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IV) L A RESTRICTION CALORIQUE

1) Effets physiologiques de la restriction calorique chez différentes espèces

a) Chez les invertébrés

Chez la levure, la RC a été l’objet de nombreuses études alimentant le savoir sur les mécanismes cellulaires de l’impact de la RC sur la longévité. La levure soumise à une RC est capable de passer de son état physiologique basal de fermentation à un état physiologique utilisant la respiration mitochondriale (aérobie) qui permet aux cellules de doubler leur durée de vie chronologique. La respiration mitochondriale est impliquée dans l’activation de

certains facteurs de longévité comme les sirtuines (Silent mating type Information Regulation two protein), famille d’enzymes (désacétylases d’histone Nicotinamide Adénine Dinucléotide -dépendantes) conservée au cours de l’évolution. Les sirtuines sont associées à de nombreux changements physiologiques qui contribuent notamment à augmenter la survie d’un individu. Des réductions modérées basées sur la concentration de glucose dans le milieu de culture des cellules (avec une concentration optimale de glucose dans le milieu de 2% qui diminue à 0.5% ou 0.05%) impactent la régulation des voies métaboliques en diminuant par exemple la sensibilité à certains nutriments et permettent d’augmenter les durées de vie chronologique et réplicative, par le biais d’une sirtuine (Sir2, silent information regulator 2) (Lin et al., 2004). La capacité de Sir2 à allonger la durée de vie chez la levure, dépend en partie de son rôle de stabilisation dans la configuration de la chromatine de certaines régions répétitives de l’ADN. Actuellement, la majorité des études sur la RC a porté sur l’utilisation de

Saccharomyces cerevisiae ou Schizosaccharomyces pombe, des levures capables d’utiliser la

fermentation et la respiration. Mais, actuellement, les recherches s’orientent vers des modèles ne pouvant utiliser le « basculement » entre la fermentation et la respiration mitochondriale tel que Candida albicans. Ces modèles sont susceptibles d’apporter des informations supplémentaires quant aux mécanismes de base impliqués dans l’augmentation de la longévité chez des organismes restreints.

Chez le ver nématode, Caenorhabditis elegans, les différentes méthodes de RC énoncées précédemment augmentent la longévité (Vanfleteren et al., 1999). La régulation de l’expression des sirtuines est également mise en jeu dans ce processus chez C. elegans, puisque des manipulations génétiques de la chaîne des sirtuines (surexpression (Tissenbaum et Guarente, 2001), mutation (Wang et al., 2006)) entraînent une augmentation de la durée de vie significative chez cette espèce.

Chez la drosophile, Drosophila melanogaster, la RC appliquée à une souche sauvage augmente la longévité en ralentissant le processus de vieillissement normal. Par analyses comparatives du transcriptome chez les drosophiles restreintes, une diminution de l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme, la croissance cellulaire et la reproduction a été observée (Pletcher et al., 2002). Cet allongement de durée de vie requière l’activation d’une sirtuine, dSir2 (Guarente et Picard, 2005). Une intervention génétique visant à diminuer dSir2 bloque complètement les voies cellulaires de régulation impliquées dans l’augmentation de la durée de vie (Rogina et Helfand, 2004).

Les méthodes de RC influent également sur le pourcentage d’augmentation de la durée de vie. Ainsi, rapportée au nombre de calories, une réduction de la consommation d’acides aminés augmente de façon bien plus marquée la longévité des drosophiles comparée à une réduction de la quantité de sucre dans le milieu nutritif d’élevage. De même, des mutations au niveau de gènes spécifiques impliqués dans l’extension de la durée de vie chez cette espèce (comme le gène codant pour le récepteur à l’insuline CHICO), ne présentent pas d’effet « additif » sur l’augmentation de la durée de vie lorsque les individus sont également sous RC (Clancy et al., 2002). Récemment, de nouveaux gènes ont été identifiés, qui pourraient jouer un rôle clé dans la voie de régulation de la longévité en intervenant au niveau de la prolifération cellulaire et en régulant la voie insuline/IGF-1 (voir pour revue, Tchkonia et al., 2010).

