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Théories pour formaliser

l’apprentissage

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il existe de nombreuses conceptions de l’apprentissage : acquisition d’information, développement de valeurs, possibilités d’organisation collective. Ces différentes conceptions ne sont pas antinomiques, mais elles ne sont pas souvent intégrées au sein d’un même cadre théorique. L’objectif de ce chapitre est d’identifier des approches théoriques qui permettent de formaliser l’apprentissage pour voir lesquelles mobiliser dans notre analyse.

Dans le 5.1, nous présentons, à travers différents débats, la complexité du concept d’apprentissage et les enjeux de sa formalisation. Dans le 5.2 et le 5.3, nous montrons comment l’économie de la connaissance et les sciences de gestion formalisent l’apprentissage. Nous proposons dans le 5.4 des pistes pour intégrer ces deux approches au sein d’un même cadre.

5.1

L’apprentissage : enjeux de sa formalisation

Bien que le mot « apprentissage » soit employé par les sciences sociales, il est peu mis en avant par les différentes disciplines. L’économie utilise les concepts de « capitaux », « information », « connaissance » (Foray, 2000; Guerrien, 1997; Gurgand, 2005; Petit, 1998). La sociologie parle d’ « innovation », de « changements sociaux », d’ « organisation » (Bernoux, 1999; Touraine, 1978). Les sciences de l’éducation abordent les concepts de « capacités », d’ « aptitudes », parfois de « compétences » (Barbier, 2007; Perrenoud, 2001). Les sciences de gestion s’intéressent à l’ « organisation », aux « interactions », à l’ « action » (Avenier et Schmitt, 2007; Plane, 2000; Reix, 1998). Toutes ces notions sont pourtant liées au concept d’ « apprentissage ». Face à cette diversité d’utilisation, l’apprentissage apparait comme un terme diffus, qui recouvre de nombreux phénomènes.

CHAPITRE 5. THEORIES POUR FORMALISER L’APPRENTISSAGE

Pourquoi donc avons-nous choisi l’apprentissage comme concept central ? Il nous semble que par son amplitude justement, il se prête à l’étude de processus inter-reliés et dynamiques qui sont souvent isolés les uns des autres : la constitution de connaissances, l’acquisition de compétences, la possibilité de s’organiser, le développement d’innovations, l’implication en termes de changements sociaux. Dans le Chapitre 4, nous avons pu voir que l’apprentissage est utilisé pour caractériser de nombreux phénomènes, relativement différents, qui vont de l’échange d’information au développement de valeurs collectives en passant par le « capacity

building » et l’ « empowerment ». Nous avons proposé une piste pour essayer d’intégrer ces

différents concepts dans un même cadre d’analyse, avec les boucles d’Argyris et Schön (1978). Dans ce chapitre, nous allons approfondir comment différentes théories (dont celle d’Argyris et Schön) tentent de formaliser l’apprentissage, dépassant les visions proposées classiquement par leur discipline.

Pour mieux comprendre la complexité de ce concept et les enjeux de sa formalisation, commençons par voir comment il est défini.

Un dictionnaire linguistique (Nouveau Petit Robert, 1996) défini l’apprentissage comme « le fait d’apprendre » (apprendre venant du latin aprendere, « saisir »), c’est-à-dire le fait d’« acquérir un ensemble de connaissances par un travail intellectuel ou par l’expérience », ou bien comme une « modification durable du comportement d’un sujet ».

De la même manière, en anglais, learning est défini comme : « 1. The act, process, or

experience of gaining knowledge or skills. 2. Knowledge or skill gained through schooling or study. 3. (Psychology) Behavioral modification esp. through experience or conditionning. »

(American Heritage College, 2002).

Ces définitions, aussi simples soient-elles, permettent d’identifier différents débats. D’abord, l’apprentissage est considéré à la fois comme cognitif, c’est-à-dire dirigé vers l’acquisition de nouvelles connaissances (knowledge), et comportemental, c’est-à-dire lié à une modification de comportement (behavior). Ensuite, l’apprentissage désigne à la fois un processus (learning, process of gaining knowledge, parfois désigné comme knowing) et un résultat (knowledge gained). Enfin, l’apprentissage est vu à la fois comme un phénomène individuel et un phénomène inscrit dans la société (schooling, conditionning).

Ces définitions donnent une idée des débats qui agitent les sciences s’intéressant à l’apprentissage. Revenons sur différentes disciplines pour illustrer la manière dont ces débats se sont construits et comment ils ont contribué à mieux définir l’apprentissage.

