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Education rurale au Brésil : un

débat d’actualité

Le Brésil est un pays qui a une longue tradition et réflexion sur l’éducation rurale, avec des penseurs reconnus mondialement, dont le plus connu est Paulo Freire. Aujourd’hui, on observe la structuration d’un mouvement important, batisé educação do campo14, qui s’oppose à ce qui était formellement appelé educação rural. En retraçant l’évolution de l’éducation rurale dans le 2.1, nous montrons comment a émergé l’educação do campo. Nous développons alors dans le 2.2 les spécificités de ce mouvement.

L’expression « éducation rurale », initialement restreinte à l’éducation scolaire formelle, est aujourd’hui utilisée de manière plus large. L’éducation pour adultes (c’est-à-dire des formations hors cadre scolaire strict) est de plus en plus prise en compte, ainsi que les processus de formation informels, au sens d’échanges de connaissances (hors cadre prédéterminé) contribuant à l’éducation des individus impliqués. Nous choisirons de nous intéresser à l’éducation rurale au sens le plus large, d’autant plus que de nombreux liens existent entre les différents types de formation.

2.1

Evolution de l’éducation rurale au Brésil

Pour comprendre le débat actuel sur l’éducation rurale au Brésil, il est important de revenir sur l’évolution de cette dernière et sur les connotations qu’elle a prises au cours du siècle passé. Trois périodes se dessinent : la période d’émergence et de consolidation de l’éducation rurale plutôt menée par l’Etat ; puis une période de bipolarisation entre deux propositions très

14 Nous retranscrivons en portugais les expressions se rapportant aux différentes formes d’éducation, certaines des expressions ne pouvant être traduites que de manière approximative, ce qui ferait perdre son sens à la confrontation des termes utilisés. Educação do campo serait littéralement : éducation de la campagne, campo étant utilisé pour désigner le milieu rural.

CHAPITRE 2. EDUCATION RURALE AU BRESIL

contrastées, avec d’un côté l’Etat dictatorial et de l’autre les mouvements sociaux ; et enfin, une période de re-démocratisation, marquée par un rapprochement entre l’Etat et les mouvements sociaux, allant vers la co-construction de propositions.

La Figure 2.1 résume les différentes périodes. Un des premiers constats concerne l’évolution des expressions et des concepts utilisés15. Dans le cas de l’éducation rurale au Brésil, trois expressions spécifiques se distinguent :

Educação rural caractérise l’éducation dispensée par l’Etat en milieu rural,

notamment à partir des années 1930, avec une visée surtout productiviste. Marquée par une idée de domination par les grands propriétaires fonciers, cette expression est aujourd’hui connotée relativement péjorativement ;

Educação popular a été menée par les mouvements sociaux à partir des années 1960,

consolidée à la fin des années 1970, pour inciter à une citoyenneté critique et autonome ;

Educação do campo est apparue à la fin des années 1990 suite aux efforts des

mouvements sociaux. L’Etat a progressivement incorporé ces idées dans des politiques publiques pour que les populations rurales aient accès à une éducation adaptée aux conditions locales et à leurs besoins.

A partir d’une revue de littérature consacrée à l’éducation rurale au Brésil, nous avons cherché à caractériser les différentes périodes. Nous nous basons surtout sur des auteurs contemporains du fait du manque de recherches antérieures. Damasceno et Beserra (2004) constatent qu’en moyenne, entre 1981 et 1998, moins de deux articles et moins de deux livres par an ont été publiés concernant l’éducation rurale au Brésil (englobant les trois termes ci- dessus). Selon les auteurs, ceci révèle le peu d’attention porté à ce sujet par le gouvernement fédéral, les universités et centres de recherche. Ce désintérêt relatif pour l’éducation rurale reflète aussi le peu de pression exercée par les mouvements sociaux ruraux. Inversement, on peut relier l’intérêt accru de la recherche à ce sujet ces dix dernières années à l’augmentation du pouvoir de pression des mouvements sociaux, notamment du MST (Damasceno et Beserra, 2004).

15 L’évolution des concepts au Brésil présente des spécificités mais elle résulte aussi de l’évolution des concepts au niveau mondial, que nous présenterons de manière plus détaillée dans le Chapitre 4.