b) Chez les rongeurs

Les rongeurs ont été les premiers modèles à servir pour les études de la RC et plus précisément les études sur l’induction et l’activation des sirtuines fortement pressenties comme acteur principal dans l’augmentation de la longévité. SIRT1 est la plus étudiée des sept sirtuines présentes chez les mammifères (SIRT1-SIRT7). C’est également la sirtuine qui partage le plus de séquences similaires avec la sirtuine Sir2 présente chez la levure (Frye, 2000). SIRT1 intervient dans de nombreuses cascades de régulation cellulaire en déacétylant un grand nombre de facteurs et cofacteurs de transcription impliqués dans la croissance et la différenciation cellulaire, la résistance au stress oxydant et la régulation du métabolisme (Weindruch et al., 2002 ; Brunet et al., 2004). SIRT1 est également un régulateur de PGC-1 (Peroxisome proliferator-activated receptor Gamma Coactivator 1-alpha) (Rodgers et al., 2004), un activateur de transcription qui joue un rôle majeur dans la biogenèse mitochondriale ainsi que l’adipogenèse et le métabolisme énergétique dans la majorité des tissus. Récemment, une étude a montré que SIRT1 prend part à la régulation transcriptionelle circadienne de certains gènes clock (Circadian Locomotor Output Cycles Kaput) rendant possible un lien entre la longévité et les rythmes circadiens (Nakahata et al., 2008). De nombreuses évidences ont démontré le lien entre l’activation de SIRT1 et les effets bénéfiques de la RC sur la longévité (voir pour revue, Cohen et al., 2004). SIRT6 a également été démontrée comme médiateur des effets positifs de la RC comme par exemple la diminution de l’incidence des troubles liés à l’âge dans les tissus spécifiques tels que les reins, le cerveau et le cœur (Kanfi et al., 2008). Une déficience en SIRT7 chez les souris entraîne une

diminution de l’espérance de vie moyenne et maximale, induisant également des cardiomyopathies sévères (Vakhrusheva et al., 2008). Cependant SIRT1 reste le principal lien entre la RC et la longévité, la RC étant responsable de l’augmentation de SIRT1 dans la plupart des tissus chez les rongeurs (Cohen et al., 2004).

La RC induit une diminution de l’adipogenèse et stimule la mobilisation des acides gras libres au niveau des adipocytes via SIRT1 (Picard et al., 2004). Elle induit également la gluconéogenèse dans les cellules hépatiques (Rodgers et al., 2005). Chez les souris sous RC, SIRT1 semble également avoir un rôle neuro-protecteur (Qin et al., 2005). Par ailleurs, de nombreuses études soutiennent l’hypothèse selon laquelle les effets bénéfiques de la RC sont régis par la voie d’action GH/IGF-1, aussi appelée voie de l’insuline. En particulier, une réduction du signal IGF-1 pourrait être responsable d’une diminution d’apparition de mutations spontanées et de tumeurs du rein et de l’intestin grêle chez des rats déficients en GH (Shimokawa et al., 2003). De même, la RC augmente considérablement la sensibilité à l’insuline et atténue la formation et le dépôt de plaques -amyloïdes chez un modèle de souris transgénique de la maladie d’Alzheimer (Patel et al., 2005). Les effets de ce régime alimentaire ont également été testés sur les fonctions cognitives des rongeurs mais les résultats sont fortement discutés. Ainsi, des effets positifs de la RC ont été observés chez des souris placées dans différents dispositifs faisant appel à la mémoire de travail (test d’alternance spontanée) ou à la mémoire spatiale (piscine de Morris) sans modification des comportements exploratoires évalués grâce à l’utilisation du test en champ ouvert (Wu et al., 2003). De plus, des effets sexe-dépendants ont été mis en évidence. En effet, dans une étude comparant l’effet de la RC en fonction du sexe des animaux, seuls les mâles ont démontré une augmentation de leurs performances cognitives. A l’inverse, des rats placés sous RC pendant une grande partie de leur vie ne présentent aucune amélioration de leurs performances de mémoire de travail (Markowska et al., 1999). Cependant, le pourcentage élevé de RC utilisé dans cette étude (60%) pourrait peut-être expliquer l’absence d’augmentation de leurs performances cognitives. En effet, le glucose étant la source principale d’énergie dans le cerveau, une RC trop élevée et à long terme peut avoir un impact sur le métabolisme cérébral du glucose induisant un déclin des performances. Quelques années plus tard, Yanai et ses collaborateurs (2004) ont renforcé les résultats de Markowska en démontrant, chez des rats également, que la RC pouvait même induire des effets délétères sur les capacités de mémorisation spatiale et de travail (Yanai et al., 2004). Pour le moment, le débat sur l’impact d’un tel régime sur les fonctions cérébrales reste ouvert et de plus amples investigations sont nécessaires pour apporter des conclusions solides. Enfin, le pool génétique d’une lignée peut