5.1.1

L’apprentissage : entre cognition et action

La nature de l’apprentissage a été particulièrement débattue en psychologie. Schématiquement, d’un côté les cognitivistes considèrent que l’apprentissage est une assimilation de connaissances par une activité de l’esprit, de la cognition ; et de l’autre côté, les « behavioristes » (comportementalistes) voient l’apprentissage comme une modification de comportements par l’expérimentation dans l’action.

La psychologie cognitive sous sa forme actuelle s’est développée à partir de la psychologie expérimentale, qui étudiait les temps de réaction et de psychophysique pour découvrir les éléments de conscience. Au tournant du XXème siècle, deux écoles apparaissent aux Etats- Unis : 1/ les structuralistes, qui cherchent les éléments de base de la vie mentale et la manière dont ils sont combinés entre eux ; et 2/ les fonctionnalistes, qui analysent le rôle joué par certains processus dans la vie de l’individu et comment ils permettent l’adaptation au milieu physique et social. Cette école fonctionnaliste va permettre l’émergence du behaviorisme, dont le fondateur, Watson (1878-1958), s’intéressait notamment aux comportements animaux (Tilquin, 1950). Le behaviorisme contribuera de manière importante à l’élaboration des théories de l’apprentissage et son influence se ressent encore aujourd’hui. Skinner (1904- 1990) en est un des plus influents représentants, malgré les nombreuses critiques à l’encontre de ses schémas stimulus-réponses qui laissaient peu de place à une force psychique intermédiaire. Bateson est un autre théoricien important de l’apprentissage dans l’action (Bateson, 1972).

A partir des années 1950 jusqu’aux années 1980, les théories vont progressivement évoluer, vers la prise en compte d’une composante plus cognitive, face aux schémas behavioristes classiques (Mariné et Escribe, 1998). La cognition s’intéresse à tout ce qui produit de la connaissance, considérée comme une « représentation vraie du monde », impliquant une évaluation de la valeur de vérité. Plusieurs conceptions de la cognition s’opposent. D’un côté, la théorie représentationnelle de l’esprit présuppose que la cognition s’appuie sur des symboles mentaux et des opérations logiques, plus ou moins universels (Kayser, 1997). C’est donc notre esprit qui représente le monde. Une théorie s’oppose à cette conception, et postule que la cognition émerge plutôt d’une co-détermination entre le monde et notre action. Dans cette théorie dynamique de l’esprit, la cognition serait alors directement liée à nos expériences, ce serait une « enaction » selon le néologisme de Varela (Varela et al., 1991). Dans ce cas, la cognition ne peut être formalisée en dehors d’un système d’interactions impliquant de multiples agents cognitifs : la cognition est dès lors sociale et située (Markman et Dietrich, 2000).

Aujourd’hui, c’est surtout le mouvement cognitiviste qui domine la psychologie scientifique mondiale (Baudouin et Tiberghien, 2007; Gardner, 1993), se focalisant sur les mécanismes mentaux organisateurs, c’est-à-dire les processus par lesquels l’information sensorielle est transformée, réduite, élaborée, stockée, récupérée et utilisée. Ces développements sont en

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particulier liés à l’apparition des ordinateurs, de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Une nouvelle génération de théoriciens, dont Chomsky (1980; 2005), Fodor (1998), Simon (1978; 1999), considèrent que notre esprit fonctionne selon des principes de calcul, amenant à discuter quel type de rationalité est utilisé. Simon (1978; 1982) avance le concept de rationalité limitée procédurale en montrant qu’on ne peut pas réfléchir rationnellement à tout, les acteurs développent donc des procédures pour résoudre leurs problèmes.

Ces débats posés par la psychologie se sont étendus à d’autres disciplines. Ainsi, Simon reçoit le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur la rationalité. On peut aussi citer l’exemple des travaux de Bateson (1972) en behaviorisme qui ont été repris par les sciences de gestion, notamment par Argyris et Schön (1978) dont nous présenterons les travaux dans le 5.3.

5.1.2

L’apprentissage : résultat ou processus ?

