dans le métabolisme énergétique métabolisme énergétique

3 Le tissu adipeux beige

3.1 Localisation anatomique, composition et apparition - Localisation

Au cours des années 1980, plusieurs équipes de recherche relatent dans certaines conditions environnementales ou physiologiques la présence de cellules inhabituellement observées au sein du tissu adipeux blanc. Par exemple, une étude montre la présence d’un dépôt adipeux brun dans un tissu adipeux blanc de souris soumise au froid. (Young et al., 1984). A mi-chemin entre le tissu adipeux blanc et brun, ce tissu a ainsi été appelé tissu adipeux beige.

On peut aussi noter que les dépôts adipeux sous-cutanés de rongeurs ont une plus forte tendance à exprimer des marqueurs bruns/beiges comme UCP1 par rapport au tissu adipeux viscéral (Cousin et al., 1993). Dernièrement, le même groupe de recherche a observé une régionalisation structurelle et fonctionnelle de ce phénomène de beigisation au sein du dépôt adipeux inguinal murin, restreint à la zone centrale du tissu (Barreau et al., 2016) (Figure 27).

Figure 27 : Régionalisation de la beigisation au sein du dépôt adipeux sous-cutané inguinal (adapté de Barreau et al., 2016)

80 - Composition

Les adipocytes beiges ont pour particularité d’être plus foncés que les adipocytes blancs. Ils ont en effet un contenu très dense en mitochondries associé à des gouttelettes lipidiques multiloculaires, contrairement aux adipocytes blancs, mais surtout, ces cellules expriment des gènes impliqués dans la thermogenèse non-frissonnante, qui sont en partie les mêmes que ceux exprimés par les adipocytes bruns. Étant donnée leur localisation intrinsèque aux dépôts adipeux blancs, les adipocytes beiges sont entourés de la même fraction stromale-vasculaire que les adipocytes blancs (Figure 28).

Phénotypiquement, des travaux montrent que l’activation du tissu adipeux brun par la noradrénaline induit une morphologie mitochondriale fissionnée des adipocytes bruns, dépendante de la protéine DRP1, essentielle au découplage mitochondrial (Wikstrom et al., 2014). D’autre part, dans une lignée de cellules souches multipotentes dérivées de tissu adipeux humain (lignée hMADS) trans-différenciée en adipocytes beiges (cf. « apparition : différenciation vs trans-différenciation »), une étude montre que leurs mitochondries présentent une morphologie fissionnée avec une augmentation de l’activité de la protéine de fission DRP1. Il est important de noter que dans ce modèle d’adipocytes beiges humains, la protéine DRP1 est requise pour une bonne efficacité de découplage par UCP1 (Pisani et al., 2018).

Figure 28 : Constitution du tissu adipeux beige

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- Apparition : Différenciation vs Trans-différenciation

Par ailleurs, quelques études montrent que les adipocytes beiges pourraient émerger de deux mécanismes distincts (Figure 29).

Le premier est celui selon lequel l’adipocyte beige apparaît de novo à partir d’un précurseur pré-adipocytaire qui se différencie en adipocyte beige si les signaux qu’il reçoit ont pour rôle d’exprimer des gènes thermogéniques. Des travaux chez le rat utilisant le 5-bromodeoxyuridine pour identifier les cellules ayant subi une mitose durant un traitement inducteur de beigisation montrent que la plupart des cellules multiloculaires marquées avec ce marqueur mitotique dérivent des cellules déjà présentes dans le tissu adipeux blanc (Himms-Hagen et al., 2000). Une autre étude plus récente appuie ces observations puisqu’un système de marquage LacZ inductible et permanent des adipocytes matures chez la souris a permis de mettre en évidence que lors d’une activation de la beigisation par un facteur spécifique, la majorité des cellules beiges ayant acquis l’expression d’UCP1 dans le dépôt adipeux sous-cutané ne possèdent pas de marquage LacZ. Par conséquent, cela signifie que les adipocytes beiges dérivent d’une population de précurseurs beiges préexistants dans ce dépôt adipeux (Wang et al., 2013). Durant cette différenciation beige, on note l’intervention des co-activateurs de transcription Prdm16 ou PGC1α, permettant notamment l’expression de PPARγ qui rend possible l’expression d’acteurs impliqués dans la thermogenèse et le phénotype brun/beige. Des études de traçage d’adipocytes beiges montrent alors que ces adipocytes dérivent de précurseurs exprimant les facteurs Sma, Myh11, Pdgfrα ou Pdgrfβ (Ikeda et al., 2018). Enfin, une étude récente chez la souris de séquençage en « single-cell » a montré entre autres qu’un traitement avec un agoniste β3-adrénergique induisait une augmentation de cellules souches adipeuses en prolifération dans un dépôt viscéral, qui se différencieront ensuite en adipocyte bruns/beiges (Burl et al., 2018).