Figure 2.1. Chronologie des différents moments de l’éducation rurale au Brésil Légende: 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 Education pour Jeunes et Adultes Extension / vulgarisation Ruralismo pedagogico Contexte politique

Modernisation Getulio Vargas Dictature militaire

Educação do campo Educação popular

Démocratie

Grande époque de l’extension agricole « révolution verte » Education obligatoire

en milieu rural

Systématisation des pratiques d’éducation rural Education professionnelle Alphabétisation pour jeunes et adultes Gouvernement Lula: Co-construction Etat- Société Civile

Mené par l’Etat

Mené par les mouvements sociaux Mené en co-construction

Écoles

communautaires

Prestation de service par les mouvementssociaux

Educação popular

Education scolaire

CHAPITRE 2. EDUCATION RURALE AU BRESIL

2.1.1

Des débuts de l’educação rural à sa consolidation (années 1920-1960)

Les débuts de l’éducation rurale (années 1920-1930)

Le Brésil, pendant les quatre premiers siècles de colonisation, a été caractérisé dans sa majeure partie par un modèle d’exploitation extractive basé sur l’esclavage et les latifundias, tourné vers l’exportation agricole (Théry, 2000). La main d’œuvre associée à cette structure sociale ne nécessitait aucune qualification particulière et la scolarisation des couches populaires n’était pas à l’ordre du jour (Romanelli, 1978). L’école n’était destinée qu’aux élites urbaines. Selon les expressions de Whitaker et Antuniassi (1993), ce modèle d’éducation était urbano-centré, socio-centré (pour une classe dominante) et ethno-centré (sur la culture occidentale). Ce modèle a été tellement excluant qu’il marque aujourd’hui encore l’éducation brésilienne, notamment en milieu rural où se concentrait la main d’œuvre agricole (Silva, 2000).

Bien que quelques initiatives d’éducation en milieu rural soient mentionnées à la fin du XIXème siècle, ce n’est que dans les années 1910-1920 que naît l’educação rural, explicitement nommée comme telle, associée à un projet de maintien des populations en milieu rural. Elle est orientée par des conceptions théoriques nommées « ruralisme pédagogique » qui proposent de former des formateurs spécifiquement pour mieux servir un projet productif pour le milieu rural (Prado, 1995).

Les éducateurs urbains s’attribuent un rôle civilisateur. Cette conception instrumentale de l’éducation s’alimente de deux sources (Ricci, 1999) : la pensée évolutionniste qui s’est fortement propagée pendant les années 1920 au Brésil et le courant tayloriste qui venait des Etats-Unis. Il était nécessaire de préparer la main d’œuvre à la modernisation agricole. Cette modernisation a surtout renforcé le pouvoir des latifundiaires par une plus grande concentration des terres (Silva, 2000), même si le groupe agraire (comme sont appelés les

fazendeiros, grands propriétaires) a été fragilisé lors de la crise mondiale de 1929.

Renforcement modernisateur (1930-1945)

Vers le milieu des années 1920, apparaît un mouvement réformateur et modernisateur, entraîné par les actions des « pionniers de l’éducation » (Moraes de Souza, 2006). Ceux-ci écrivent en 1932 le « Manifeste des pionniers de l’éducation nouvelle ». Devenant par la suite un des textes fondateurs de l’enseignement public brésilien, ce manifeste demandait l’adoption d’un système d’instruction publique, gratuit, obligatoire et laïque.

Avec l’arrivée au pouvoir de Getulio Vargas16, à la tête d’une république populiste, un ensemble de politiques publiques convergentes a permis la configuration de ce qui peut être considéré comme le premier système d’éducation nationale (Moraes de Souza, 2006). Notamment, la Charte Constitutionnelle de 1937 décrète que le premier devoir de l’Etat est d’assurer l’enseignement pré-professionnel et professionnel destiné aux classes sociales les moins privilégiées, au travers de la création d’institutions spécialisées ou en soutenant les initiatives des états, des communes et des associations privées. En milieu rural, ce sont les entreprises rurales (fazendas) et les syndicaux ruraux qui doivent prendre en charge cette formation (Mota, 2006).

L’intervention de l’Etat doit être comprise dans la perspective urbaine et industrialisante de l’Ere Vargas, la main-d’œuvre migrante (depuis le Nordeste notamment) devant posséder un minimum de qualification pour lui permettre de travailler dans les industries en plein développement (Moraes de Souza, 2006). Le concept d’éducation populaire apparaît, dans le sens de l’extension des écoles pour les fils de travailleurs. De grandes campagnes d’alphabétisation d’adolescents et d’adultes sont lancées, touchant presque 80% de la population adulte. Le discours ruraliste (entendu comme le discours des élites urbaines s’intéressant au milieu rural) défend entre autres la nécessité de préserver l’environnement : « Ces pauvres travailleurs ne se rendent pas compte du mal qu’ils se font à eux et à leur

descendants. Le Nordeste a eu ses forêts, et à cause de ses habitants, il est, aujourd’hui, désert » (Corrêa, 1936, apud Mota, 2006).