Lorsqu’on parle de capacités, d’innovation, etc., trop souvent c’est le « produit » qui est évoqué et non pas le processus de construction. Pour l’apprentissage, on peut aussi parler du résultat, «les connaissance acquises » (knowledge), ou du processus, «la prise de connaissance » (knowing). Le débat entre processus et résultat apparait notamment en pédagogie. Ainsi, Piaget (1950), pédagogue ayant développé une théorie sur les stades du développement cognitif chez l’enfant, a ensuite développé toute une épistémologie de la connaissance où il met en exergue l’importance du processus : « La connaissance est

processus de construction de connaissances avant d’être résultat » (p62).

Certaines méthodes considèrent qu’il existe des connaissances que l’enfant doit apprendre telles quelles : la méthode doit permettre l’acquisition de ces connaissances, souvent par la répétition ou par des stimuli (sanctions, encouragements) (Skinner, 1969). D’autres méthodes considèrent que l’enfant construit les connaissances au travers de processus d’apprentissage et la méthode doit chercher à inciter ce processus (Freinet, 1979). Appelée méthodes actives, celles-ci visent à développer l’ensemble des facultés de l’enfant par l’action.

Certains considèrent que pour développer une éducation de masse, il est plus facile pour l’enseignant d’utiliser des méthodes fondées sur la répétition. L’évaluation des étudiants est alors réalisée par des tests des connaissances acquises, donc du résultat de l’apprentissage. Dans le cas des méthodes actives, l’évaluation porte sur la progression réalisée par l’étudiant et c’est souvent celui-ci qui est amené à réaliser cette évaluation.

Comme dans tout débat, il existe un continuum entre ces deux pôles. Barbier (2007) met en évidence cette diversité de conceptions en réalisant une analyse des champs lexicaux utilisés pour désigner l’apprentissage dans différents contextes éducatifs. Les modèles qu’il propose53

53 Barbier présente quatre modèles, nous ne présentons que les trois premiers. Le quatrième modèle correspond aux « savoirs d’action », notion actuellement en construction.

se distinguent par l’importance accordée à l’action et donc au processus au cours duquel se construit l’apprentissage.

Le premier modèle correspond à une logique d’enseignement et de communication. Il s’agit de développer des savoirs (des références communes) et des connaissances (des savoirs internalisés par les sujets). L’apprentissage correspond à l’intégration des savoirs, mais aucune référence n’est faite à l’action envisagée (et donc au processus au cours duquel pourraient se construire les savoirs).

Le second modèle est celui des logiques de formation professionnelles, qui mentionnent la capacité et l’aptitude. Ce modèle intègre une notion d’activité, la capacité étant construite en prévision d’un environnement donné. Par ailleurs, l’accent est mis sur le sujet apprenant, qui fait l’articulation entre la capacité et l’activité. L’évaluation est importante, car elle fait le lien avec les objectifs visés (Moreira, 1983).

Le troisième modèle, plus récent, émerge à partir de nouvelles pratiques de formation professionnelle, centrées autour du développement de compétences. Ce modèle intègre le sujet et l’activité, la compétence étant en même temps investie dans l’action et produite par cette action. Ainsi, c’est à la fois l’acteur et l’action qui sont changés lors de l’apprentissage. Il s’agit d’une transformation continue, le processus étant au centre de la démarche. Ces compétences sont finalisées et évaluées, en fonction de la réussite de l’action.

Ainsi, cette analyse de champs lexicaux des trois modèles révèle la progression dans la prise en compte de l’apprentissage comme processus plutôt que comme résultat, amenant une évolution des méthodes pédagogiques utilisées en formation.

Cette différence d’abordage, entre la prise en compte du résultat ou du processus d’apprentissage, est surtout prescriptive dans le cas de la pédagogie. Elle peut aussi être importante pour l’analyse, en économie par exemple. L’économie a longtemps considéré uniquement la courbe d’apprentissage (produit cumulé versus gain de productivité) sans entrer dans la relation entre les deux pour éviter d’analyser le processus. La sociologie de l’innovation évolue également vers la prise en compte des processus. L’innovation n’est plus vue comme une technique novatrice, une invention, mais comme une mise en cohérence avec le système global. Le débat se déplace donc du statique (l'innovation) au dynamique (le processus d'adoption par la société).

