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II) E TUDIER LE VIEILLISSEMENT

1) Les théories du vieillissement

Les principales théories du vieillissement entrent dans trois catégories distinctes : i. les théories évolutionnistes, qui interprètent le vieillissement comme un

« caractère » qui a évolué, soit en raison de la sélection positive de mutations qui augmentent le succès reproducteur dans la première partie de la vie soit par l’absence de sélection à l'encontre des perturbations néfastes au cours de l’âge (Williams, 1957) ;

ii. les théories déterministes, postulant que la longévité et le vieillissement sont sous contrôle génétique direct ;

iii. les théories stochastiques, pour lesquelles le vieillissement est la conséquence d’événements non programmés et néfastes pour la cellule.

a) Les théories évolutionnistes

Les théories évolutionnistes du vieillissement sont basées sur les différences « âge-spécifique » qui contribuent à la reproduction et à la fitness d’un individu. L’idée d’un vieillissement programmé et bénéfique à l’espèce a été proposée en premier par Medawar (1952). Il argumentait que les individus âgés et plus aptes à la reproduction, « laissent la place » aux individus jeunes qui ont tout leur potentiel reproductif. Cette théorie se base sur l’hypothèse que la reproduction et la transmission du patrimoine génétique sont les principes premiers de la pérennité de toute espèce. Cette théorie a pourtant été largement réfutée par les observations réalisées parmi de nombreuses espèces et le constat que les individus meurent de diverses causes (prédation, facteurs environnementaux défavorables, etc.) avant que les premiers signes de vieillissement ne soient perceptibles. Ainsi généralement, le vieillissement n’est pas la première cause de mort des individus d’une espèce dans le milieu naturel.

b) Les théories déterministes

Les facteurs génétiques. Plusieurs travaux ont mis en évidence des relations étroites

entre certains facteurs génétiques et le vieillissement. La manipulation de certains gènes a pu allonger la longévité chez le nématode (Caenorhabditis elegans) et chez la mouche des fruits (Drosophila melanogaster). Chez l’Homme, les études menées chez les jumeaux ont montré que la durée de vie semble fortement liée à des facteurs génétiques. Chez les centenaires, certains génotypes sont retrouvés plus fréquemment que chez des sujets plus jeunes, indiquant qu’un terrain génétique particulier est associé à une plus grande longévité (Murabito et al., 2012). Enfin, l’origine génétique des syndromes de vieillissement prématuré (progéria) met en relief le rôle des facteurs héréditaires dans le contrôle du vieillissement.

Le raccourcissement télomérique. Les télomères (séquences d’ADN à l’extrémité des

chromosomes) sont formés de plusieurs milliers de répétitions du motif TTAGGG. Ils ne contiennent pas d’information génétique propre (non-codante), mais permettent aux enzymes de réplication de faire la différence entre une extrémité de chromosome et un chromosome lésé. Au fil des divisions cellulaires (mitose), les télomères se raccourcissent et quand le

télomère devient trop court, il ne joue plus son rôle protecteur de l’ADN codant. La cellule va alors interpréter ceci comme une « erreur » du matériel génétique (sénescence réplicative). Ce processus représente pour la cellule une sorte de « compteur » des divisions cellulaires. Quand les télomères atteignent une longueur critique, la cellule ne peut plus se diviser (limite de Hayflick (Hayflick et al., 1997)) et devient la cible du processus d’apoptose (mort programmée cellulaire). Il est clairement établi que le raccourcissement des télomères est associé à un risque plus élevé de maladies liées à l’âge (Marques et al., 2010). En revanche, bien qu’il soit accéléré par le stress oxydant cellulaire et les réponses inflammatoires, il n’est pas démontré que son rôle dans les processus de vieillissement soit prépondérant.

c) Les théories stochastiques

Le stress oxydant et les radicaux libres. Les radicaux libres, dérivés actifs de

l’oxygène, produits au cours de la respiration cellulaire, sont capables d’altérer le matériel génétique et les acides gras de la membrane cellulaire. L’organisme se protège contre ces radicaux par plusieurs systèmes : les superoxydes dismutase, les catalases, la glutathion peroxydase séléno-dépendante et les vitamines antioxydantes (A, E, C). Au cours du vieillissement, cet équilibre est altéré : la production de radicaux libres augmente au sein des mitochondries et les systèmes de défense et de protection sont moins efficaces. L’importance de ce mécanisme dans le vieillissement a été soulignée par l’induction expérimentale d’une surexpression du gène de la superoxyde dismutase et de la catalase chez la drosophile qui s’est traduite par une augmentation de leur longévité (Curtis et al., 2007). Un autre système de protection de l’organisme constitué par les HSP (Heat Shock Proteins) produites en réponse au choc thermique, aux traumatismes ou autres facteurs de stress, est altéré au cours du vieillissement (Morimoto, 2011). Ces protéines rendent les cellules plus résistantes vis-à-vis d’une nouvelle agression et aident les systèmes de réparation et le catabolisme des macromolécules endommagées.