La deuxième possibilité d’apparition d’adipocytes beiges est le mécanisme de trans-différenciation des adipocytes blancs matures sous l’effet environnemental (froid, catécholamines, etc…). Parmi d’autres travaux, une observation montre la capacité des adipocytes blancs uniloculaires à se convertir en adipocytes beiges en réponse à ces inducteurs de beigisation. L’étude en question chez la souris explique que le nombre d’adipocytes beiges est significativement augmenté d’environ la même quantité que celle perdue en adipocytes blancs (Cinti, 2009). Il a aussi été montré qu’en réponse à une

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stimulation au froid, le tissu adipeux blanc inguinal murin subissait une conversion de ses adipocytes en phénotype beige, réversible au bout de cinq semaines à température ambiante (Rosenwald et al., 2013). Une autre étude montre, par une stratégie de traçage d’adipocytes matures et après exposition au froid, que les nouveaux adipocytes beiges apparaissant dans le tissu adipeux blanc inguinal murin sont dérivés d’adipocytes blancs uniloculaires (Lee et al., 2014). De façon intéressante, il existe in vitro la possibilité de trans-différencier une lignée de cellules souches multipotentes dérivées de tissu adipeux humain (hMADS) en adipocytes beiges grâce à la rosiglitazone, un agoniste de PPARγ (Barquissau et al., 2016).

Quel que soit le mode de formation de l’adipocyte beige différencié, il possède très majoritairement les caractéristiques des adipocytes bruns, avec très peu de différences d’un point de vue génique. Comme chez les adipocytes blancs et bruns matures, les adipocytes beiges présentent des niveaux similaires d’expression de gènes adipogéniques blancs tels que aP2, adiponectine ou PPARγ. Par contre, sous stimulation à la forskoline activant l’AMPc, les cellules beiges répondent par induction de l’expression génique d’UCP1 atteignant des niveaux comparables à ceux observés dans le tissu adipeux brun (Wu et al., 2012). Par ailleurs, mise à part la fonction de thermogenèse liée au découplage mitochondrial, l’adipocyte beige a sa propre signature génique, différente de celle des adipocytes bruns, avec notamment une expression génique accrue de Klhl13, Tmem26, CD137, Ear2 ou encore Tbx1. Aussi, les niveaux d’expression de gènes comme Cidea (favorise l’oxydation des acides gras libres) ou PGC1α (biogenèse mitochondriale, transcription d’UCP1) sont également induits dans les adipocytes beiges (Wu et al., 2012). De plus, Elovl3, permet de repeupler la perte d’acides gras induite par le métabolisme accru de l’adipocyte thermogénique en catalysant la formation d’acides gras à très longue chaîne. De façon intéressante, l’étude de Wu et ses collaborateurs montre que la signature génique retrouvée dans les adipocytes beiges murins était très similaire à celle retrouvée dans les adipocytes bruns humains.

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Figure 29 : Origines, étapes et marqueurs de différenciation beige

3.2 Fonction thermogénique (UCP1 dépendante et indépendante)

Comme pour le tissu adipeux brun, le rôle principal des adipocytes beiges est leur fonction thermogénique grâce au découplage mitochondrial, et notamment via UCP1. Il est important de noter que la quantité protéique d’UCP1 dans le tissu adipeux blanc lors d’une adaptation au froid par exemple reste faible (10% de la quantité retrouvée dans le tissu adipeux brun), même si l’induction des transcrits est conséquente. Néanmoins, l’induction de l’ARNm d’UCP1 est maximale quelques heures après la stimulation au froid et revient ensuite à un taux basal alors que la protéine UCP1 n’est induite que bien après. Il apparaît alors que la capacité thermogénique de ce tissu réside dans la quantité protéique d’UCP1 et non pas dans l’induction transitoire des transcrits (Nedergaard et Cannon, 2013). De manière surprenante, les protéines découplantes ne sont pas les seules responsables de la thermogenèse mitochondriale dans le tissu adipeux. Il a effectivement été démontré qu’il existait une biogenèse mitochondriale associée à la beigisation chez des souris dépourvues de la protéine UCP1. De plus, par des expériences de patch clamp sur mitochondries isolées à partir de tissu adipeux brun ou blanc (inguinal et épidydymaire), deux types de thermogenèse

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mitochondriale ont été mises en évidences ; dans le tissu adipeux brun et inguinal, la fuite des protons a lieu de façon dépendante d’UCP1 alors que dans le tissu adipeux épidydymaire, elle a lieu en majorité indépendamment d’UCP1. Les adipocytes beiges n’étant pas dépendants de la protéine UCP1 pour la thermogenèse ont néanmoins la même morphologie que les autres adipocytes beiges (Bertholet et al., 2017).

Mécanistiquement, il existe un cycle futile de la créatine au niveau de l’espace inter-membranaire de la mitochondrie qui permet d’hydrolyser un excès d’ATP résultant d’un surplus de consommation d’oxygène au niveau de la chaîne de transport des électrons. Dans le tissu adipeux beige, des analyses protéomiques ont identifié une signature spécifique selon laquelle la créatine augmente la respiration mitochondriale de ce tissu (Kazak et al., 2015). Par ailleurs, il a été montré que l’élévation du cycle du calcium au niveau du réticulum endoplasmique, via l’activation de récepteurs α1 et β3 adrénergiques ou du système SERCA2b-RyR2, stimulait la thermogénèse indépendante d’UCP1 dans des adipocytes beiges ((Ikeda et al., 2017) ; (Chouchani et Kajimura, 2019)).

