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Partie I Genèse du sujet de la recherche

Chapitre 1 Objets de l'étude

1.3 Définition de l'interaction écrite

L'interaction écrite s'appelle aussi « communication écrite médiatisée par

ordinateur » par Michel Marcoccia (2004)

23

, ou « dialogue écrit »,

« communication écrite médiée par ordinateur » par Rachel Panckhurst (1997)

24

, ou

« communication électronique scripturale » par Jacques Anis (2006)

25

.

Tout d'abord, l'interaction écrite est une activité langagière. Le CECRL introduit un

découpage de la compétence communicative en activités de communication

langagière : « ces activités de communication langagière peuvent relever de la

réception (écouter, lire), la production (s'exprimer à l'oral ou à l'écrit en continu),

l'interaction (prendre part à une conversation à l'oral ou à l'écrit) et la médiation

(notamment activités de traduction et d'interprétation).»

26

L'expression d ' « activité

langagière », empruntée à la terminologie utilisée dans le texte du CECRL, est à

entendre dans le sens que l'on donne habituellement à compétence : compréhension

de l'oral, expression orale en continu, interaction orale, interaction écrite,

23 Marcoccia Michel, « La communication écrite médiatisée par ordinateur : faire du face à face avec de l'écrit », Journée d'étude de l'ATALA « Le traitement automatique des nouvelles formes de communication écrite (e-mails, forums, chats, SMS, etc.) », 2004.

24

Panckhurst Rachel, « La communication médiatisée par ordinateur ou la communication médiée par ordinateur ? », Terminologies nouvelles, 1997, n° 17, p. 56-58.

25 Anis Jacques, « Communication électronique scripturale et formes langagières », http://rhrt.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=547, publié en ligne le 31 août 2006.

26 Conseil de l'Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier, 2001, p. 18.

compréhension de l'écrit, expression écrite en continu. Dans le domaine didactique,

d'après le CECRL, la définition d'une activité langagière implique l'exercice de la

compétence à communiquer langagièrement, par exemple, dans un domaine

déterminé, traiter (recevoir et/ou produire) un ou des textes en vue de réaliser une

tâche. L'interaction écrite est à l'écrit, dans l'espace virtuel, pour recevoir et produire

un ou des textes en vue de réaliser une tâche. L'interaction écrite est donc une

activité langagière.

Le terme de compétence servira à désigner des composantes plus générales :

compétences sociolinguistique, pragmatique ou encore linguistique (cette dernière

comprenant le lexique, la grammaire et la phonologie) sans oublier la compétence

culturelle. Pour cette raison, dans notre recherche, nous appelons « l'interaction

écrite » une activité langagière.

1.3.1 Différence entre l'interaction écrite et l'interaction orale

L'interaction est une activité langagière dans laquelle l'utilisateur de la langue joue

alternativement le rôle du locuteur et de l'auditeur ou du destinataire avec un ou

plusieurs interlocuteurs afin de construire conjointement un discours

conversationnel dont ils négocient le sens suivant un principe de coopération.

L'interaction peut mettre en œuvre différents moyens : l'oral, l'écrit, l'audiovisuel,

le paralinguistique et le paratextuel.

D'après de nombreuse recherches (les travaux de Colot et Belmore 1996 ou de Yates

1996 pour l'anglais, de Anis 1998 ou Panckhurst 1998 pour le français, de Fouser,

Narahiko et Chungmin 2000 pour le japonais et le coréen, etc.), l'interaction écrite

est marquée par l'oralité. C'est-à-dire, la forme de l'interaction écrite est l'écrit, mais

le fond de l'interaction écrite est l'oral. Par contre, la nature de l'oralité ne peut pas

définir l'interaction écrite. D'autres activités langagières ont aussi la marque de

l'oralité. Par exemple, l'expression écrite en continue peut avoir le registre familier,

qui représente la nature de l'oralité.

L'interaction écrite se distingue de l'interaction orale par ces caractéristiques : les

traces de l'interaction écrite sont évidentes, qui forment un fil de discussion ; les

interlocuteurs ont plus de temps pour organiser les tours de parole ; il existe moins

d'éléments non verbaux dans l'interaction écrite, par exemple, les gestes et les

expressions sont remplacés par les émoticônes.

1.3.2 Différence entre l'interaction écrite synchrone et asynchrone

L'interaction écrite est une communication par l'écrit, qui se déroule avec le temps.

