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THIERRY TANQUEREL

Dans le document Les électeurs étrangers (Page 39-42)

de résidence qu'en Suisse."" La question du double droit de vote n'apparaît donc pas comme un argument déterminant pour refuser l'octroi de droits politiques aux étrangers bien intégrés.

128. A nos yeux, l'argument d'égalité qui a le plus de force est celui tiré du suffrage universel. Celui-ci ne mérite son nom que s'il ne laisse pas de côté une frange signi-ficative de la population stable et intégrée, créant dans la société deux catégories de personnes: les nationaux, qui seuls accèdent à la citoyenneté, et les établis, qui sont soumis quasiment au même régime juridique, en tennes de droits et de devoirs Cà l'exception, pour les hommes en âge de porter les armes, du service militaire), mais sont privés du droit de participer aux décisions politiques. Cet argument n'est cependant qu'une version différemment exprimée de la thèse de base liée à la réalisation du principe du suffrage universel et exposée plus haut.

4.4

Une approche progressive et différenciée?

129. Le fait que les droits politiques puissent s'exercer en Suisse sur trois niveaux institutionnels distincts permet de donner une réponse nuancée à la question de l'octroi de ces droits aux étrangers. '" L'exposé de la situation actuelle en la matière a d'ailleurs montré que c'est bien cette approche graduelle et différenciée qui a prévalujusqu'ici192 et rien n'indique qu'un changement soit en vue à cet égard.

130. Il est certain que les affaires traitées sur le plan communal, que cela soit par les autorités élues ou par le biais de la démocratie directe, ne mettent pas en jeu l'avenir de la nation. Il s'agit de dossiers de portée locale qui concernent au pre-mier chef les habitants de la commune, même si parfois, notamment pour les équipements des communes centrales des agglomérations, leurs effets peuvent se faire sentir dans un rayon plus large. Par ailleurs, les communes sont à l'évidence de simples collecrivités territoriales et non des Etats. Sauf dans le cas très particu-Her des (bourgeoisies», qui coexistent dans quelques cantons avec les communes politiques et qui se consacrent essentiellement à la gestion de leur patrimoine et à la fourniture de diverses prestations sociales ou culturelles, 193 la titularité du «droit de cité» d'une commune n'est pas une condition pour y exercer les droits poli-tiques. La question de la loyauté envers le pays en cas de conflit, celle du service militaire, ainsi que celle du double droit de vote n'ont que peu d'importance sur le plan communal.

131. La commune, domaine des (scrutins de proximité»),19' apparaît ainsi comme le terrain naturel de la démocratie territoriale. Il n'est donc pas étonnant que l'octroi

190 SupraN 112.

191 THÜRER [no 841. 201.

192 Supra N 51 55.

193 AUER et al. In. 51. N 235.

1~~ DELPEREE (n. 1431. 15.

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des droits politiques aux étrangers sur le plan communal est le pas qui semble à beaucoup le plus facile à franchir.'" Il est tout aussi normal que ce soit en général à ce niveau que cette démarche a pu aboutir dans quelques cantons.

132. La question est plus âprement disputée s'agissant du niveau cantonal. S'ils ne sont pas souverains, contrairement à la lettre de l'art. 3 Cst. féd., les cantons pos-sèdent toutes les auttes caractéristiques d'un Etat.l96 Ils disposent d'une autonomie constitutionnelle, qui leur permet de s'organiser librement dans les limites posées par le droit fédéral. Ils participent à l'expression de la volonté fédérale, lors des scrutins fédéraux constitutionnels, ainsi qu'en désignant un ou deux représentants au Conseil des Etats. Les décisions politiques des cantons ont une portée incontes-tablement plus large, dans le temps et dans l'espace, que celles des communes.

133. Une partie de ceux qui soutiennent ou s'accommodent de l'octroi de droits politiques aux étrangers sur le plan communal sont dès lors farouchement opposés à l'extension de ces droits au niveau cantonal.197 Pour d'autres, dont nous sommes, il convient de ne pas surestimer la nature étatique des cantons, ainsi que l'importance de la nationalité dans la capacité de décision politique à ce niveau.

Matériellement, les normes et décisions adoptées sur le plan cantonal restent de portée locale. Il n'est pas possible de comparer les cantons suisses, même les plus importants, avec la plupart des Etats américains ou des Liinder allemands. Même s'ils exercent les fonctions traditionnelles d'un Etat, les cantons restent, dans leurs compétences et leur influence sur la vie de la population, des collectivités territo-riales. L'avenir de la nation ne se joue pas davantage dans les cantons que dans les communes. Au surplus, s'agissant des droits politiques des ressortissants suisses, c'est déjà le principe territorial qui s'applique:'" nous avons vu que les cantons peuvent tout au plus imposer un délai de résidence de trois mois avant d'accorder les droits politiques aux nationaux suisses qui ne possèdent pas le droit de cité cantonal.\t9 Or, on peut douter qu'un ressortissant de Saint-Gall qui, par hypo-thèse, arrive à Genève sans parler un mot de français soit par principe plus apte à participer à la vie politique de ce canton qu'un ressortissant français qui y est établi depuis 10 ans.""

