• Aucun résultat trouvé

Systèmes à deux niveaux : anomalies de Schottky

2.2 Contributions à la chaleur spécifique

2.2.4 Systèmes à deux niveaux : anomalies de Schottky

Pour un supraconducteur de type d, la chaleur spécifique ne provient pas seulement des excitations localisées dans les cœurs de vortex, mais principalement de celles des quasi- particules non gappées situées autour des régions nodales en dehors des vortex. La dépen- dance (non triviale) en champ magnétique à basse température (T/Tc ≪ (H/Hc2)1/2 ≪1)

pour Hc1 ≪H ≪Hc2a été calculée par Volovik [107] : Ctype−d(H)/T≈γn

√︄ H Hc2

. (2.23)

Pour les températures plus élevées (H/Hc2)1/2 ≪ T/Tc ≪ 1, l’évolution de la chaleur

spécifique avec le champ retrouve un comportement linéaire similaire à celui observé dans les supraconducteurs de type s [104]. La chaleur spécifique d’un supraconducteur de type d à bas champ augmente plus rapidement que celle d’un supraconducteur de type s, en raison de la présence des quasi-particules non localisées. Dans les deux cas, au-delà de Hc2

la chaleur spécifique sature, la supraconductivité est détruite et l’état normal qui donne naissance à la supraconductivité est atteint. La comparaison de la dépendance en champ magnétique pour un supraconducteur de type s et de type d est illustrée en Fig. 2.2b). Tout au long de mon doctorat, nous avons cherché à détruire l’état supraconducteur de nos échantillons en appliquant des champs magnétiques supérieurs à Hc2afin de déterminer la chaleur spécifique intrinsèque de l’état normal. La saturation de la chaleur spécifique électronique au-delà de Hc2 constitue pour nous le critère de la destruction de la phase supraconductrice.

2.2.4 Systèmes à deux niveaux : anomalies de Schottky

La supraconductivité n’est pas le seul phénomène pouvant donner lieu à des niveaux énergétiques gappés. Un système quantique à deux niveaux séparés par un gap ∆ peut être excité thermiquement, ce qui donne une contribution à la capacité thermique appelée anomalie de Schottky : CSch= NkB (︃ ∆ kBT )︃2 e∆/kBT (1+e∆/kBT)2, (2.24)

où N est le nombre de systèmes à deux niveaux (pour nous, l’expression de la chaleur spécifique se fait simplement en remplaçant N par le nombre de systèmes à deux niveaux par plan CuO2).

On distingue les deux comportements limites de cette expression, lorsque l’énergie thermique est respectivement très faible ou très grande devant l’énergie du gap :

CSch≈ ⎧ ⎪ ⎨ ⎪ ⎩ NkB (︂ ∆ kBT )︂2 e−∆/kBT, si k BT ≪∆ NkB (︂ ∆ kBT )︂2 , si kBT ≫∆. (2.25)

Lorsque l’énergie thermique est bien inférieure au gap entre les niveaux, la capacité ther- mique suit donc une loi d’activation thermique. En augmentant la température, elle admet un maximum pour ∆≈ kBT, avant de diminuer de manière inversement proportionnelle au

carré de la température lorsque le gap devient inférieur à l’énergie thermique. L’origine de ce gap en énergie peut être diverse, ici nous allons détailler les anomalies de Schottky que l’on observe le plus généralement, dues à la présence de niveaux magnétiques électroniques et nucléaires, dont la dégénérescence est levée par effet Zeeman et couplage hyperfin.

Il est également possible de déterminer la contribution à la capacité thermique d’une anomalie de Schottky pour un système à plus de deux niveaux et avec des niveaux dégénérés. Cela complique fortement les expressions des anomalies, nous renvoyons aux résultats de la référence [108] pour plus de détails. Nous verrons par la suite que l’hypothèse d’anomalies de Schottky à deux niveaux non dégénérés permet de bien décrire tous nos résultats.

Contribution des spins électroniques

Prenons le cas plus évident d’un système à deux niveaux : celui du paramagnétisme d’électrons dont le moment magnétique total est µJ =µBgJJ, où µBest le magnéton de Bohr, gJest le facteur de Landé et J l’opérateur de spin total. L’application d’un champ magnétique H sur ce système a pour effet de lever la dégénérescence des niveaux magnétiques d’énergie EJ = H×µJ par effet Zeeman, donnant lieu à un gap ∆(H) = 2H×µJ (en considérant uniquement les deux niveaux extrêmes). L’effet Zeeman sur un ensemble de N spins donne donc lieu à une anomalie de Schottky :

CSch T = N kBT3∆ (H)2 e∆ (H)/kBT (1+e∆(H)/kBT)2, (2.26)

qui dépend à la fois de la température et du champ magnétique et dont le comportement est illustré en Fig.2.3a).

