Partie I Genèse du sujet de la recherche
Chapitre 2 Cadre théorique d'analyse des corpus et méthodologie
2.2 Théories de la communication : les modèles linguistiques
2.2.1 Le schéma général de la communication humaine de Roman Jakobson
Le schéma de Roman Jakobson (1960) est un modèle décrivant les différentes
fonctions du langage dans la communication. Il a été développé à la suite des études
de Karl Bühler (1934), dont le modèle se limitait aux fonctions émotive
(expressive), conative et référentielle.
1) Les six fonctions de la communication
D'après Jakobson, « le langage doit être étudié dans toutes ses fonctions »
30.
C'est-à-dire que le linguiste doit s'attacher à comprendre à quoi sert le langage, et s'il sert
à plusieurs choses. « Pour donner une idée de ses fonctions, un aperçu sommaire
portant sur les facteurs constitutifs de tout procès linguistique, de tout acte de
communication verbale, est nécessaire »
31. Les facteurs constitutifs sont :
- le message lui-même ;
- le destinateur envoie un message au destinataire ;
- le destinataire est censé recevoir le message ;
- pour être opérant, le message requiert d'abord un contexte auquel il renvoie (c'est
ce qu'on appelle aussi, dans une terminologie quelque peu ambiguë, le « référent »),
contexte saisissable par le destinataire, et qui est soit verbal, soit susceptible d'être
verbalisé ;
- le message requiert un code, commun, en tout ou au moins en partie, au destinateur
et au destinataire (ou, en d'autres termes, à l'encodeur et au décodeur du message) » ;
- le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psychologique
entre le destinateur et le destinataire, contact qui leur permet d'établir et de maintenir
la communication.
32
Les six fonctions de la communication telles que les identifie Roman Jakobson sont
30 Jakobson Roman, « Closing statements : Linguistics and Poetics », Style in langage, New-York :
T. A. Sebeok, 1960. La traduction en français : Nicolas Ruwet, « Linguistique et poétique », Essais
de linguistique générale, Paris : Éditions de Minuit, 1963, p. 213.
31 Jakobson Roman, « Closing statements : Linguistics and Poetics », Style in langage, New-York :
T. A. Sebeok, 1960. La traduction en français : Nicolas Ruwet, « Linguistique et poétique », Essais
de linguistique générale, Paris : Éditions de Minuit, 1963, p. 213.
32 Jakobson Roman, « Closing statements : Linguistics and Poetics », Style in langage, New-York :
T. A. Sebeok, 1960. La traduction en français : Nicolas Ruwet, « Linguistique et poétique »,
Essais de linguistique générale, Paris : Éditions de Minuit, 1963, p. 217.
chacune liées à un de ces éléments.
Les fonctions du langage sont les suivantes : fonction expressive (expression des
sentiments du locuteur) ; fonction conative (fonction relative au récepteur) ;
fonction phatique (mise en place et maintien de la communication) ; fonction
métalinguistique (le code lui-même devient objet du message) ; fonction
référentielle (le message renvoie au monde extérieur) ; fonction poétique (la forme
du texte devient l'essentiel du message).
Schéma 3 : La communication verbale, Roman Jakobson(1960)
Il considère d'ailleurs que ces fonctions « ne s'excluent pas les unes les autres, mais
que souvent elles se superposent ». Le langage peut ainsi servir à plusieurs choses
à la fois.
2) Temporalité et localisation du message
Pour Roman Jakobson, le message écrit ou oral, s'inscrit dans un temps et un lieu.
Un message qui existe non éphémèrement est dit « intemporel ». Par exemple, un
message sur un forum, si personne ne le supprime. Un message éphémère est, lui,
dit « temporel ». Par exemple, une discussion orale. De même, un message peut
être localisé (concentré à un endroit) ou délocalisé (disponible de plusieurs
endroits/n'importe quel endroit).
temporalité et la localisation d'un message. Nous avons déjà distingué l'interaction
écrite synchrone et asynchrone dans le premier chapitre en utilisant la notion de
« temporalité ». Mais nous pouvons encore exploiter cette notion dans notre
recherche. Par exemple, dans l'interaction écrite asynchrone, les logiciels de
courrier électronique ou de forum de discussion permettent une forme d'insertion
automatique de discours rapporté : lorsqu'on répond à un courriel ou un message,
l'utilisation de la procédure automatique de réponse va insérer le message auquel
on répond dans son propre message. Cette forme particulière de discours rapporté
est directement liée au dispositif technologique et peut ainsi être qualifiée de «
citation automatique » ; c'est en fait une automatisation de la procédure bureautique
du « copier-coller ».
Ces citations correspondent à des formes de discours rapporté au style direct, et se
distinguent du message dans lequel elles sont rapportées par un chevron en début
de ligne jouant le même rôle que les guillemets dans le discours rapporté à l'écrit.
La partie de texte qui est citée va s'inscrire automatiquement au début du message
dans lequel elle est citée. Cette procédure « par défaut » respecte la
« temporalité » de production du discours cité et du discours citant. Le texte cité
peut néanmoins apparaître à d'autres endroits du texte citant. Le texte cité peut aussi
être entrecoupé de fragments du texte citant. Un message répondant à un message
qui est lui même une réponse va contenir une superposition de citations
automatiques, constituant une séquence d'échanges rapportés. L'analyse de ce genre
de séquence d'échanges rapportés aura lieu dans la partie III de notre thèse.
Quant à la notion de « localisation », il s'agit d'abord de savoir quel médiateur
utilisons-nous pour l'interaction écrite : c'est un forum ou une messagerie
instantanée ? Si c'est un forum, il s'agit de quel forum, etc. Cette notion peut être
aussi intéressante pour notre recherche parce que l'interaction écrite est une
interaction distanciée. La localisation distanciée peut être un café pour un locuteur
qui est sur son ordinateur et un métro pour un autre locuteur qui est sur son
smartphone.
2.2.2 Modèle « SPEAKING » de Dell Hathaway Hymes
C'est en 1967 que Dell Hathaway Hymes expose son fameux modèle dénommé
« SPEAKING » pour analyser et comprendre la variabilité culturelle des systèmes
de communication. « SPEAKING » représente 8 composants de la situation de
communication :
1) la situation (setting) : lieu, moment et ambiance du discours.
2) les participants (participants) : les personnes présentes, pas uniquement les
personnes qui parlent dans la situation.
3) les finalités (ends) : buts de la rencontre.
4) les actes (acts sequences) : le contenu du message (thème) et sa forme.
5) le ton (keys) : les caractéristiques rythmiques (le son, le ton, etc.) des messages.
6) les instruments (instrumentalities) : moyens de la communication (le langage parlé,
l'écriture, la gestuelle, l'émoticône, etc.).
7) les normes (norms) : normes d'interaction et normes d'interprétation (tours de parole,
interruptions, chevauchements, silences, etc.).
8) le genre (gender) : la catégorie formelle dans laquelle s'inscrit un message (poèmes,
conférences, contes, drôles, épopées, drames, lettres commerciales etc.).
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Le modèle « SPEAKING » enrichit celui de Jakobson en introduisant des notions
nouvelles comme celles de « finalités » et de « normes ». Pour notre étude, dans
chaque interaction écrite, les 8 composants seront bien précisés et s'influencent les
uns les autres . Nous allons voir comment cela fonctionne dans des situations
concrètes pour traiter les caractéristiques sociolinguistiques et pragmatiques de
l'interaction écrite chinoise sur Internet.
2.3 Théories de la communication : les modèles linguistiques et