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Thermométrie, cryogénie et champ magnétique

3.2 Dispositif expérimental

3.2.3 Thermométrie, cryogénie et champ magnétique

Comme nous l’avons vu, la détermination de la capacité thermique repose sur la connais- sance des courbes de calibration du thermomètre et du chauffage, la thermométrie étant l’un

des points les plus importants dans un dispositif de calorimétrie. Dans cette section, nous allons voir comment sont déterminées ces relations de calibration en fonction de la tempé- rature, mais également du champ magnétique, que nous n’avons pas mentionné jusqu’à présent et qui joue pourtant un rôle important au travers de la magnétorésistance des Cernox, surtout à fort champ magnétique. La thermométrie étant indissociable du contrôle de la température et du champ magnétique, j’en profiterai pour présenter le dispositif cryogénique ainsi que les dispositifs de champs intenses que j’ai utilisés tout le long de mon doctorat.

Calibration des thermomètres

Nous venons de voir que si nous sommes en mesure de contrôler les courants d’excitation et de mesurer les tensions aux bornes du chauffage et du thermomètre, il suffit "uniquement" de connaître la relation entre leurs résistances et la température afin de déterminer la capacité thermique d’un échantillon. En pratique, il s’agit de la partie la plus difficile à mettre en place, car bien que nous soyons capables de mesurer des variations de température extrêmement faibles, inférieures au pour mille, la détermination de la température absolue mieux qu’au pour cent est très difficile. De plus, dans un dispositif spécialement développé pour les forts champs magnétiques à basse température comme le nôtre, il est nécessaire de prendre en compte la magnétorésistance des éléments thermométriques. Au bout du compte, il nous faut connaître les relations RT(T, B)et RH(T, B).

Tout d’abord, nous ne calibrons pas séparément les calorimètres, principalement parce que nous en avons plusieurs et qu’à force de manipulations et d’expériences, ils finissent souvent par casser, un jour ou l’autre. Il serait donc beaucoup trop gourmand en temps et en énergie de procéder à une calibration individuelle de chacun d’entre eux. Notre méthode consiste à calibrer soigneusement un thermomètre de référence, en ajoutant des données au fil des campagnes de champs magnétiques intenses, et de calibrer ensuite nos calorimètres par rapport à ce précieux thermomètre.

Pour les basses températures, nous utilisons un thermomètre RuO qui possède une magnétorésistance particulièrement faible (par rapport à ceux vendus par Lakeshore) et monotone (à forts champs au-dessus de 1 K). La température de base de notre cryostat (celle du bain thermique) est fixée grâce à ce thermomètre par un contrôleur de température Cryocon 62.

Le thermomètre principal a été calibré initialement en champ nul par rapport à plusieurs Cernox calibrées par Lakeshore au-dessus de 2 K, et par rapport à un thermomètre de germanium en dessous de 2 K. L’accord général entre les calibrations des thermomètres en dessous et au-dessus de 2 K est de l’ordre de 1−2 %, ce qui fixe notre incertitude sur la calibration en champ nul. En pratique, il est difficile d’avoir une calibration en champ nul meilleure que le pour cent.

La magnétorésistance du thermomètre a été déterminée de 80 mK à 4 K jusqu’à 16 T grâce au même thermomètre de germanium placé dans une zone de champ compensé. Au cours de mon doctorat, nous avons dû continuer ces calibrations pour étendre notre gamme de mesure au-delà de 16 T, dans cette zone basse température en dessous de 4 K. Ce travail

de longue haleine a été continué au fur et à mesure des campagnes de champs intenses, et les données antérieures réanalysées avec les calibrations les plus récentes.