134. A notre avis, les 'raisons qui militent en faveur de l'octroi des droits politiques aux étrangers après un délai de résidence adéquat s'appliquent encore parfaite-ment aux cantons, pour lesquels le modèle de la démocratie territoriale reste tout à fait adapté. Deux cantons, Neuchâtel et le Jura, ont d'ailleurs franchi ce pas.

195 Voir dêjà CAVIN ln. 150), 85; voir aussi GRISEl ln. 841. 80; HEUSSER ln. 2), 256.

1'6 MARTENET ln. 141. 21 55. 1'7 P. ex. CAVIN ln. 1501. 84.

", HEUSSER ln. 21. 254 SS; GRlsELln. 221. N 195.

191 Supra N 14.

200 Pour un argument analogue, MARQUIS & GROSSI {no 1511. 37.

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135. Si l'on en vient au niveau fédéral, il n'y a pas d'obstacle de principe à passer, là aussi, de la démocratie nationale à la démocratie territoriale. Le. Royaume-Uni admet bien que des étrangers, certes ressortissants d'un Etat du Commonwealth, participent à l'élection du parlement de Westminster."" Il faut cependant recon-naître que les décisions prises sur le plan fédéral peuvent porter sur l'avenir même du pays et que l'organisation de la société internationale n'a pas atteint le niveau qui permettrait sans autre un passage à la démocratie territoriale_ Le découplage à ce niveau entre nationalité et droits politiques est dès lors plus difficilement envi-sageable. "" Il n'a d'ailleurs pas encore été sérieusement envisagé.

136. Au-delà des considérations de principe, il n'est pas inutile, si l'on a le souci de réaliser au mieux le principe du suffrage universel, quelle que soit la voie pour y parvenir, d'évoquer le contexte politique auquel toute proposition aboutissant à élargir la part de la population bénéficiant des droits politiques sera. confrontée.

Une éventuelle proposition d'accorder des droits politiques aux étrangers sur le plan fédéral n'a strictement aucune chance. Une telle proposition nécessiterait une révision de la Cst. féd., donc l'accord de la majorité du corps électoral fédéral et de la majorité des cantons (art. 140 al. 1 let. a et 142 al. 2 Cst. féd.), ce qui apparaît pour encore longtemps impossible. Un assouplissement des conditions d'acquisition de la nationalité suisse exige, à tout le moins en ce qui concerne la condition de résidence minimale de douze ans, une modification de la législation fédérale. Nous avons vu qu'un projet en ce sens est à l'étude. L'expérience passée impose beaucoup de prudence, pour ne pas dire un pessimisme certain, dans l'évaluation des chances de ce projet. Quant à l'idée d'introduire d'une manière générale un véritable droit à la naturalisation pour les étrangers intégrés,'"' ses chances de réalisation semblent à moyen terme extrêmement faibles. Il est donc probable que la voie de l'octroi progtessif de droits politiques aux étrangers au niveau communal et, là où les esprits sont suffisamment mûrs, au niveau cantonal, resce la seule permettant quelques avancées,Z<>4 fût-ce au prix de nombreuses tenta-tives infructueuses.

5. Conclusion

137. La Suisse abrite une proportion importante d'étrangers, proportion qui peut atteindre des niveaux très élevés dans certains cantons. Le taux d'acquisition de la nationalité suisse par ces étrangers reste faible en comparaison internationale.

lOI THORER ln. 841. 192, n. 23, voit plutôt ici une particularitê du droit britannique de la nationa-litê.

201 HEUSS ER (n. 21. 25255.

203 Idêe dêfendue notamment par PLÜSS (n. 671. N 7, 163 et, comme alternative aux droits poli-tiques des étrangers, par HANGARTNER (n. 641. 310.

204 TsCHANNEN (n. 91. N 75, voyait au contraire dans l'assouplissement de ("acquisition de la nationalité, une perspective plus prometteuse.

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Comme la nationalité est, sur le plan fédéral comme dans la majorité des cantons, une condition d'accès aux droits politiques, il en résulte qu'une part significative de la population stable et intégrée du pays est exclue de la participation aux déci-sions politiques. Or, cette participation est, pour ceux qui ont l'exercice des droits politiques, particulièrement développée, vu les trois niveaux institutionnels dans lesquels eUe s'inscrit et l'existence d'instruments puissants et fréquemment utilisés de démocratie directe_ Cette situation conduit à un déficit démocratique, le prin-cipe du suffrage universel n'étant pas pleinement réalisé. L'octroi de droits poli-tiques aux étrangers, en tout cas aux niveaux communal et cantonal, est une réponse possible à ce problème. Quelques cantons ont fait des pas dans cette direc-tion, mais dans de nombreux autres, le corps électoral s'est montré inflexible.

L'alternative d'un assouplissement des conditions d'acquisition de la nationalité suisse, particulièrement sévères aujourd'hui, apparaît cependant comme une voie encore plus ardue politiquement.

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