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Les neuroblastomes sont les tumeurs présentant le plus grand nombre de ces de régression spontanée. Certains neuroblastomes, même s’ils présentent des métastases, sont capables de se différencier spontanément en une tumeur bénigne, le ganglioneurome. L’observation de ce phénomène de différenciation a poussé les chercheurs à étudier ce mécanisme in vitro, grâce à l’utilisation d’agents différenciateurs. Parmi ces molécules, on trouve les esters de phorbol, le NGF ou l’acide rétinoïque. Le cas de ce dernier sera développé ici pour deux raisons : il est déjà utilisé dans la thérapie de certains neuroblastomes et il a été utilisé dans les travaux réalisés au cours de la présente thèse.

a) Biosynthèse de l’acide rétinoïque

L’acide rétinoïque est un dérivé du rétinol (également appelé vitamine A), une molécule hydrophobe inactive provenant de l’alimentation. Le rétinol est stocké dans le foie sous forme de rétinyl esters, qui peuvent ensuite être hydrolysés pour redonner le rétinol. Il est ensuite transporté aux cellules cibles grâce aux CRBP (Cellular Retinol-Binding Proteins). Dans le cytoplasme des cellules cibles, le rétinol est métabolisé en rétinal puis en acide rétinoïque grâce à deux réactions d’oxydation successives. L’acide rétinoïque est ensuite converti en dérivés inactifs (Figure 6), ou est pris en charge par les protéines CRABP (Cellular Retinoic Acid-Binding Proteins), dont le rôle précis n’est pas encore bien connu. Cependant, il semble que ces protéines puissent permettre de réguler la concentration cytoplasmique et nucléaire en acide rétinoïque, ou transporter l’acide rétinoïque dans le noyau (pour revue, Napoli, 1999).

acide rétinoïque dérivés inactifs oxydations

rétinol rétinal

rétinyl esters

hydrolyse estérification

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Figure 6 : Biosynthèse de l’acide rétinoïque à partir du rétinol.

Le rétinol, stocké dans le foie sous forme de rétinyl esters, est métabolisé en acide rétinoïque par des oxydations successives.

Il existe trois stéréo-isomères naturels de l’acide rétinoïque : le tout-trans-acide rétinoïque (at- RA pour all-trans retinoic acid en anglais), le 9-cis-acide rétinoïque (9cis-RA) et le 13-cis- acide rétinoïque (13cis-RA) (Figure 7). D’un point de vue thermodynamique, le 9cis-RA est l’isoforme la plus instable, alors que l’at-RA, qui est le plus stable, représente la forme majoritaire de l’acide rétinoïque à l’équilibre (pour revue, Armstrong et al., 2005).

Figure 7 : Structure des trois isomères naturels de l’acide rétinoïque (d’après Armstrong et al., 2005).

b) Récepteurs de l’acide rétinoïque

Les effets de l’acide rétinoïque sont médiés par deux familles de récepteurs nucléaires : les RAR (Retinoic Acid Receptor) et les RXR (Retinoid X Receptor). Chaque famille est constituée de trois membres (α, β, γ), codés par des gènes différents. Les RAR présentent une haute affinité pour les isomères at-RA et 9cis-RA, alors que les RXR lient spécifiquement le 9cis-RA. Le 13cis-RA ne lie pas ces deux types de récepteurs pour lesquels il a une affinité cent fois plus faible que l’at-RA et le 9cis-RA, mais il agit via son isomérisation en at-RA (pour revue, Parisotto et al., 2006).

Ces récepteurs agissent comme des facteurs transcriptionnels, sous forme de dimères RAR- RXR ou RXR-RXR. Les trois isoformes de RAR peuvent s’associer sans distinction aux trois types de RXR, ce qui donne un grand nombre de combinaisons et par conséquent une régulation fine de l’expression des gènes cibles de l’acide rétinoïque. Sur les gènes cibles, les récepteurs se lient à un élément de réponse à l’acide rétinoïque, appelé RARE pour « retinoic acid response element », dont la séquence est AGGTCA. Les hétérodimères RAR-RXR lient deux de ces motifs répétés séparés de deux ou cinq paires de bases (DR2 (domain repeat 2) ou DR5), alors que les homodimères RXR-RXR lient les motifs séparés par une paire de bases (DR1) (Figure 8).