Contribution des spins nucléaires

La contribution des spins nucléaires est très souvent observée à basse température. Celle-ci est due à l’interaction hyperfine entre les moments magnétiques des électrons µJet ceux des noyaux µI, qui lève la dégénérescence des niveaux magnétiques atomiques même en l’absence de champ. Lors de l’application d’un champ magnétique, l’effet Zeeman sépare davantage les niveaux nucléaires, ouvrant un gap ∆hyp(H) ≈∆0hyp+H×µI (où le premier

terme provient de l’interaction hyperfine et le deuxième de l’effet Zeeman). Le magnéton de Bohr nucléaire, inversement proportionnel à la masse des nucléons, est beaucoup plus petit que le magnéton de Bohr électronique. Ainsi, les gaps nucléaires typiques ont des échelles d’énergie beaucoup plus faibles que celles des gaps Zeeman électroniques et sont bien moins sensibles au champ magnétique. La présence de ce gap nucléaire donne lieu à l’observation d’une anomalie de Schottky hyperfine lors de la mesure de la chaleur spécifique des matériaux à basse température, typiquement en dessous de 1 K. Pour les températures

atteignables expérimentalement, les anomalies de Schottky nucléaires ont la forme : Chyp T ≈ N kBT3 (︁ ∆hyp(H) )︁2 , (2.27)

qui dépend également de la température et du champ magnétique, mais contrairement aux anomalies de Schottky électroniques, la faible amplitude du gap implique que seule la limite kBT≫∆hyp(H)est accessible. L’illustration du comportement ce type d’anomalie en fonction de la température et du champ magnétique est visible en Fig.2.3b).

a)

b)

F i g u r e 2.3Dépendance en température et champ magnétique de CSch/T en unité relative.

Les lignes de projections illustrent les variations à température(H, T0)et champ

(H0, T)fixes. Les faibles valeurs de H0, T0sont en bleu et les fortes valeurs en

rouge. a) Dans le cas général, typique d’une anomalie de Schottky due à des

moments magnétiques électroniques. b) Dans le cas kBT ≪ ∆ typique d’une

anomalie de Schottky nucléaire.

En pratique, bien que les anomalies de Schottky soient parfaitement comprises sur le plan théorique et qu’il soit possible de distinguer les anomalies d’origine nucléaire et électronique, il est difficile de déterminer avec certitude leur origine. Elles peuvent provenir directement d’éléments magnétiques intrinsèques au matériau (comme dans Nd-LSCO où les ions néodyme ont un moment magnétique), de lacunes en oxygène ou d’autres impuretés magnétiques.

Ces contributions ne donnent aucune information sur les propriétés électroniques du système et par conséquent, elles ne représentent pour nous que des contributions "parasites". Les anomalies de Schottky d’origine électronique sont généralement problématiques lorsque le champ magnétique est faible (en dessous de 18 T). Lorsque le gap Zeeman est fortement augmenté par l’application de forts champs magnétiques (qui sont initialement appliqués pour détruire la supraconductivité), la gamme de température sur laquelle ces contributions sont importantes peut être repoussée au-dessus de la gamme de température d’intérêt (typiquement 0.3 K jusqu’à 4 K), où elles deviennent négligeables. Nous verrons cela dans Nd-LSCO, Tl2201 et Hg1201. Lorsqu’il s’agit d’anomalies de Schottky d’origine nucléaire, la

faible valeur du gap hyperfin et du magnéton de Bohr nucléaire rend impossible l’application de champ magnétique suffisamment grand pour avoir kBT≫ ∆. Par conséquent, plus le

champ augmente et plus la contribution de l’anomalie Schottky hyperfine devient importante et peut dominer la chaleur spécifique totale. À basse température, cela peut compliquer l’observation d’autres contributions dépendante de la température.

Tout l’enjeu des mesures de chaleur spécifique est donc de déterminer les gammes de champ et de température sur lesquelles les anomalies de Schottky sont suffisamment faibles pour permettre de déterminer les autres contributions, notamment la chaleur spécifique électronique.