• Aucun résultat trouvé

Conclusion : discussion des résultats expérimentaux

Nos résultats démontrent que les souris SN ont une dépense énergétique plus élevée que celle des souris WT, phénotype qui semble s’accentuer avec l’âge des souris. Nous avons choisi d’analyser la dépense énergétique en la normalisant au poids métabolique des animaux.

Cette normalisation est largement controversée dans la littérature, ayant faussé nombre d’analyses, notamment du fait de la contribution différente des tissus maigres et gras lors de comparatifs d’individus minces vs obèses (Butler et Kozak, 2010). Toutefois dans le cas présent, le déficit en poids des animaux SN est lié à un retard de croissance, associant retard de taille et de poids, et réduction concomitante des tissus maigres et gras, bien que la proportion de masses grasse et maigre soit significativement modifiée. C’est pourquoi il nous a semblé pertinent de considérer le paramètre normalisé dans cette étude. A noter que dans une étude clinique sur des patients atteints du SC, Leoni et al. retrouvent une dépense énergétique diminuée chez les patients, mais qui devient significativement supérieure lorsque normalisée au poids ou à la surface corporelle, et associée à une augmentation de la prise alimentaire (Leoni et al., 2016). Il serait donc intéressant d’évaluer si ce phénotype est retrouvé chez des patients atteints de SN, notamment ceux portant une mutation de PTPN11.

Dans ce sens, de façon cohérente, les résultats du laboratoire montrent une adiposité sensiblement diminuée chez les patients SN-PTPN11, bien que nous n’ayons pas eu l’opportunité de mesurer la dépense énergétique chez ces patients.

A l’échelle des tissus métaboliquement actifs, nos résultats révèlent une augmentation de la densité, de la biogenèse et de l’activité mitochondriales, spécifiquement dans le tissu adipeux blanc SC, et dans une moindre mesure le tissu adipeux PG, alors que dans les autres tissus testés (tissus maigres tels que le foie et le muscle squelettique), il existe un effet miroir de ces paramètres qui restent normaux, voire sensiblement diminués. Le tissu adipeux blanc ayant une composition cellulaire complexe, il serait intéressant de caractériser le statut énergétique des différentes cellules le composant, notamment les adipocytes matures, les pré-adipocytes mais aussi les cellules inflammatoires. En effet, les résultats de l’équipe montrent une infiltration de macrophages pro-inflammatoires, connus pour avoir une forte

118

activité métabolique, dans différents tissus métaboliques dont le tissu adipeux SC (Paccoud et al., en révision, annexe 2).

Nos résultats révèlent également que le tissu adipeux SC présente des caractéristiques de beigisation avec notamment une expression accrue de la protéine découplante thermogénique UCP1, potentiellement responsable de l’augmentation de la respiration mitochondriale dans ce tissu. Ce processus semble gouverné par des mécanismes intrinsèques : en effet, nous n’avons pas mesuré de différence de concentration plasmatique de plusieurs facteurs circulants connus pour promouvoir la beigisation. Toutefois, une multitude d’autres facteurs extérieurs au tissu adipeux sont capables d’induire ce phénotype (peptides natriurétiques, irisine, BMP8b, hormone thyroïdienne, espèces réactives de l’oxygène), dont la contribution éventuelle reste à explorer. De plus, plusieurs arguments sont en faveur d’une sensibilité accrue du tissu adipeux aux catécholamines, inducteurs connus de la beigisation : d’une part, nous mesurons une hypersensibilité à l’isoprénaline dans des tests de lipolyse sur adipocytes isolés. D’autre part, lors des expériences de calorimétrie indirecte, nous avons observé que le quotient respiratoire s’effondrait chez les animaux SN durant les premières heures d’acclimatation, laissant présager d’une potentialisation de la lipolyse induite lors du stress. Cette hypersensibilité aux catécholamines pourrait donc expliquer l’orientation beige du tissu adipeux. Il serait intéressant de tester cette hypothèse en traitant les animaux par des β-bloquants pour évaluer si cela réverse la beigisation du tissu adipeux SC dans des souris SN. En termes de processus intrinsèques, nos travaux montrent également une légère altération de la différenciation blanche de la FSV du tissu adipeux SC SN, avec une augmentation d’expression du marqueur pré-adipocytaire beige Prdm16 qui signerait une préférence de différenciation beige. Aussi, l’expression d’un mutant SN dans la lignée pré-adipocytaire hMADS suffit à promouvoir la trans-différenciation beige de ces cellules, attestant d’un mécanisme cellule autonome, qui reste à explorer. Il serait intéressant de confirmer ces observations in vivo, afin d’évaluer si l’expression d’un mutant SN de SHP2 dans le tissu adipeux (Adiponectine-Cre/SHP2 SN) suffit à induire sa beigisation. Alternativement, il serait possible de greffer du tissu adipeux SC de souris SN dans des souris WT, pour déterminer s’il conserve ses propriétés beiges.