Les critiques envers ce modèle autoritariste, modernisateur et urbano-centré s’élèvent peu à peu, suggérant qu’il faudrait plutôt chercher à améliorer les conditions de vie des ruraux. Pour illustrer cette évolution, Pires de Oliveira (2006) reprend les termes de Fontoura qui propose en 1945 de transformer l’école dite traditionnelle en lieu d’activités diversifiées, pour répondre aux demandes des propres habitants du milieu rural : « Il est donc incontournable

de créer une nouvelle école rurale pour le Brésil, qui, tant par son organisation que par son fonctionnement, soit capable d’atteindre la noble finalité qui lui est inéluctablement fixée. Non seulement instruire le paysan, mais aussi lui donner une éducation, des habitudes hygiéniques, des connaissances sur les moyens et les formes de travail. L’école rurale doit apporter au petit paysan une nouvelle mentalité et ainsi contribuer de manière décisive à l’élévation du niveau de vie du milieu rural. La nouvelle école rurale doit être organisée comme noyau actif de vie et de travail intelligent » (Fontoura, 1945) (p 97).

16Getulio Vargas arriva au pouvoir en 1930 par coup d’état, il est ensuite resté au pouvoir par changement de la Constitution jusqu’en 1945, puis fut réélu en 1951.

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Institutionnalisation de politiques d’éducation rurale (1946-1960)

L’après-guerre a été surtout marqué par la coopération internationale, qui apparut comme le nouveau paradigme central des nations pour combattre ensemble le «sous-développement». Sous l’impulsion du Projet Principal pour l’Amérique Latine et des Séminaires Interaméricains d’Education (notamment promus par l’UNESCO, fondée en 1945), les systèmes nationaux d’éducation se réorganisent progressivement. Au Brésil, la Constitution de 1946 institue l’éducation gratuite et laïque pour tous. En 1949, le Brésil est choisi comme lieu de rencontre pour le Séminaire Interaméricain d’Education, grâce au grand nombre d’initiatives d’éducation pour adultes. Notamment, suite à la Campagne Nationale d’Education pour Adultes et Adolescents de 1947, le pays devient une référence internationale en matière d’alphabétisation. Ce Séminaire de 1949 a permis de discuter, planifier et systématiser les premières orientations pour des pratiques d’educação rural. Notamment, des principes communs sont fixés pour l’éducation des populations rurales et indiennes (Moraes de Souza, 2006). Ces orientations allaient être prédominantes tout au long des années 1950 : une Campagne Nationale d’Education Rurale est lancée en 1952, avec des « missions rurales » pour créer des Centres Sociaux Communautaires et développer une pédagogie de l’éducation (Silva, 2000).

L’alphabétisation devient une fin politique, lié à un modèle de développement (Prebisch, 1963). L’analphabétisme des populations indigènes et paysannes de l’Amérique Latine est vu comme un obstacle à la réalisation de la mission historique du continent, celle de la construction d’une « culture américaine » et de l’amplification de la coopération panaméricaine. L’objectif de l’educação rural et de l’alphabétisation est alors d’intégrer l’homme rural à la société au travers d’actions solidaires, de coopération et par la division du travail. Les relations sociales devaient être encouragées par l’étude des langues, des lois économiques et sociales (coopérativisme), par l’éducation civique (comportements sociaux à adopter au travail, au syndicat, dans la famille), par l’éducation « récréative » (contre l’ « oisiveté ») et par une formation technique pour donner à l’individu un statut constructif dans la société, par l’adaptation aux techniques agricoles modernes (Moraes de Souza, 2006). Damasceno et Beserra (2004) font remarquer que paradoxalement, l’Etat commence à vraiment s’intéresser à l’éducation rurale au moment où tous les espoirs étaient placés dans le développement industriel. Le rural était considéré comme une catégorie qui allait disparaître avec le développement industriel, « le campo est une division socioculturelle qu’il faut dépasser, et non maintenir » (Abraão, 1989).

La coopération internationale a aussi impulsé le début des grands programmes de vulgarisation rurale (extensão rural17). Par exemple, l’Association Brésilienne d’Assistance Technique et d’Extension Rurale (ABCAR), créée en 1956 dans le but de coordonner les différents programmes d’extension et de capter des ressources techniques et financières, était subventionnée par des organisations de « coopération technique » directement liées au gouvernement américain (IIAA, ICA, AID, Alliance for Progress18, etc.) ou à des grandes entreprises américaines (Fondation Ford, Rockefeller, Kellogg, etc.). Cette stratégie permettait, suite à la deuxième guerre mondiale, d’assurer un approvisionnement sûr en aliments et matières premières. Certains auteurs considèrent que l’extensão rural, tirée par des intérêts de marché, était beaucoup plus efficacement organisée que l’éducation scolaire (Damasceno et Beserra, 2004).