9cis-RA

2 ou 5 pb AGGTCA RXR AGGTCA RAR RARE 1 pb AGGTCA RXR RARE AGGTCA RXR 2 ou 5 pb AGGTCA RXR AGGTCA RAR RARE 2 ou 5 pb AGGTCA RXR AGGTCA RXR AGGTCA RAR AGGTCA RAR RARE 1 pb AGGTCA RXR RARE AGGTCA RXR 1 pb AGGTCA RXR AGGTCA RXR RARE AGGTCA RXR AGGTCA RXR

Figure 8 : Liaison des dimères de récepteurs de l’acide rétinoïque sur les RARE

Les dimères de récepteurs RXR et/ou RAR se lient sur les séquences AGGTCA, qui peuvent être séparé par 1, 2 ou 5 pb.

En absence de ligand, les dimères interagissent avec des protéines co-répresseurs qui vont permettre le recrutement de protéines à activité histone désacétylase, empêchant ainsi la transcription. La liaison de l’acide rétinoïque sur son récepteur provoque un changement conformationnel de ce dernier : le co-répresseur est alors libéré du complexe et remplacé par un co-activateur. Cette protéine recrute une protéine à activité histone acétyltransférase, ce qui permet la transcription (Figure 9) (pour revue, Reynolds et al., 2003).

AGGTCA RXR AGGTCA RAR Co-rép HD AGGTCA RXR AGGTCA RAR RA RA Co-act HA + a : en absence de RA b : en présence de RA AGGTCA RXR AGGTCA RAR Co-rép HD AGGTCA RXR AGGTCA RAR RA RA Co-act HA + a : en absence de RA b : en présence de RA AGGTCA RXR AGGTCA RAR Co-rép HD AGGTCA RXR AGGTCA RAR AGGTCA RXR AGGTCA RAR AGGTCA RXR AGGTCA RXR AGGTCA RAR Co-rép HD AGGTCA RXR AGGTCA RAR RA RA Co-act HA + AGGTCA RXR AGGTCA RAR RA RA Co-act HA + a : en absence de RA b : en présence de RA

Figure 9 : Activation des récepteurs de l’acide rétinoïque.

RA : acide rétinoïque, Co-rép : co-répresseur, HD : protéine à activité histone désacétylase, Co-act : co-activateur, HA : protéine à activité histone acétyltransférase, – : inhibition de la transcription, + : activation de la transcription.

En absence de ligand, les récepteurs de l’acide rétinoïque sont associés à des co-répresseurs et des protéines à activité histone désacétylase, empêchant ainsi la transcription des gènes. La fixation de l’acide rétinoïque sur ses récepteurs induit un changement de conformation de ces derniers, qui vont alors recruter des co-activateurs et des protéines à activité histone acétyltransférase, permettant ainsi la transcription.

Alors que les récepteurs RXRα, ß et γ semblent avoir des fonctions différentes au cours du développement (pour revue, Germain et al., 2006), le rôle de ces trois récepteurs dans la différenciation des neuroblastomes induite par l’acide rétinoïque n’est pas encore connu. En ce qui concerne les RAR, davantage de données sont disponibles. RARα, ß et γ sont exprimés dans les neuroblastomes, aussi bien dans les tumeurs que dans les lignées (Li et al., 1994) et leur expression est stimulée par l’acide rétinoïque dans les cellules de neuroblastomes (Chu et al., 2003). Chaque isoforme possède une fonction spécifique au cours de la différenciation de cellules de neuroblastome induite par l’acide rétinoïque. En effet, RARα jouerait un rôle important dans l’augmentation de l’expression de RARβ qui, lui, serait impliqué dans l’inhibition de la croissance cellulaire induite par l’acide rétinoïque (Lovat et al., 1997 ; Cheung et al., 1996). Le récepteur RARγ, quant à lui, serait plutôt associé au processus apoptotique (Meister et al., 1998).