119

Par ailleurs, la beigisation paraît être dépendante de l’hyperactivation de la voie RAS-MAPK, dans la mesure où l’augmentation de biogenèse mitochondriale et la surexpression d’UCP1 dans le tissu adipeux SC des SN sont réversées par un traitement chronique des animaux SN avec un inhibiteur de MEK. Il serait judicieux de compléter ces observations avec des mesures d’activité et des analyses histologiques. De façon intéressante, les MAPK ERK1/2 jouent un rôle majeur dans le contrôle de la différenciation adipocytaire blanche et brune, de même que différents processus de trans-différenciation, laissant supposer qu’elles peuvent également influencer l’orientation de ces cellules vers un phénotype beige ((Bost et al., 2005) ; (Kim et al., 2015)). Par conséquent, il sera également intéressant d’évaluer in vitro si l’inhibition de MEK réduit le processus de trans-différenciation beige dans des hMADS ou bien dans une lignée adipocytaire murine comme dans des 3T3-F442A. Il est intéressant de noter que la voie RAS-MAPK peut réguler la signalisation en aval des récepteurs adrénergiques, en les phosphorylant (Hong et al., 2018). Malgré cela, nous ne pouvons pas exclure l’éventuelle implication des acteurs P38-PPARγ dans le processus de différenciation adipocytaire des SN.

Il a en effet été montré que SHP2 inhibait P38 pour permettre la différenciation adipocytaire blanche via PPARγ (He et al., 2013).

L’identification d’un processus de beigisation du tissu adipeux SC en lien avec une augmentation de la dépense énergétique pose également la question de la contribution de cette beigisation à la dépense énergétique totale des animaux. Nos résultats, bien que préliminaires, montrent effectivement que les animaux SN semblent présenter une résistance au froid, et que l’augmentation de la dépense énergétique des animaux SN n’est plus observée lorsque les animaux sont placés à thermoneutralité. Aussi, dans divers modèles pré-cliniques, l’induction d’un phénotype brun/beige s’accompagne d’une augmentation de la dépense énergétique ((Whittle et al., 2012) ; (Yan et al., 2016)). Pour tester cette hypothèse et comme évoqué précédemment, il serait nécessaire d’évaluer si l’expression de mutants SN de SHP2 restreinte au tissu adipeux s’accompagne d’une beigisation de ce tissu et suffit à augmenter la dépense énergétique des animaux. Comme évoqué précédemment, il serait possible de réaliser des greffes de tissu adipeux SC de souris SN dans des souris WT afin d’en mesurer la maintenance beige et, dans l’affirmative, l’impact sur la dépense énergétique.

Toutefois, considérant les rôles multiples de SHP2 dans les différents tissus métaboliques, illustrés notamment par le phénotype métabolique des modèles d’expression

120

ou de délétion de SHP2 tissu-spécifiques, il est probable que l’augmentation de la dépense énergétique des animaux SN soit la résultante de l’effet dans différents tissus et organes.