Cependant, les réactions se font sentir : face à cette modernisation capitaliste accélérée, on assiste à l’irruption, en milieu rural, d’un ensemble de manifestations et actions collectives de contestation dues à l’expulsion de terre et à la perte de droits des travailleurs ruraux (Moraes de Souza, 2006). Presque simultanément, à différents endroits du Brésil, apparaissent des mouvements paysans organisés : en 1950, le MASTER (Movimento dos Agricultores Sem Terra – Mouvement des Agriculteurs Sans Terre), dans le Rio Grande do Sul (région Sud) ; en 1954, l’ULTAB (União dos Lavradores e Trabalhadores Agricolas do Brasil – Union des Ouvriers et Travailleurs Agricoles du Brésil) à Rio de Janeiro et São Paulo (région Centre) ; et en 1955, les LIGAS CAMPONESAS (Ligues Paysannes) dans le Pernambouco et la Paraiba (région Nordeste)19 (Silva, 2000). Dès leur début, ces organisations ont été dénoncées et combattues par les programmes officiels d’extensão rural et d’educação rural (Moraes de Souza, 2006), mais elles allaient profondément modifier le paysage de l’éducation rurale dans les décennies suivantes.

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Les brésiliens ont directement importé « extensão » de l’anglais “extension”, textuellement “prolongement”, qui désigne la diffusion de savoirs par des universités ou agences de développement. En français, c’est le terme vulgarisation qui était le plus communément utilisé à la même époque.

18 IIAA : Institute of Inter-American Affairs ICA : International Cooperation Agency AID : Agency for International Development

Alliance for Progress : programme de coopération mis en place par Kennedy en 1961 pour rapprocher Amérique du Nord et Amérique du Sud. Elle fut abandonnée en 1973 par Nixon.

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Notons cependant que de nombreux auteurs des années 1960 (Juarez Brandão Lopes, Alain Tourraine, Fernando Henrique Cardoso et Azis Simão) ont suggéré que la forte présence rurale au sein du prolétariat émergent fragilisait son organisation et sa conscience de classe, facilitant le contrôle des syndicats par l’Etat (Ricci, 2004).

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2.1.2

Bipolarité (années 1960-1980) : éducation officielle versus éducation

populaire

Dynamisme créateur de l’éducation populaire (1961-1964)

Avec l’apparition des mouvements syndicaux au cours des années 1950, culminant à la création de la CONTAG (Confederação Nacional dos Trabalhadores Agricolas – Confédération Nationale des Travailleurs Agricoles) en 1963, différents mouvements sociaux se sont développés autour d’une nouvelle conception de l’éducation, nommée educação

popular. Elle encourageait l’alphabétisation de jeunes et d’adultes, non pas avec une visée de

« rattrapage », d’assistanat ou de productivisme, mais comme instrument de l’émancipation populaire. Il s’agissait d’un engagement envers les couches populaires avec une participation constante des mouvements et initiatives sociales (Costa, 2000). Généralement basés sur la réalité locale, ces mouvements cherchaient notamment à renforcer la culture populaire. Ils cherchaient à développer une éducation essentiellement informelle, à l’encontre des modèles d’éducation officiels en vigueur. Cette tendance était globale, comme le montre la rencontre CONFITEA (Conférence Internationale de l’Education pour Adultes) à Montréal en 1960 qui définit les concepts d’éducation-formation permanente20 et d’éducation communautaire. La naissance du Mouvement de Culture Populaire (MCP - créé à Récife) en 1960 amorce les premiers programmes d’alphabétisation liés à des travaux culturels, d’abord au Pernambouc, puis s’étendant rapidement à d’autres états. L’année suivante (1961), la Confédération Nationale des Evêques Brésiliens (CNBB – Confederação Nacional dos Bispos Brasileiros) fonde le Mouvement d’Education de Base (MEB), s’appuyant sur un système d’éducation par programme radio, basé sur des principes de théorie de la libération (Edmerson dos santos reis, 2004). L’Union Nationale des Etudiants lance quant à elle des Centres Populaires de Culture (CPC). Au-delà de ces expériences les plus reconnues, de nombreux syndicats, églises, associations s’engagèrent dans ce grand mouvement d’éducation populaire, influencé dans un premier temps par le personnalisme21, le solidarisme22 et le marxisme (Costa, 2000).