c) Effets de l’acide rétinoïque dans les cellules de neuroblastome in vitro

In vitro, l’acide rétinoïque induit la différenciation de cellules de neuroblastome. Cette différenciation se caractérise au niveau morphologique par la formation de pseudoganglions et une neuritogénèse pouvant aller jusqu’à la mise en place d’un réseau neuritique (Siddel, 1982 ; Pence et Shorter, 1990 ; Lovat et al., 1997). Au niveau moléculaire, la différenciation est caractérisée par l’augmentation de l’expression de la protéine GAP43 (Growth Associated Protein 43), de marqueurs neuronaux (neurofilaments de haut poids moléculaire, tyrosine hydroxylase TH), l’augmentation de l’activité de l’énolase spécifique des neurones (NSE pour Neuron Specific Enolase ) (Morton et Buss, 1992 ; Chu et al., 2003 ; Pahlman et al., 1984). L’acide rétinoïque induit également la diminution de l’expression de l’oncogène MYCN (Thiele et al., 1985 ; 1988). Cependant, les trois isomères de l’acide rétinoïque n’ont pas tous

la même efficacité. En effet, le 13cis-RA est plus efficace que l’at-RA en ce qui concerne l’induction de la différenciation morphologique (neuritogénèse et/ou pseudoganglions), l’inhibition de la croissance et la diminution de l’expression de MYCN dans plusieurs lignées de neuroblastome (Reynolds et al., 1994). Dans la lignée SH-SY5Y, le 9cis-RA induit une neuritogénèse plus importante que l’at-RA (Lovat et al., 1997). La différenciation de cellules de neuroblastome par l’acide rétinoïque fait intervenir différentes voies de signalisation. En effet, l’activité du complexe transcriptionnel AP-1 (Activator Protein 1) est augmentée par l’acide rétinoïque dans les cellules de neuroblastome N1E-115 (de Groot et Kruijer, 1991). De plus, dans la lignée de neuroblastome humain SH-SY5Y, les kinases MAPK (mitogen- activated protein kinase) et JNK sont nécessaires à la croissance neuritique induite par l’acide rétinoïque (Sing et al., 2003 ; Yu et al., 2003), alors que la voie PI3K (phosphoinositil 3 kinase)-Akt est requise pour la diminution de l’expression des protéines Id (inhibitor of differentiation), qui séquestrent des facteurs de transcription pro-neuraux (Lopez-Carballo et al., 2002). Il a également été démontré que le traitement par l’acide rétinoïque régule le cycle cellulaire via une augmentation du taux de la protéine p27 dans les cellules SMS-KCNR et LA-N-5 (Matsuo et Thiele, 1998 ; Borriello et al., 2000).

in vivo

Les résultats prometteurs des études in vitro ont conduit à tester l’acide rétinoïque in vivo. Des essais cliniques concernant le 13cis-RA avaient déjà été menés dans des pathologies comme les leucémies, des syndromes myélodysplasiques (hémopathies clonales caractérisées par un trouble de la maturation des précurseurs myéloïdes), les lymphomes cutanés à cellules T et les carcinomes squameux de la peau de stade avancé. Lors des premiers essais cliniques sur les neuroblastomes, le 13cis-RA fut administré en continu à une dose de 100 mg/m2 de surface corporelle/jour, correspondant à la dose maximale tolérée chez les adultes