Notre approche a été de calibrer le thermomètre principal grâce à un condensateur d’étalonnage, dont la capacité dépend de la température, mais pas du champ magnétique. Ce type de condensateur ne peut pas être utilisé directement en tant que thermomètre, car la relation entre sa capacité et la température varie d’un refroidissement à l’autre et dérive avec un long temps de stabilisation. Notre méthode consistait à réguler la température sur le condensateur de calibration en l’absence de champ magnétique grâce à un pont de capacitance, tout en mesurant la température grâce au thermomètre RuO. À température connue, nous pouvions faire varier le champ magnétique, la température étant fixée par la régulation sur le condensateur, tout en enregistrant la magnétorésistance de la RuO. Au total, nous avons effectué de nombreuses rampes en champ de calibration, de 1.5 K à 8 K jusqu’à 35 T, généralement réalisées en début de campagne de champs intenses.

La dépendance monotone de la magnétorésistance de la RuO permet d’extrapoler les calibrations en dessous de 1.5 K. La calibration de 1.5 K à 8 K jusqu’à 35 T a été vérifiée grâce à un thermomètre à pression d’hélium 4, qui donne un accord avec nos calibrations en champ de l’ordre de quelques pour mille.

La nappe de magnétorésistance est ensuite utilisée pour déterminer la variation entre la température apparente (la température donnée par la calibration à champ nul en présence de champ magnétique) et la température réelle en fonction du champ magnétique et de la température. Ceci permet de s’affranchir d’artefacts qui proviendraient des calibrations en champ nul, notamment lors de soustractions de courbes à plusieurs champs. La nappe de correction en fonction du champ et de la température est lissée et implémentée avec la calibration en champ nul dans le programme LabView qui pilote l’expérience, qui utilise un spline pour interpoler les corrections à tous les champs et températures.

Une fois le thermomètre principal calibré, on peut procéder à la calibration des calo- rimètres. La procédure est plus simple car il suffit d’effectuer des rampes en température et en champ tout en enregistrant la résistance RTet RHet la température du thermomètre principal RuO calibré. Le reste de la calibration des calorimètres est identique à celle du thermomètre principal.

La validité de nos calibrations en dessous de 1.5 K est confirmée par la mesure de la chaleur spécifique d’un échantillon de cuivre, que nous avons comparée aux résultats du Bureau National des Standards (NBS). Notre mesure à 32 T est en excellent accord avec les données du NBS en champ nul, comme le montre la Fig.3.8a). L’écart aux plus hautes températures peut provenir de l’erreur due à la contribution des addenda, qui contient principalement une contribution de phonons. La Fig.3.8b) montre que notre détermination de Cel/T en fonction du champ et à différentes températures est en accord avec les résultats

du NBS dans les 5 % de non-reproductibilité associée à notre technique de mesure.

Nos mesures pour les champs inférieurs à 8 T montrent cependant une augmentation anormale de la capacité thermique à bas champ. Cet effet diminue avec la température et le champ magnétique. Il devient négligeable au-dessus de 4 K et au-delà de 8 T aux plus

10 15 20 25 0 5 10 15 20 C/ T (m J/m g K 2 ) T2 (K2) H = 32 T BNS 10.2 10.4 10.6 10.8 11 11.2 10 15 20 25 30 35 C el / T (m J/m g K 2 ) H (T) T = 0.7 K T = 1.5 K BNS

a)

b)

F i g u r e 3.8a) Dépendance en température de la chaleur spécifique du cuivre mesurée à 32 T

comparée aux résultats du Bureau National des Standards (NBS). b) Dépendance en champ magnétique de la chaleur spécifique électronique du cuivre à 1.5 K et 0.7 K comparée aux résultats du NBS.

basses températures. Cet effet est observé dans tous nos calorimètres et semble dépendre de la quantité d’époxy utilisée pour réaliser les contacts. Il pourrait être causé par la présence d’une anomalie de Schottky au sein de l’époxy, mais notre modèle thermique ne parvient pas à décrire ce comportement. Il s’agit d’une augmentation relative de la capacité thermique du système, et non d’une augmentation absolue comme on l’attendrait si une anomalie de Schottky faisait varier Caddavec le champ et la température. Il serait donc intéressant de réaliser des calorimètres avec un autre type d’époxy pour vérifier cette hypothèse. Les mesures présentées dans cette thèse étant dans la grande majorité effectuées à des champs supérieurs à 8 T, cet effet n’a pas été problématique. Pour les quelques mesures réalisées en dessous de 8 T, nous avons corrigé nos résultats à l’aide de la dépendance en champ magnétique de Cadd.