affecter les effets de la RC sur la longévité. Une étude récente a évalué la longévité chez des souris de 42 lignées génétiques différentes soumises ou non à une RC. De manière surprenante, la RC n’augmente la longévité des souris que dans 9 lignées et la diminue dans 4 autres, les 29 autres lignées ne présentant pas de différences selon le régime alimentaire (Rikke et al., 2010).

c) Chez les primates non-humains

Les études chez les PNH se sont multipliées en raison des découvertes importantes obtenues grâce à l’utilisation des précédents modèles animaux. Il y a environ 25 ans, deux études ont débuté à l’Institut National du Vieillissement (Baltimore, USA) et à l’université du Wisconsin (Madison, USA) (voir pour revue, Ingram et al., 1990 ; Roth et al., 1999) chez des macaques rhésus (Maccaca mulatta) placés sous une RC de 30% à partir de l’âge adulte (environ 10 ans chez cette espèce) (Roth et al., 1999). A partir de l’âge de 20 ans environ, le pourcentage de survie des macaques contrôles décline plus rapidement que celui des macaques sous RC. Après 15 ans de traitement, les macaques restreints présentent un taux de survie supérieur de 20% par rapport à celui des témoins (Colman et al., 2009) (Figure 15).

Figure 15. Restriction calorique et survie chez le macaque rhésus. Pourcentage de macaques

rhésus survivants lorsqu’ils sont soumis à un régime standard (macaques contrôles) ou à une restriction calorique de 30%. (adapté de Colman et al., 2009).

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Macaques contrôles

Macaques restreints (30%)

Age (années)

La fréquence d’apparition de diabètes de type II et de maladies cardio-vasculaires est 50% plus basse chez les animaux en RC comparés aux animaux contrôles dont la moitié a développé des états pré-diabétique ou diabétique (Colman et al., 2009) (Figure 16). Tout comme chez les rongeurs, les macaques sous RC ont présenté des adaptations structurales, hormonales et métaboliques (Kemnitz et al., 1994). Il a été observé une diminution importante de la masse grasse des animaux, une sensibilité à l’insuline plus importante ainsi qu’une diminution des dommages causés par les radicaux libres (Lane et al., 1995) et des processus inflammatoires (Branch-Mesetal et al., 2008). De plus, le déclin lié à l’âge des fonctions immunitaires (Ebersole et al., 2008), de même que l’atrophie cérébrale de la matière grise et l’apparition de sarcopénie ont également été atténués chez les animaux exposés à une RC (Colman et al., 2008 ; Colman et al., 2009 ; Willette et al., 2012).

