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LES ESPACES COMMUNAUTAIRES ET D’ÉCONOMIE SOCIALE COMME LIEU D’ANCRAGE DE L’INNOVATION SOCIALE

2. Localisation : Accroissement du

pouvoir décisionnel des milieux locaux 3. Économie sociale : Reconnaissance accrue du mouvement d’action communautaire et d’économie sociale 4. Participation citoyenne : encouragement d’une démocratie de proximité

IST et contexte d’évolution des politiques publiques québécoises

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conférences régionales des élus sur le plan des affaires municipales, à la nouvelle loi sur les services de santé et les services sociaux qui posent les CSSS en tant qu’instances centrales des réseaux locaux de services, ou encore à la Politique nationale de la ruralité visant le dynamisme des communautés locales. Il en va de même du réseau de l’éducation et de l’enseignement supérieur, des services de garde, des organismes communautaires et des organismes socio-économiques avec là aussi une volonté d’ancrage dans les territoires locaux. Tous ces réarrangements laissent entrevoir la possibilité de nouvelles configurations d’acteurs permettant aux communautés locales de se reconnaître comme agents d’une action nouvelle sur elles-mêmes et leur développement.

L’enjeu de l’ancrage territorial des acteurs

Dans l’action territoriale, les organisations sectorielles, entrant en relation avec les communautés locales, ont à réinterpréter leur mandat en fonction d’un nouvel espace symbolique de définition de soi comme de l’action à bâtir.

Comme le rapporte le programme national de santé publique du Québec, la transversalité propre aux approches de développement des communautés s’inscrit obligatoirement dans une diversité posant tout un défi aux acteurs :

La transversalité rappelle donc que la stratégie se situe au croisement de plusieurs intérêts, de plusieurs approches, de multiples connaissances, d’enjeux et de secteurs d’activité locaux souvent liés aux paliers régional et national. Cette multiplicité d’acteurs et de déterminants sont présents et activent les milieux. (MSSS, 2008 : 62)

Claude Jacquier et Dominique Mansanti (2005) posent très clairement cet enjeu de l’altérité constitutive, pourrions-nous dire, des approches de développement social local :

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Il est particulièrement délicat de construire des collaborations entre des acteurs et des professionnels inscrits dans des champs de politiques sectorielles étrangers les uns aux autres même si, le plus souvent, les objets et les populations dont ils traitent sont les mêmes. (Jacquier et Mansanti, 2005 : 21)

Dans notre démarche, il faut comprendre que mettre l’accent de l’ancrage identitaire sur le territoire n’est pas faire de ce territoire le lieu unique d’appartenance pour les individus, les associations ou les institutions, mais un lieu de référence parmi d’autres et se conjuguant, bien qu’en tension, avec eux. La participation à une identité territoriale légitime les acteurs à réinterpréter et à justifier leur mandat sectoriel particulier, mais non à s’en défaire. Il ne s’agit donc pas d’affirmer le territoire comme la seule valence identitaire de l’organisation, le seul ancrage, mais de poser tout de même ce territoire comme un lieu référentiel significatif d’appartenance, de sens, de compréhension et de production de soi. L’identité de l’organisation est composite et peut même fluctuer selon les projets investis. Mais trop souvent la référence territoriale est complètement oblitérée, l’organisme public, si l’on prend celui-ci, opère en quelque sorte comme une succursale de prestation de services sans se relier à la dynamique spécifique des communautés locales desservies. Comme nous le faisions valoir dans un rapport de recherche sur les pratiques de développement des communautés,

C’est [la] participation à une identité territoriale qui permet aux acteurs, dans des projets spécifiques, de sortir de leur identité institutionnelle, sectorielle ou strictement professionnelle et d’expérimenter de réelles pratiques de partenariat. […] Les partenariats permettent aux acteurs de […] se reconnaître mutuellement comme partie d’un ensemble commun au fondement d’une réalité de communauté et de territoire. (Caillouette et

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La perspective de narrativité et d’identité narrative des acteurs nous semble particulièrement intéressante pour rendre compte du travail d’interprétation et de réinterprétation que doivent réaliser les acteurs pour se reconnaître dans les nouveaux cadres d’appartenance que demandent les approches territoriales.