Le grand théoricien et praticien de l’éducation populaire brésilienne est l’éducateur Paulo Freire. Il pose les bases d’une dialectique pédagogique pour l’éducation des adultes, insistant pour éliminer les structures hiérarchiques au sein de l’éducation. Il systématise à partir de 1962 la « formation humaine du sujet». L’éducation est conçue comme un processus de

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Cette conférence définit l’éducation permanente comme n’étant ni un système d’enseignement, ni un secteur éducatif, mais le principe sur lequel fonder l’organisation de l’éducation, s’étendant à tous les faits éducatifs, de manière continue et inachevée. L’éducation permanente rompt avec le modèle scolaire qui cherche l’accumulation des connaissances (conception bancaire), et propose l’éducation comme un processus continu depuis la naissance jusqu’à la mort, qui se confond avec l’existence et la construction de l’individu.

21 Courant de pensée définissant une troisième voie humaniste entre le capitalisme libéral et le marxisme. Son l’influence a été importante des années 1930 aux années 1950.

22 Courant de pensée proposé par Léon Bourgeois au début du XXème siècle, le solidarisme définit la « responsabilité mutuelle qui s'établit entre deux ou plusieurs personnes ».

conscientisation et de libération : les individus doivent prendre conscience de leur oppression pour prendre en main leur situation et développer des actions culturelles menant à une émancipation. Un autre point important est que toute éducation doit partir de la réalité et de la culture de l’individu : l’alphabétisation des adultes s’appuie sur les nombreuses connaissances qu’un adulte a déjà accumulées sur son environnement. De nombreux mouvements s’appuieront sur ses idées et en 1964, l’Etat lui-même lance le Programme National d’Alphabétisation basé sur la méthode Paulo Freire.

Toute cette période de dynamisme institutionnel bénéficie de l’encouragement du gouvernement João Goulard (1961-1964), travailliste, ouvert aux idées socialistes23, et qui lança diverses réformes : agraire, fiscal, administrative, bancaire et éducative. Cependant, cette période reste particulièrement tumultueuse politiquement et ne permet pas de réelles avancées par l’Etat.

Répression pendant la dictature (1964-1980)

Juste au moment où l’éducation populaire commence à s’amplifier, un régime militaire prend le pouvoir par un coup d’état pour « lutter contre le socialisme ». Immédiatement, les syndicats et organisations paysannes sont réprimés. La constitution de 1964, puis l’amendement constitutionnel de 1969, maintiennent l’éducation rurale sous la responsabilité des entreprises rurales. Les initiatives d’éducation populaire incitant la dignité humaine sont brimées (Santos Reis, 2004). De nombreux éducateurs (entre autres Paulo Freire) et leaders syndicaux sont contraints à l’exil, les universités sont mises sous tutelle (Silva, 2000). C’est l’époque de l’implantation et de la prolifération d’écoles techniques et agricoles : le gouvernement militaire axe les priorités d’éducation autour des nécessités du marché, « l’autoritarisme techniciste supprimant du système d’éducation brésilien les matières

humanistes qui encourageaient une formation large et critico-réflexive, permettant aux jeunes de se positionner, de manière critique et consciente, face aux problèmes de leur quotidien »

(Leite, 1999)(p25).

Les services d’extension agricole, implantés dans chaque état dans les années 1950, sont remplacés en 1975 par des nouvelles entités, nommées Entreprise d’Assistance Technique et d’Extension Rurale (EMATER), en vue de décentraliser les services d’Etat. Elles sont coordonnées au niveau fédéral par l’Entreprise Brésilienne d’Assistance Technique et d’Extension Rurale (EMBRATER). Son but est de contribuer au processus de changement en milieu rural, par le transfert de technologies du secteur agro-industriel.

23 Pour l’anecdote, le président João Goulard, connu sous le nom de Jango, voyagea en Chine et décora Che Guevara.

CHAPITRE 2. EDUCATION RURALE AU BRESIL

Consolidation de l’éducation populaire dans l’opposition (1970-1984)

Les mouvements sociaux ont appris petit à petit à œuvrer dans l’illégalité et reprirent leurs activités d’éducation populaire, notamment pendant la seconde moitié des années 1970. Leur statut d’opposition les a encouragés à mieux définir leur position, renforçant leurs idéologies d’action. Les problèmes liés au modèle modernisateur de développement apparaissaient de plus en plus clairement, aggravés par la dictature : disparités régionales, pauvreté croissante, négation des libertés individuelles (Silva, 2000). Les mouvements sociaux construisent progressivement un discours sur la valorisation de la dignité de l’homme pauvre, avec une

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