Figure 16. Modifications morphologiques d’un macaque rhésus soumis à une restriction

calorique de 30% (A) et d’un macaque rhésus non restreint et nourri avec un régime standard (B). C : évolution de la fréquence d’apparition de trois types de pathologies liées à l’âge chez le macaque rhésus : les néoplasies (tumeurs bénignes ou non), les maladies cardiovasculaires et les dérèglements du métabolisme glycémique (syndrome métabolique et diabète de type II) (adapté de Colman et al., 2009).

néoplasie maladies cardiovasculaires syndrome métabolique (diabètes) A B C Age (années)

Comparés aux animaux contrôles du même âge, les primates restreints présentent une masse corporelle plus faible, avec une masse grasse réduite mais également une température corporelle diminuée (Lane et al., 1996). Cependant, l’impact de la RC sur les fonctions reproductrices des primates est moins clair. Chez le macaque rhésus, comme chez le rat, la RC retarde la puberté et il semblerait qu’elle freine la croissance osseuse des animaux restreints (Black et al., 2001 ; Sitzman et al., 2010). Enfin, l’impact d’une RC a été évalué sur le raccourcissement des télomères chez des macaques. Le rôle du raccourcissement des télomères dans le vieillissement cellulaire est bien connu, et chez l’Homme, des données épidémiologiques ont démontré que la longueur des télomères dans les leucocytes était extrêmement variable à la naissance mais inversement corrélée à l’âge. Chez les macaques, aucun effet de la RC sur la longueur des télomères n’a pu être encore mis en évidence (Smith et al., 2011).

d) Chez l’Homme

Chez l’Homme, une RC modérée (25%) de 3 à 6 mois s’accompagne d’effets bénéfiques marqués contre l’obésité, la résistance à l’insuline, les mécanismes inflammatoires, le stress oxydatif ou les dysfonctionnements cardiovasculaires (Dolinsky et Dick, 2011 ; Weiss et Fontana, 2011), résultats en accord avec ceux obtenus chez des rongeurs subissant le même traitement (Rippe et al., 2010). Comme chez les rongeurs, des modifications hormonales sont observées chez l’Homme sous RC, comme une augmentation de l’adiponectine, une réduction de la triiodothyronine (hormone thyroïdienne impliquée dans la régulation du métabolisme), une baisse des taux de testostérone et d’insuline. La RC permet aussi de diminuer un certain nombre de facteurs de risque impliqués dans le développement de maladies cardio-vasculaires comme le taux de cholestérol, la quantité de protéine C-réactive qui a un rôle important dans les réponses inflammatoires, la pression sanguine et l’épaisseur de l’intima-média de l’artère carotide (Weiss et Fontana, 2011). Ce régime alimentaire diminue également la température corporelle des individus sous RC. Enfin, il induit des adaptations métaboliques et comportementales avec une baisse du niveau d’activité physique chez des volontaires placés sous RC pendant 6 mois (Redman et al., 2011). Il est intéressant de noter qu’il existe des différences majeures dans les effets de la RC chez les primates comparés à ceux observés chez les rongeurs. Par exemple, une RC modérée induit une diminution de 30 à 40% du taux d’IGF-1 plasmatique chez les rongeurs mais aucun effet n’a encore été observé chez l’Homme (Fontana et al., 2008).

Dans l’étude « Baltimore Longitudinal Study of Aging » (BLSA), une RC modérée et à long terme (6 ans en moyenne), induit une diminution de la température corporelle moyenne de jour et de nuit (Soare et al., 2011), fait également démontré chez des rats restreints (Duffy et al., 1989) et chez des macaques rhésus soumis à une RC de 30% (Lane et al., 1996). Par ailleurs des essais cliniques d’application d’une RC chez des patients en chimiothérapie ont montré des résultats encourageants (Raffaghello et al., 2010). En effet, la diminution d’un grand nombre d’effets secondaires liés à la thérapie ainsi qu’une possible augmentation de son efficacité ont été observées chez des patients soumis à des jeûnes répétés pendant leur chimiothérapie.

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