Avant l'apparition du smartphone, la distinction entre l'interaction écrite synchrone

et asynchrone est claire : une interaction écrite synchrone est une communication

où les interlocuteurs communiquent par l'écrit en même temps et où les tours de

parole alternent régulièrement, par exemple, le clavardage ou la messagerie

instantanée; à l'opposé, une interaction écrite asynchrone est une communication

où les interlocuteurs communiquent par l'écrit à des moments différents et où il

n'existe pas de tour de parole, par exemple, les courriers, les courriers électroniques,

les forums, etc.

Lorsque les interlocuteurs s'engagent dans une interaction écrite synchrone, chacun

dispose des données concernant le contexte de l'autre s'il est partagé : je comprends

que mon interlocuteur tape les caractères lentement parce qu'il est un apprenant de

cette langue. Cette connaissance de l'interlocuteur permet de partager la

responsabilité du rythme de la conversation, grâce à un ensemble de conventions

sociales. Lorsque cette connaissance n'est plus complètement accessible comme

dans le début d'un clavardage entre deux étrangers, cette responsabilité n'est plus

partagée mais séparée : moins l'on dispose d'éléments sur l'environnement de son

interlocuteur, moins il est possible d'appliquer les conventions sociales. La

responsabilité n'est plus commune mais individuelle : chacun fixe le rythme de ses

actes de communication. Cependant, pour assurer la réussite de la communication,

les deux interlocuteurs sont obligés de faire des efforts pour parvenir à un consensus

sur ce rythme.

Quant à l'interaction asynchrone, le rythme de la communication dépend aussi des

conventions sociales. Par exemple, on met combien de jours pour répondre à un

courrier électronique ? Cela dépend de l'habitude individuelle et de l'environnement

de l'interlocuteur, ainsi que de la culture d'une société. Mais le rythme de la

communication asynchrone ne prend pas une place aussi importante que dans une

interaction synchrone parce que les conventions sociales permettent à chaque

interlocuteur de fixer ce rythme à sa volonté.

Avec l'apparition du smartphone, l'écart entre le synchrone et l'asynchrone

s'amenuise et s'estompe. Nous pouvons faire un clavardage pendant trois jours, sans

modifier les mouvements et le cadre de l'interaction ; nous pouvons aussi répondre

à un courriel électronique dans une minute, en gardant la forme d'un courriel. Cette

activité langagière brouille les cartes. Ce phénomène n’existe qu'à l'écrit, qui ne

peut pas être réalisé à l'oral. Nous allons en discuter plus profondément dans la

partie IV quand nous analyserons les corpus.

1.3.3. L'interaction écrite : médiatisée ou médiée

Dans des recherches anglaises, le terme « CMC » correspond à l'expression

anglaise « computer-mediated communication », qui signifie une forme de

communication entre deux ou plusieurs personnes via des ordinateurs. Quand nous

le traduisons en français, est-ce approprié de le traduire comme « communication

médiatique par l'ordinateur », « communication médiatisée par l'ordinateur » ou

« communication médiée par l'ordinateur » ? « Médiatisée » ou « médiée », il s'agit

de la nature de la communication. Pour mieux définir l'interaction écrite, nous

devons répondre à la question : L'interaction écrite est-elle une interaction

médiatique, médiatisée ou médiée ?

« Médiatiser », c'est un verbe officiellement reconnu en français, qui signifie « se

diffuser par les média » (dictionnaire Le petit Robert, 2016). L'interaction

médiatisée se produit sur un plateau d'émission et se déroule dans une situation

médiatisée par la radio ou par la télévision aux auditeurs ou aux téléspectateurs. On

peut la définir plus précisément comme une « interaction radiophonique » dans

laquelle les intervenants ont pour but de convaincre les auditeurs par une

argumentation et par la crédibilité du contenu argumenté.

L'interaction médiatisée est étroitement liée à la forme de la rencontre entre les

intervenants, à la nature du site, à la relation interpersonnelle, au but de la rencontre,

etc., qui sont des facteurs permettant d'établir une typologie des interactions - ce

qui n'est pas le but de ce travail mais est, néanmoins, utile pour mettre en lumière

les critères distinctifs de la notion de « débat radiophonique ». Ainsi, l'interaction à

la radio suppose une rencontre publique ayant lieu à la station émettrice. Ce type

de rencontre a un caractère prémédité plutôt que spontané, à la différence de la

conversation ordinaire. Le langage verbal échangé n'y est toutefois pas fictif comme

dans le dialogue théâtral, mais plutôt naturel, bien qu'il subisse l'existence de

contraintes concernant le développement de l'interaction (nombre des participants,

thèmes traités, tours de parole, et durée de l'intervention), et qu'il soit transmis à un

auditoire. En d'autres termes, il s'agit d'une communication publique où l'interaction

se caractérise par une action finalisée et par la neutralisation de la relation

interpersonnelle, si celle-ci existe entre les participants, ou de la différence de leur

statut social. À cet égard, il apparaît que l'interaction médiatisée se différencie de

l'interaction ordinaire du point de vue du degré d'authenticité ou d'interactivité.