5.1.3

L’apprentissage : entre individu et société

Les sciences de l’éducation, qui orientent la pédagogie par leurs analyses, sont essentiellement basées sur les approches de psychologie, centrées sur l’individu et les

CHAPITRE 5. THEORIES POUR FORMALISER L’APPRENTISSAGE

mécanismes d’apprentissage personnels (Mialaret, 2006). Cette vision de l’éducation, qui considère que l’apprentissage est un phénomène individuel, s’est attirée des critiques, notamment en provenance des sociologues. Ainsi Durkheim (1903) écrit : « la pédagogie n’a

que trop souvent été une forme de littérature utopique », celle-ci considérant l’homme de

manière intemporelle et déconnectée de son contexte. Il fait le constat du lien entre la forme du système éducatif et du système social : « Toutes les fois où le système de méthodes

éducatives a été transformé, c’est sous l’influence de quelqu’un de ces grands courants sociaux dont l’action s’est fait sentir sur toute l’étendue de la vie collective ». Vu de cette

manière l’apprentissage n’est pas juste un processus individuel mais un processus qui se situe au sein d’un ensemble social plus large.

Au sein de la sociologie, un débat existe entre tenants d’une perspective individualiste (de Max Weber aux théories actuelles de l'action rationnelle) et ceux défendant une perspective holiste (de Durkheim à Parsons ou Bourdieu). En schématisant, les théories individualistes basent leurs analyses sur les individus, censés agir « rationnellement » en utilisant des ressources et en subissant des contraintes. Les perspectives holistes analysent les structures de la société et expliquent le comportement des acteurs par leur position dans ces structures.

Parmi les courants holistes qui s’intéressent à l’influence de la société sur l’apprentissage (notamment au travers des systèmes d’éducation), deux visions apparaissent. D’un côté, Bourdieu avance l’idée de « reproduction sociale » : le système d’éducation ne permet pas une démocratisation et une égalité des chances, car l’individu apprend au sein d’un système social fermé (Bourdieu et Passeron, 1970). De l’autre, influencé par les mouvements de théologie de la libération, Paulo Freire défend l’idée selon laquelle l’éducation, en permettant une prise de conscience, amène l’individu à se libérer des contraintes sociales (Freire, 1974).

En économie aussi certains courants adoptent une approche holiste de l’apprentissage. Ainsi, les évolutionnistes (Dosi, 1988; Nelson et Winter, 1974) mettent en avant les routines et les conventions qui se développent au sein d’entreprises (ou de groupes) et qui permettent l’apprentissage. L’apprentissage va ainsi être soumis à un path dependency (une dépendance de sentier), déterminé par les routines accumulées, l’action des individus restant limitée par ce cadre.

Au-delà de cette opposition entre individualisme et holisme, un courant intermédiaire de sociologie émerge, défendant une approche relationnelle (Grossetti et Bes, 2002). L’apprentissage nait de l’interaction entre individus au sein de collectifs. Différents courants de sociologie s’intéressant à l’apprentissage naissent à la suite de la perspective relationnelle. La sociologie de la traduction (Akrich et al., 2006) considère que pour entrer en relation les uns avec les autres, les individus doivent s’adapter aux autres, traduisant (c’est-à-dire rendant lisibles) leurs connaissances pour que les autres puissent les appréhender. Le processus d’apprentissage entre acteurs naît donc de cette traduction permanente. Ce processus de

médiation entre acteurs peut aussi se baser sur des objets matériels, que Vinck (2000) appelle « objets intermédiaires » (cartes, schéma) et qui représentent une base à l’apprentissage en commun. Ainsi, la particularité de ces courants est de définir des objets (messages de la traduction, objets intermédiaires) qui dépassent les individus tout en facilitant la relation entre individus.

L’important n’est pas de trancher entre ces trois débats, mais bien de mettre en évidence la nature plurielle des apprentissages. Pour illustrer ces débats, nous avons fait appel à différentes disciplines pour montrer la diversité des conceptions. Nous allons maintenant nous intéresser aux disciplines qui sont au centre de notre approche (l’économie et les sciences de gestion) pour voir comment elles formalisent l’apprentissage. Nous nous focaliserons sur deux branches qui se sont développées autour de l’étude de l’apprentissage : celle de l’économie de la connaissance et celle de l’apprentissage organisationnel.

5.2

L’économie de la connaissance : la formalisation des

mécanismes liés à la connaissance

L’économie de la connaissance choisit d’appréhender l’apprentissage au travers des connaissances produites et échangées. L’avantage est que la connaissance peut être assimilée à un bien économique, suivant des lois économiques, malgré certaines particularités.

Une des particularités de la connaissance par rapport à l’information est qu’elle comporte des aspects tacites non-exprimables : l’échange de connaissances ne peut se faire que par l’apprentissage. Le principal apport de l’économie de la connaissance est d’expliciter l’enjeu de la codification pour voir comment améliorer la production et l’échange de connaissances.

