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2.2 Contributions à la chaleur spécifique

2.2.6 Résumé

Nous avons vu au cours de ce chapitre que la chaleur spécifique est une sonde de choix, car elle est sensible à de nombreuses contributions. Cela a un prix, celui du travail d’analyse nécessaire à différencier et déterminer ces différentes contributions.

Comme nous nous intéressons aux propriétés électroniques des cuprates, la contribution que nous cherchons à déterminer est naturellement celle des électrons Cel/T, vue dans la

section2.2.2. Pour un métal standard, elle est constante à T→0 et nous renseigne notamment sur la densité d’états électroniques et donc sur la renormalisation de la masse effective des porteurs. Au voisinage de points particuliers où des transitions ont lieu, comme les points de van Hove ou les points critiques quantiques, la chaleur spécifique montre un comportement particulier, comme nous l’avons vu dans les sections2.2.2et2.2.5, ce qui en fait une technique efficace pour déterminer la présence de ces transitions.

La présence de supraconductivité a pour effet de réduire la valeur de Cel/T à basse tem-

pérature, comme nous l’avons vu dans la section2.2.3. En appliquant un champ magnétique suffisamment élevé, la supraconductivité est détruite et la chaleur spécifique électronique prend sa valeur de l’état normal non supraconducteur.

La chaleur spécifique totale est généralement dominée par Cel/T à basse température,

tandis que la contribution des phonons Cph/T qui contient des informations sur le réseau

cristallin, domine à haute température, voir section2.2.1. Pour nous, Cph/T n’est pas d’une

importance particulière et il est généralement simple de différencier Cph/T et Cel/T, sauf

lorsque Cel/T dépend de la température, par exemple au voisinage d’un PCQ.

Finalement, les anomalies de Schottky électroniques et nucléaires, discutées en sec- tion2.2.4, peuvent prendre des valeurs élevées qui empêchent la détermination des autres contributions, car elles dépendent fortement du champ magnétique et de la température. Nous nous débarrassons de ces contributions parasites en trouvant des gammes de tem- pérature et de champ magnétique sur lesquels elles sont absentes et lorsque cela n’est pas possible, nous étudions leur comportement afin de pouvoir les soustraire de la chaleur spécifique totale.

Chaleur spécifique : aspect expérimental

Maintenant que nous avons décrit l’intérêt de connaître la chaleur spécifique au travers des différentes contributions, nous allons voir au long de ce chapitre comment la déterminer en pratique. Pour connaître la chaleur spécifique (grandeur intensive) d’un système, nous devons mesurer la capacité thermique (grandeur extensive) d’un échantillon, puis la nor- maliser par une quantité de matière. Pour les cuprates, la chaleur spécifique est usuellement calculée par mole de CuO2.

La mesure de la capacité thermique, la calorimétrie, se base toujours sur l’équation (2.2), qui stipule que la capacité thermique est la grandeur thermodynamique qui relie l’élévation de la température d’un système à sa variation de quantité de chaleur. Pour mesurer la capacité thermique d’un système, il suffit d’être en mesure de lui échanger une quantité de chaleur de façon contrôlée tout en mesurant sa température.

Expérimentalement, il existe plusieurs moyens d’y parvenir, et ainsi plusieurs techniques de calorimétrie : la méthode adiabatique par exemple, dans laquelle un échantillon isolé ther- miquement est chauffé avec une quantité de chaleur connue, puis l’élévation de température est déterminée après stabilisation ; ou la méthode quasi adiabatique, qui nécessite d’envoyer une puissance continue et de mesurer le taux d’échauffement de l’échantillon en fonction du temps. En pratique, la condition d’adiabaticité est difficile à réaliser, car les échanges de chaleur vers l’extérieur sont toujours présents, tandis que le faible taux d’échange thermique empêche de fixer simplement la température de l’échantillon.

Pour pallier à cela, il est possible de déterminer la capacité thermique d’un échantillon connecté à un thermostat via à une fuite thermique, en mesurant l’évolution dynamique de sa température lorsqu’il est chauffé. Par exemple, avec la méthode de calorimétrie par temps de relaxation, le chauffage de l’échantillon entraîne une évolution temporelle de sa température vers une valeur d’équilibre qui suit une loi exponentielle dont la constante de temps est proportionnelle à sa capacité thermique.

Ces techniques usuelles ne permettent généralement que de déterminer la capacité thermique "point par point", ce qui rend les mesures en fonction de la température longues et ne permet pas de mesurer la capacité thermique en fonction du champ magnétique à

température fixée. Pour ces raisons, j’ai utilisé au cours de mon doctorat une technique de calorimétrie plus adaptée à nos contraintes expérimentales : la calorimétrie alternative (AC). Cette méthode repose sur la détermination de la capacité thermique grâce à une puissance de chauffage alternative qui fait osciller la température de l’échantillon autour de sa température moyenne. Cette méthode permet de mesurer la capacité thermique tout en faisant varier continûment la température de base ou le champ magnétique. L’utilisation de courants alternatifs permet également d’utiliser une détection synchrone (lock-in), ce qui nous permet de déterminer la capacité thermique avec un niveau de bruit très bas (inférieur au pour mille).

Dans ce chapitre, nous allons voir comment mesurer la capacité thermique de nos échantillons grâce à la calorimétrie AC, avec un dispositif adapté pour les mesures en fort champ magnétique et à basse température. Tout d’abord, je présenterai les modèles thermiques utilisés pour modéliser le calorimètre, en partant d’un modèle idéal, puis en prenant en compte différents effets indésirables qui apparaissent en pratique. Ensuite, je présenterai le dispositif expérimental : nous verrons la conception des calorimètres, comment déterminer les paramètres présentés dans les différents modèles, la méthodologie appliquée pour la calibration des thermomètres, le dispositif cryogénique et de champ magnétique et nous finirons par une présentation de l’électronique d’acquisition.

3.1

Modèles du système de mesure

La méthode de calorimétrie alternative permet de déterminer la capacité thermique d’un système couplé à un bain thermique via une fuite thermique ke. Le principe de mesure consiste à chauffer le système avec une puissance alternative PACet de suivre ses oscillations de température ˜︁T (AC) à la même fréquence, autour de sa température moyenne T (DC). Nous allons voir comment l’amplitude et la phase de ˜︁T vont nous permettre de déterminer la capacité thermique du système, grâce aux modèles thermiques relativement simples que nous utilisons pour modéliser les calorimètres.

Je commencerai par le modèle simpliste qui représente le système idéal dans lequel tous les éléments du calorimètre sont supposés idéalement thermalisés, puis je l’approfondirai afin de présenter les différents effets indésirables qui peuvent avoir lieu en indiquant leurs origines et leurs conséquences sur la détermination de la capacité thermique. Nous verrons le cas du découplage entre l’échantillon et le calorimètre dans la section3.1.2, le découplage des éléments résistifs du calorimètre en section3.1.3et enfin l’effet de la diffusivité dans les fils d’ancrage au bain thermique dans la section3.1.4. Le parallèle entre ces modèles théoriques et les calorimètres utilisés au cours de mon doctorat sera présenté dans la section suivante.