Ainsi, l’inactivation de SHP2 dans le foie, mais aussi l’expression d’un mutant SN dans le cerveau, sont toutes deux associées à une augmentation de la dépense énergétique des animaux, attestant de rôles opposés de SHP2 dans la régulation du métabolisme énergétique selon le tissu considéré, probablement en lien avec des mécanismes moléculaires différents ((Nagata et al., 2012) ; (He et al., 2012)). A l’appui d’une contribution d’autres tissus, dans les protocoles de réversion phénotypique, l’observation d’une diminution des marqueurs de beigisation du tissu adipeux SC sans diminution de la dépense énergétique est un argument en défaveur d’un lien direct entre ces deux processus. Bien qu’il soit possible que la durée du traitement n’ait pas permis une modification perceptible de la dépense énergétique, ou ait induit d’autres effets contrebalançant la moindre beigisation (e.g. augmentation de l’activité spontanée), d’autres mécanismes entrent certainement en jeu comme des régulations hormonales. Un candidat tout à fait prometteur serait notamment la leptine, dont les taux sont effondrés chez les patients et les souris SN (cf. annexe 2), et dont la signalisation est fortement dépendante du couple SHP2/RAS-MAPK (cf. Discussion générale).

Enfin, de façon contradictoire avec les résultats obtenus sur le tissu adipeux SC, ces travaux révèlent que, dans des cellules de type fibroblastique, l’expression d’un mutant SN de SHP2 induit une diminution de la biogenèse et de l’activité mitochondriale et semble influencer la balance fusion/fission en faveur de la fission. Il faudrait toutefois confirmer la fragmentation par microscopie, malgré une mise au point actuelle difficile sur les MEFs. Au-delà des MEFs et au plus près d’un modèle physiologique, nous pourrions établir une culture primaire de myocytes, d’hépatocytes, ou bien de fibroblastes de patients SN disponibles, afin d’observer ce réseau mitochondrial en microscopie. Il serait aussi nécessaire de voir si cette augmentation de fission est dépendante de l’hyperactivation des MAPK ERK1/2, dans la mesure où il a été proposé que les kinases ERK pouvaient phosphoryler DRP1, et ainsi promouvoir la fission mitochondriale ((Kashatus et al., 2015) ; (Prieto et al., 2016)).

Alternativement, ayant été décrit que SHP2 pouvait être actif au sein même de la mitochondrie ((Arachiche et al., 2008) ; (Guo et al., 2017) ; (Salvi et al., 2004)), il est possible que le mutant SN de SHP2 affecte directement la fonction mitochondriale. Les effets observés dans les MEFs pourraient aussi refléter un stress cellulaire, associé notamment à une élévation

121

des espèces réactives de l’oxygène, puisque nous relevons une augmentation de l’expression génique de marqueurs pro-hypoxiques (HIF1α, VEGFR) ainsi qu’une élévation de la concentration en lactate extracellulaire (à confirmer), qui nous permet de suggérer que le métabolisme des cellules portant la mutation SN se tourne vers un métabolisme glycolytique.

Bien que contradictoire avec les résultats obtenus dans le tissu adipeux SC, ces données confirment des résultats publiés (Lee et al., 2010) et rappellent le profil observé dans des tissus maigres comme le foie et le muscle, laissant supposer un impact différentiel selon le type cellulaire ou son environnement. Cette disparité mitochondriale avec le tissu adipeux SC pourrait s’expliquer par l’implication d’une autre voie de signalisation que la voie RAS-MAPK selon les tissus, mais aussi, par une gestion différentielle des substrats entre les différents tissus (cf. Discussion générale).

Ces travaux permettent ainsi de comprendre une partie des mécanismes métaboliques énergétiques associés au SN, et notamment de la contribution probable du tissu adipeux beige à l’augmentation de la dépense énergétique. Bien que la mécanistique cellulaire sous-jacente reste à compléter, la mutation SN D61del induit une modification de la différenciation adipocytaire mais touche aussi la fonction et la dynamique mitochondriale. Cette étude de thèse devient ainsi une ouverture pour de nouvelles perspectives quant à l’étude de mécanismes communs aux Rasopathies et aux maladies métaboliques fréquentes.

122