5.2.1

Pourquoi un intérêt accru pour la connaissance ?

Depuis une dizaine d’années, l’économie de la connaissance, dans le sens d’une économie basée sur la connaissance, devient un nouveau paradigme de développement. Selon Foray (2000) le changement est devenu l’activité économique principale. Traditionnellement, on pouvait observer une phase brève de construction de nouvelles capacités, puis des phases longues d’exploitation de ces capacités. Aujourd’hui, on se trouve dans un régime d’innovation permanente (Guellec, 1996), qui requiert des niveaux de formation accrus et des compétences particulières privilégiant l’adaptabilité, la mobilité et la flexibilité.

Comme mentionné par (Arrow, 1962), l’apprentissage est inhérent aux activités : learning by

doing, learning by using. Mais justement parce qu’il est partout présent, l’apprentissage est un

phénomène difficilement observable, ce qui pose des problèmes de mesure. On utilise donc des indicateurs indirects, tels que les ressources affectées ou les résultats des activités. Dans

CHAPITRE 5. THEORIES POUR FORMALISER L’APPRENTISSAGE

des approches plus récentes (Jaffé et Tajtenberg, 1996), plutôt que de mesurer l’apprentissage, on s’intéresse à la connaissance engendrée par l’apprentissage, en mesurant cette connaissance.

Dans ce nouveau système économique, la connaissance est considérée comme le principal facteur de production, menant au développement d’une sous-discipline économique dont l’objet de recherche – la connaissance – pose des problèmes théoriques originaux (Howitt, 1996).

5.2.2

La connaissance en tant que bien économique

La connaissance et l’information ont longtemps été assimilées dans les analyses économiques, mais ceci laissait de côté les aspects d’apprentissage et de cognition. Le Tableau 5.1 présente les différences entre les deux concepts.

Tableau 5.1. Différence entre les concepts d'information et de connaissance

Information Connaissance

Définition Ensemble de données formatées et

structurées

(données inertes ou inactives, incapables d’engendrer de nouvelles informations)

Capacité d’apprentissage et capacité cognitive

(capacité à engendrer, extrapoler et inférer des nouvelles connaissances et informations)

Reproduction Duplication Apprentissage

Problèmes économiques posés

Révélation et protection Reproduction

L’information est externe au sujet, et se présente de manière structurée et codifiée. La connaissance est internalisée par le sujet, ce qui pose des problèmes de reproduction. Alors qu’il suffit de copier l’information pour la dupliquer, il faut apprendre pour multiplier la connaissance.

Du fait de ces propriétés, la connaissance en tant que bien économique présente plusieurs particularités (Foray, 2000).

C’est un bien non excluable : la connaissance étant intangible, elle n’est pas contrôlable et présente des possibilités de « fuites », entraînant de nombreuses externalités (même si la captation des connaissances par d’autres dépend de leur capacité d’apprentissage). Cette propriété entraine la mise en place de brevets, pour tenter de contrôler les connaissances produites.

C’est un bien non rival : la connaissance est inépuisable, car elle ne se détruit pas à l’usage. Un agent peut recourir une infinité de fois à la même connaissance, une infinité d’agents peuvent utiliser la même connaissance : on parle d’« expansion infinie » (David, 1993; Keely et Quah, 1998). Ce n’est pas une copie du bien original, mais bien la même connaissance qui est utilisée. Le coût marginal d’usage est nul, et sur cette base, l’usage de la connaissance existante devrait donc être nul. Ceci pose des problèmes de compensation financière de la production de la connaissance.

C’est un bien cumulatif : la connaissance est le principal facteur de production d’autres connaissances. Ce n’est pas seulement un bien de consommation, mais surtout un bien de production. Les externalités de savoir renforcent aussi l’accumulation de nouveaux savoirs.

Ces trois propriétés font de la connaissance un bien à rendement social élevé, fondement essentiel de la croissance.

5.2.3

Un des principaux enjeux : la codification

La connaissance, parce qu’elle est inhérente à l’individu, est en partie tacite, c’est-à-dire non exprimé, implicite (Polanyi, 1966). Ainsi, un premier enjeu est d’arriver à cerner la connaissance. La connaissance peut recouvrir différents types de capacités (Hatchuel et Weil, 1992), tels qu’une capacité cognitive (mobilisation de procédés connus et mémorisables, résolution d’énigmes, définition d’une tactique), une capacité interactive (dialogue,

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