« Médier », ce verbe est beaucoup moins reconnu, qui n'existe pas dans les

dictionnaires généraux. Rachel Panckhurst (1997) a proposé pour la première fois

d'utiliser « communication médiée par ordinateur » pour se rapprocher davantage

du« computer- mediated communication » en anglais. La médiatisation correspond

à une « diffusion par les médias », alors que le verbe « médier » renvoie plus

explicitement à la notion de médiation. L'ordinateur ou d'autres outils, par exemple,

le smartphone, seraient alors le médiateur qui modifierait indirectement le

discours ; il induirait la création d'autres formes, d'autres « genres » de discours.

Dans cette optique, la communication est véritablement médiée grâce à (ou à cause

de) l'utilisation de la machine- instrument-outil, et non plus simplement médiatisée.

En fonction de ces analyses, nous pouvons définir plus précisément : l'interaction

écrite est une interaction à l'écrit médiatisée par les médiateurs comme l’ordinateur

ou le smartphone.

1.3.4. L'interaction écrite : verbale ou non verbale

L'interaction verbale est un type de communication entre personnes humaines

(disposant de la parole), celle-ci sous-tend une communication de type langagier.

Puisque l'écrit est en fonction des langages, l'interaction écrite est d'abord verbale.

Pourtant il y a de nombreuses autres formes d'interaction entre l'homme et son

environnement. Par la langue il construit des ordres, transmet des informations,

formule des raisonnements, coordonne ses actions et rythme ses efforts (chants de

marin par exemple). Il dispose par ailleurs de plusieurs modalités sensorielles qu'il

utilise de manière redondante ou complémentaire avec la parole. L'interaction

n'ayant pas recours aux langages s'appelle l'interaction non verbale. Elle ne repose

pas sur les mots, mais sur les gestes (actions et réactions), les attitudes, les

expressions faciales (dont les micro-expressions) ainsi que d'autres signaux,

conscients ou inconscients, tels que les odeurs.

L'interaction écrite utilise le langage pour communiquer, elle appartient donc

évidemment à la communication verbale. Par contre, est-ce que l'interaction écrite

est totalement verbale ? Notre réponse est non, parce qu'il existe des « smileys » ou

des « émoticônes ». D'après la recherche de Marcoccia (2000), les smileys ont les

fonctions suivantes :

1) Un smiley peut être expressif : il sert à décrire l'état d'esprit du locuteur (la

joie, la colère, la tristesse).

2) Le smiley peut être une aide apportée au destinataire pour qu'il puisse aisément

interpréter les énoncés. On peut parler de smiley interprétatif. Le smiley « clin

d'œil » a généralement cette fonction car il permet de lever les ambiguïtés des

énoncés ironiques ou humoristiques.

3) Le smiley permet au locuteur d'indiquer la relation qu'il désire instaurer avec

son lecteur. Utiliser un smiley « souriant » peut-être ainsi à la fois une manière

d'exprimer son émotion et de donner une tonalité particulière à l'échange.

4) Le smiley est aussi un procédé de politesse, un moyen de désamorcer le

caractère offensant d'un message (un softener dans la théorie de Brown et

Levison).

27

L'analyse de différents corpus montre que ces quatre fonctions ne sont pas

exclusives (un même smiley peut avoir plusieurs fonctions) et qu'il n'existe pas de

smiley qui serait « spécialisé » dans une fonction donnée. Les smileys ont donc des

fonctions de l'interaction non verbale. D'après la recherche de Paul Ekman (1993)

28

,

la fonction expressive du non verbal et du paraverbal se fonde sur l'expression

faciale des émotions de base. La fonction interprétative du non verbal renvoie à la

« mimogestualité connotative », qui participe à la constitution et à l'interprétation

des énoncés. Par ailleurs, la communication non verbale et paraverbale contribue

toujours au maintien de la relation et à la synchronisation interactionnelle (par le

rôle des régulateurs, par exemple).

Ce que nous pouvons remarquer, c'est que le smiley dans l'interaction écrite

remplace les gestes, les attitudes et les expressions faciales dans la communication

non verbale. Nous ne pouvons donc pas dire que l'interaction écrite est totalement

verbale. Via les médiateurs, l'interaction écrite est à la fois verbale et non verbale.

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