Accumulation des « erreurs ». Les erreurs de réplication de l’ADN, les anomalies de la

structure tertiaire ou quaternaire des protéines et l’altération de la glycosylation peuvent induire des lésions sur de multiples cibles de la cellule et de la matrice extracellulaire : sur l’ADN (mutations de l’ADN nucléaire ou mitochondrial, raccourcissement des télomères), sur les protéines (notamment formation d’agrégats amyloïdes non dégradables), sur les lipides et sur les glucides. Ces dommages sont régulièrement réparés par des structures cellulaires

responsables de la surveillance et du maintien de l’homéostasie mais cette balance dommage/réparation est progressivement perturbée avec l’âge, et les dégâts cellulaires s’accumulent dans l’organisme. Le vieillissement pourrait alors être la résultante d’une accumulation de lésions oxydatives. C’est un biologiste des radiations, Harman, qui dès 1956 postula que les radicaux libres, produits sous l’effet des radiations ionisantes ou des rayons ultraviolets, pouvaient avoir un rôle dans le vieillissement (Harman, 1956). Il faudra attendre plusieurs décennies pour que les hypothèses d’Harman soient enfin admises et deviennent un sujet de recherche et de découvertes majeures. Plus de 40 ans après la publication d’Harman quelques études commencent à supporter la théorie du vieillissement « par les radicaux libres » (Beckman et Ames, 1998). Plus récemment, on a pu lui attribuer le statut de théorie scientifique solide, soutenue par les travaux des biologistes moléculaires (Orr et al., 1994, Migliaccio et al., 1999, Melov et al., 2000). Ainsi, l'incapacité à maintenir à un niveau stable l’apparition de ces dommages cellulaires serait le résultat d'une limite des ressources allouées à la préservation de l'intégrité du soma (toutes cellules de l’organisme exceptées les cellules germinales) (Kirkwood et al., 2000).

Les « erreurs de reconstruction ». Cette théorie, développée récemment par Wang et

al., (2009) est légèrement différente de la précédente. Une erreur de reconstruction peut modifier la structure d’une molécule (protéine ou acides nucléiques) ayant subi des dommages liés à un facteur de stress, ce qui conduit au final à une dénaturation de cette molécule avec des répercussions sur la cellule. La nuance entre « dommage cellulaire » et « erreur de reconstruction » est primordiale à la compréhension des mécanismes cellulaires du vieillissement. Les dommages étant la cause du vieillissement alors que les erreurs de reconstruction en seraient la conséquence. Les erreurs de reconstruction seraient inévitables lorsque les dommages cellulaires sont trop fréquents et/ou trop importants. L’erreur de reconstruction est irréversible, aucune réparation ne peut la modifier et elle persiste au sein de la cellule jusqu’à ce que la cellule meure par accumulation de ces erreurs (apoptose). Ainsi, selon cette théorie, ce ne sont pas les dommages cellulaires qui s’accumulent au cours du vieillissement mais plutôt les erreurs de reconstruction.

La glycation non enzymatique protéique. Certaines protéines subissent des

modifications au contact du glucose. Le glucose réagit spontanément (sans l’intervention d’enzymes) avec les groupements -NH des acides aminés, ce qui engendre des produits terminaux de la glycation, appelés « produits AGE » (Advanced Glycation End products). Les

protéines de la matrice extracellulaire, dont la durée de vie dans l’organisme est très longue, sont extrêmement exposées et sujettes à ce phénomène. La glycation modifie les propriétés de ces protéines, les rendant plus résistantes à la protéolyse (dégradation enzymatique des protéines) et empêchant leur renouvellement. De plus, les AGE induisent la formation de pontages moléculaires entre les fibres de collagène, rendant les membranes plus rigides et moins solubles. Les AGE pourraient avoir une action pro-inflammatoire en se liant aux récepteurs spécifiques des macrophages et des cellules endothéliales ou en induisant la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et/ou de facteurs de croissance. L’importance de la glycation des protéines, exacerbée dans le cadre de certaines pathologies comme le diabète de type II, a été soulignée par l’effet de médicaments inhibiteurs de la glycation se traduisant par un ralentissement du vieillissement de certaines fonctions chez des modèles animaux expérimentaux (Grillo et Colombatto, 2008).

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