Cryogénie et champ magnétique

Comme nous allons le voir, les principaux travaux de mon doctorat portent sur l’étude de la chaleur spécifique à basse température dans l’état normal des cuprates. Il était donc nécessaire de pouvoir mesurer la chaleur spécifique en présence de champs magnétiques intenses à des températures suffisamment basses pour que la contribution électronique soit identifiable et sur une gamme suffisamment importante pour être capable de déterminer si elle varie en fonction de la température.

Pour les mesures à bas champ en dessous de 8 T, nous utilisons une canne de mesure à

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He à charbon. Ce dispositif permet de condenser une petite quantité d’3He et de réduire sa pression de gaz grâce à un charbon dont la température est contrôlée afin qu’il absorbe ou

libère des atomes en phase gazeuse. Ce dispositif permet d’atteindre une température de base de 0.3 K, avec une autonomie suffisante pour effectuer deux allers/retours 0.3 à 2.5 K avec une seule condensation. Cette canne de mesure peut être utilisée dans le cryostat du laboratoire qui est doté d’une bobine supraconductrice NbTi horizontale pouvant générer jusqu’à 8 T. Comme tous les échantillons sur lesquels j’ai travaillé possèdent des champs critiques bien supérieurs à 8 T, ce cryostat a principalement servi à faire des mesures en champ nul et des mesures préliminaires à bas champs.

Avant le début de mon doctorat, les mesures à des champs magnétiques supérieurs à 8 T étaient réalisées au LNCMI Grenoble avec une canne4He qui permettait de mesurer jusqu’à∼1.5 K. Mon projet de doctorat nécessitait d’accéder à l’état fondamental à basse température de matériaux avec une supraconductivité plus robuste, et donc des champs plus élevés. Il a donc fallu adapter notre dispositif afin de pouvoir mesurer la chaleur spécifique jusqu’à 0.3 K en champs magnétiques intenses.

La première étape a été d’adapter notre canne de mesure3He afin qu’elle puisse être utilisée dans la bobine supraconductrice Nb3Sn du LNCMI. Cela a nécessité des modifi- cations mineures de l’attache de la canne et le remplacement d’une pièce magnétique du porte-échantillon. Après calibration, cette opération a permis d’étendre notre gamme de champs de 8 T à 18 T en3He.

Pour les mesures au-delà de 18 T, nous utilisons les bobines résistives du LNCMI Gre- noble, qui délivrent jusqu’à 34−36 T, en fonction des installations. Les bobines résistives ont généralement une zone de champ plus restreinte que celle des bobines supraconductrices et possèdent des aimants "chauds", situés en dehors du cryostat. Il a été nécessaire d’utiliser une autre canne de mesure, beaucoup plus compacte, car le diamètre de notre cryostat3He était trop important pour l’utiliser avec les bobines résistives. Nous avons utilisé la canne

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He du LNCMI, qui s’est révélée un peu plus compliquée à installer et à utiliser, car sa réserve d’3He et son dispositif de pompage sont situés en dehors du cryostat. Avec une température de base un peu plus élevée (0.5−0.8 K), ce dispositif permet de descendre à sa température de base en quelques heures et donc de changer d’échantillon dans la journée (contrairement à notre canne3He qui a un temps de refroidissement d’environ 16 h), ce qui est un avantage notable lors des campagnes de champ intense où moins de 24 h séparent deux mesures successives. Nous avons fabriqué un nouveau porte-échantillon adapté à ce cryostat, sur lequel nous pouvons monter deux calorimètres en position horizontale ou verti- cale, un thermomètre/chauffage ainsi que le condensateur de calibration, visibles en Fig.3.9. Finalement, il a fallu procéder aux mesures de calibration du thermomètre principal et des différents calorimètres (en suivant la procédure de la section3.2.3) afin d’être en mesure de déterminer la chaleur spécifique dans ces nouvelles conditions de champ magnétique.