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Carte 2. Le quartier centre-ville de l’arrondissement de Chicoutim

5. Peut-on en tirer quelques conclusions?

Dans ce texte, nous avons voulu montrer que la mobilisation des organisations de la société civile, aussi nécessaire soit-elle, fait face à de nombreuses difficultés qu’on aurait tort de sous- estimer. Cette mobilisation nous semble néanmoins nécessaire pour de nombreuses raisons. D’une part, la mondialisation s’est

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manifestée comme une métropolisation qui a marginalisé les villes petites et moyennes et a approfondi les écarts entre régions centrales et « régions qui perdent » (Côté, Klein et Proulx, 1995). De plus, parce l’État postprovidentialiste impose aux organisations de la société civile de grandes responsabilités sans nécessairement leur accorder les ressources nécessaires, le reflux néolibéral qui a dominé les 30 dernières années a provoqué une hausse notable des inégalités entre catégories sociales, mais aussi entre lieux et territoires. Les espaces centraux des villes moyennes, surtout si elles sont situées « en région » (ce qui est souvent un pléonasme), concentrent donc de nombreuses difficultés, ainsi que les populations qui en pâtissent.

Le cas de Chicoutimi, dans la ville de Saguenay, n’est sans doute pas représentatif de l’ensemble, mais il est, croyons-nous, assez typique de la situation québécoise. Nous avons cherché à illustrer sa situation, difficile non seulement lorsqu’on considère les indices statistiques décrivant l’état de sa population résidante, mais aussi lorsqu’on constate combien difficile et souvent désorganisée est la mobilisation pour la revitalisation des espaces centraux. Nous pouvons comprendre une bonne partie de ces difficultés lorsqu’on considère, d’une part, les interactions entre les organisations communautaires et leur environnement social (ce que nous avons appelé leur inscription sociale), et, d’autre part, leur environnement physique « inscription spatiale ».

Surmonter ces difficultés ne nous semble être possible qu’à la condition de faire des quartiers centraux un espace public où soient organisées l’expression et la réalisation des volontés structurées des résidants. L’approche de la revitalisation intégrée qui met l’accent sur la participation citoyenne, la concertation intersectorielle et multiréseaux peut constituer une perspective permettant d’inscrire les questions des conditions de vie et de qualité de vie des populations à l’intérieur d’un cadre lié au développement territorial local.

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Cependant, cela n’est pas facile, car la gestion des institutions collectives est, à Saguenay comme souvent ailleurs, le terrain choisi des élites locales, ainsi qu’elles s’appellent souvent elles- mêmes, qui n’ont guère envie de laisser d’autres acteurs envahir leur territoire. En fait, on pourrait comprendre une bonne partie des actions de ces élites comme des stratégies visant à restreindre cet accès : élimination de toute opposition, contrôle sur les institutions économiques, sociales et culturelles, centralisation des décisions entre les mains d’un petit groupe d’élus et de conseillers politiques (non-élus), réduction de la notion de politique aux seules situations électorales, noyautage des organisations, la liste est longue. Certains parlent même de chantage aux subventions. Le résultat est ce qu’il est convenu d’appeler le « déficit démocratique » : un tel éloignement entre la société civile et ses institutions politiques représentatives que la mécanique de l’organisation de la société en est grippée.

L’évolution de la société québécoise depuis 30 ans n’a rien fait pour arranger les choses. L’idée de partenariat a semblé une façon judicieuse d’orienter et de coordonner les efforts des divers acteurs sociaux. Elle est devenue la marque de commerce du « modèle québécois ». Mais elle a pris une telle place qu’il n’y a plus, maintenant, que des partenaires. Conflits, oppositions, désaccords, intérêts divergents, tous ces termes n’ont plus cours, qui, classiquement, servaient à comprendre les relations politiques d’une société complexe. On assiste, de façon paradoxale, à une simplification des cadres d’interprétation de la réalité, devenus incapables de dire autre chose que le consensus. Comment faire émerger des solutions innovantes si on ne fait pas place à des énoncés alternatifs? Il nous semble qu’afin d’élaborer des projets de revitalisation sociale et territoriale, les divers acteurs sociaux doivent aller au-delà du repli social, du pragmatisme myope et laisser s’exprimer aussi la conflictualité dans un véritable débat public pour la revitalisation intégrée des espaces centraux.

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