(Villablanca et al., 1995 ; Khan et al., 1996 ; Kohler et al., 2000). Cependant, ce dosage ne permettait pas d’atteindre une concentration plasmatique équivalente à la concentration nécessaire pour induire la différenciation in vitro (Reynolds et al., 1994). L’administration de 13cis-RA à haute dose (160 mg/m2/jour) de manière discontinue a alors été testée, cette dose permettant d’atteindre une concentration plasmatique supérieure à celle utilisée pour les études in vitro (Villablanca et al., 1995 ; Khan et al., 1996 ). Une étude menée sur des patients atteints de neuroblastomes à risque de récurrence élevé a montré que l’administration de 13cis-RA à haute dose de manière discontinue présente un intérêt clinique puisque cela permet d’augmenter la survie de 20 % par rapport au groupe témoin (Matthay et al., 1999). Le 13cis-RA présente une meilleure efficacité clinique que l’at-RA grâce à ses propriétés pharmacocinétiques spécifiques (Tableau V). En effet, la dose maximale tolérée de 13cis-RA est supérieure à celle de l’at-RA (160 mg/m2/ jour pour le 13cis-RA contre 90 mg/m2/jour pour l’at-RA), ce qui permet d’atteindre des concentrations plasmatiques supérieures aux concentrations induisant un effet in vitro. De plus, l’at-RA présente une demi-vie courte (inférieure à 45 minutes) car il est rapidement métabolisé en dérivés inactifs, ce qui n’est pas le cas du 13cis-RA, dont la demi-vie est par conséquent significativement plus longue (5 heures). De ce fait, l’exposition de l’organisme au 13cis-RA est plus durable (pour revue, Reynolds et al., 2003).

Isomère Dose maximale tolérée (mg/m2/jour) Durée de vie

at-RA 90 < 45 mn

13cis-RA 160 5 h

Tableau V : Comparaison des propriétés pharmacocinétiques de deux isomères de l’acide rétinoïque, l’at-RA et le 13cis-RA.

Les essais cliniques menés sur l’acide rétinoïque ont conduit à une modification des protocoles thérapeutiques : dans les cas de neuroblastomes métastatiques, la chimiothérapie

est suivie d’un traitement d’entretien de 6 mois par l’acide rétinoïque (pour revue, Raguénez et al., 2001 ; Maris et al., 2007).

d) Rétinoïdes synthétiques

Les données cliniques indiquent que certains neuroblastomes sont insensibles à l’acide rétinoïque ou le deviennent à la suite de la thérapie. Des rétinoïdes synthétiques comme le fenretinide (Figure 10) capable d’agir sur les cellules de neuroblastomes résistantes au 13cis- RA, sont à l’étude.

Figure 10 : Structure du rétinoïde synthétique fenretinide (tiré de Reynolds et al., 2003).

Le fenretinide, aussi appelé 4-HPR (N-(4-hydroxyphényl) rétinamide), inhibe la croissance cellulaire en induisant l’apoptose via les RAR et une augmentation du taux de céramides, qui sont de puissants inducteurs de l’apoptose (Ponzoni et al., 1995 ; Lovat et al., 2000 ; 2004). De plus, le 4-HPR présente des effets anti-angiogéniques (Ribatti et al., 2001). Des essais cliniques de phase I indiquent que chez des enfants atteints de neuroblastome, une dose maximale administrée de 4000 mg/m2/jour permet d’atteindre une concentration plasmatique comparable à celle induisant l’apoptose in vitro dans des cellules de neuroblastome (Garaventa et al., 2003). Une autre particularité du 4-HPR est que, contrairement à l’acide rétinoïque, il est capable d’augmenter le taux de ganglioside GD2 dans des cellules de neuroblastome (Lovat et al., 2004). Ceci semble particulièrement intéressant dans l’immunothérapie dirigé contre GD2.

De nombreux essais cliniques concernant ces nouvelles stratégies thérapeutiques (immunothérapie, thérapie anti-angiogénèse ou thérapie de différenciation) sont actuellement en cours. Celles-ci sont également testées en association avec les protocoles déjà lourds utilisés dans le traitement des formes les plus graves de neuroblastomes (http://clinicaltrials.gov/ct/show/NCT00026312).

2ème

partie : Le système VIP - récepteurs