« L’espace d’expérience » des acteurs, c'est-à-dire leur histoire passée, plus spécifiquement la figuration de celle-ci, entre en articulation avec « l’horizon d’attente » que provoque chez eux leur participation au dispositif d’action collective territoriale construite avec leurs partenaires. Cet « espace d’expérience », l’histoire passée, loin de s’opposer polairement à « l’horizon d’attente », le projet futur émergeant de la rencontre en altérité avec d’autres acteurs, se transforme en se réinterprétant : « espace d’expérience et horizon d’attente se conditionnent en fait mutuellement » (Ricoeur, 1985 : 289)

Le défi de l’accompagnement des innovations sociales territoriales (IST)

Les processus d’innovation sociale exigent la mobilisation des populations et des différents acteurs sur le territoire dans des projets où il y a expérimentation de soi de manière nouvelle. Or, des accompagnements sont en partie nécessaires pour faciliter ces mobilisations. Nous pensons ici aux différents métiers ou professions reliés à l’organisation communautaire territoriale. Songeons aux organisateurs communautaires des centres de santé et services sociaux (CSSS), selon leur composante de centres locaux de services communautaires (CLSC), depuis longtemps actifs dans les MRC et les municipalités, mais aussi à ce que Martin Robitaille (2008) nomme les nouveaux métiers de l’organisation communautaire. Pensons, par exemple, aux professionnels dans les carrefours jeunesse-emploi (CJE) ou dans les services d’aide aux collectivités (SADC), de même qu’aux agents de développement rural, dans les centres locaux de développement (CLD) ou MRC, dont le travail vise à accroître les capacités des communautés à innover.

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Souvent, sur la base d’un référent territorial local, ces divers métiers d’organisation communautaire visent à créer une cohésion plus forte entre les différents acteurs sur le territoire, ou au service de ce territoire. Les mises en lien qu’ils facilitent permettent de créer des dynamiques entrepreneuriales au service des collectivités avec qui ils travaillent. Pour faire advenir des projets, des visions partagées et des participations citoyennes, ces professionnels sur les territoires locaux entrent autant en lien avec les milieux politiques des municipalités et des MRC ou des organisations locales ministérielles comme les CSSS qu’avec la société civile représentée par les membres des organismes associatifs locaux.

Tout ce travail d’accompagnement vers des collaborations et du travail en commun inédits facilite l’émergence de projets porteurs d’IST. C’est ce que Martin Robitaille appelle des « expertises professionnelles décloisonnées » tournées vers l’innovation, « capables de s’adapter à des situations nouvelles » (Robitaille, 2008 : 11). Mais là aussi, sur le plan local, une harmonisation plus forte entre les diverses pratiques et savoirs est à inventer.

La capacité de travailler ensemble dans des projets concrets crée les communautés. C’est dans leurs actions, et seulement par elles, que celles-ci peuvent s’expérimenter et se reconnaître comme capables, agissantes et compétentes. Les milieux communautaires et d’économie sociale, avons-nous défendu, sont des outils importants pour aider les communautés locales à se poser comme actrice de leur développement. Toutefois, l’action des communautés locales ne peut pas se comprendre uniquement par l’action citoyenne déployée dans ces secteurs. Pour que les espaces communautaires et d’économie sociale expriment toute leur capacité de transformation des communautés locales, notamment dans leur capacité d’action citoyenne, il importe de travailler à une redéfinition du rapport des organisations publiques avec la société civile. Au-delà d’une action externe tournée uniquement vers une offre sectorielle de services aux individus, les différentes organisations publiques ont à se

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concevoir comme partie agissante des communautés locales. Au sein même de leur offre de services, ces organisations, a-t-on fait valoir, ont à se poser dans des actions en appui aux projets, actuels et potentiels, des communautés locales qu’elles desservent. Au moyen de processus d’innovation sociale territoriale (IST) continuellement réactualisés, ces communautés deviennent ainsi des milieux de plus en plus capables d’initier de nouveaux projets et habiles à renforcer leur capacité d’action sur elles-mêmes comme collectivité agissante et en réponse à de nouveaux besoins qu’elles identifient.

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LA REVITALISATION DES ESPACES CENTRAUX DES VILLES