3.3 Inducteurs de la thermogenèse adipocytaire beige

L’apparition des adipocytes beiges peut être induite de diverses façons. Chez l’humain, quelques études révèlent l’existence du processus de beigisation, notamment au sein du tissu adipeux sous-cutané lors d’une situation post-traumatique de brûlure induisant un stress chronique adrénergique (Sidossis et al., 2015). Une autre étude met en évidence que douze semaines d’exercice physique à raison de trois jours par semaine chez des personnes non diabétiques permet d’induire une signature génique beige dans leur tissu adipeux blanc abdominal sous-cutané (Otero-Díaz et al., 2018). En opposition, des travaux aussi récents soulèvent une disparité de localisation du processus de beigisation entre l’humain et la souris.

En effet, l’expression génique propre aux adipocytes beiges est plutôt prépondérante au niveau des dépôts adipeux viscéraux chez l’humain, contrairement à la souris dans laquelle ces gènes sont induits dans les dépôts adipeux sous-cutanés (Zuriaga et al., 2017). Il est cependant important de noter que le tissu adipeux péri-épididymaire utilisé dans cette étude, dit viscéral, est plutôt un tissu adipeux intra-abdominal que viscéral.

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- Le froid, le tonus adrénergique et les peptides natriurétiques

Le froid est un régulateur majeur de la thermogenèse adipocytaire. Il stimule notamment les thermorécepteurs de la peau qui transmettent alors un signal de « défense » par le système nerveux sympathique afin de préserver une température constante au sein de l’organisme. Ainsi, les terminaisons nerveuses sympathiques libèrent des catécholamines pour activer les récepteurs β-adrénergiques localisés sur les adipocytes bruns ou blancs (qui deviendront beiges). L’utilisation d’agonistes des récepteurs β-adrénergiques peut également induire ce phénomène (Harms et Seale, 2013). Le froid ou encore la restriction calorique sont aussi connus pour induire une libération de catécholamines par les macrophages de type anti-inflammatoires ((Nguyen et al., 2011) ; (Fabbiano et al., 2016)). Cependant, ce mécanisme d’induction de la beigisation via les macrophages reste très controversé puisqu’une étude de 2017 contredit ce mode de fonctionnement (Fischer et al., 2017). Plusieurs types de signaux en aval de la PKA peuvent alors entrer en jeu tels que la phosphorylation de la protéine CREB ou de la protéine P38 par exemple pour induire un programme génique d’expression d’acteurs de la thermogenèse mitochondriale incluant UCP1. P38 phosphoryle/active Atf2 et PGC1α pouvant alors se lier à l’ADN en interagissant avec des co-activateurs de transcription ou des récepteurs nucléaires pour induire l’expression d’UCP1 ou de PGC1α lui-même (Harms et Seale, 2013). Les signaux intracellulaires en aval des récepteurs β-adrénergiques sont cependant multiples et il apparaît par exemple que l’activation de mTORC1 est essentielle à la stimulation de la beigisation du tissu adipeux (Liu et al., 2016).

Les peptides natriurétiques provenant du cœur (type ANP et BNP), libérés en cas de déficience cardiaque ou d’hypertension, sont également impliqués dans le processus de beigisation du tissu adipeux blanc. Ainsi, à travers un mécanisme similaire à la réponse aux catécholamines via la cascade « AC-AMPc-PKA », les peptides natriurétiques activent la guanylate cyclase (GC) ce qui permet d’accroître les taux de GMPc intracellulaires ainsi que la PKG. Cela permet alors l’expression de gènes thermogéniques de manière dépendante de la phosphorylation de P38 dans les adipocytes murins et humains (Bordicchia et al., 2012).

86 - Autres signaux inducteurs

Plus récemment, plusieurs études mettent en évidence une multitude d’autres signaux capables d’induire ce phénomène de beigisation du tissu adipeux blanc au sein duquel des adipocytes beiges font surface (Figure 30). Par exemple, le facteur de croissance FGF21 produit par le foie (Fisher et al., 2012), les hormones thyroïdiennes T4/T3 (Martínez-Sánchez et al., 2016), l’hormone circulante irisine (cible de PGC1α) produite par le muscle squelettique lors d’un exercice physique (Bostrӧm et al., 2012), certaines protéines de la famille des Bone Morphogenetic Proteins (type BMP8b) (Whittle et al.,2012) ou encore les espèces réactives de l’oxygène mitochondriales (Chouchani et al., 2016) peuvent induire de la thermogenèse par les adipocytes.

Figure 30 : Inducteurs de beigisation (adapté de Harms et Seale, 2013)

Outre l’induction de ce phénomène par des conditions environnementales ou physiologiques multiples afin de préserver une homéostasie thermique de l’organisme, la connaissance sur l’origine des adipocytes beiges reste encore incomplète.

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