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3. Cadre conceptuel

3.2 Concept de socialisation

3.2.1 Théorie de la sociologie de l’expérience sociale chez Dubet

Cette théorie se situe dans un courant de « sociologie compréhensive » qui revisite la sociologie classique en accordant une plus grande place à l’individu comme sujet. Cette vision appartient au courant actionnaliste qui regarde la société sous un pôle de changement et non sous le pôle de l’ordre comme celle des déterminants sociaux de Bourdieu et Passeron (1970).

Pour développer son approche, essentiellement, l’auteur43 s’appuie sur deux préceptes. D’abord, il s’intéresse aux transformations de la société dont il constate certains changements assez majeurs comme l’urbanisation, la crise du travail, l’effondrement de certaines traditions, la diversité ethnique et culturelle, des changements dans les relations hommes femmes, dans la famille, la massification de l’éducation, la multitude des parcours scolaires, etc. Or, une des institutions sociales les plus interpellées par ces changements est l’école qui s’en trouve plutôt déstabilisée. Aussi, « la sociologie de l’expérience scolaire s’appuie sur une démarche critique d’interprétation épistémologique du concept central à la compréhension de l’école : la socialisation » (Deniger, 2009a).

À la sociologie classique, Dubet (1994) adresse deux critiques fondamentales. La première remet en question le caractère univoque du concept de socialisation réduisant le sujet à un rôle passif et à devenir un produit du système social (Deniger, 2009a). Dans La sociologie de l’expérience (Dubet, 1994), l’auteur questionne la place du « sujet » dans la société et sa capacité d’action et de transformation de ses conditions de vie, en dépit de sa classe d’appartenance sociale. Dans ce sens, l’individu est plus « libre ou indépendant » face à la structure sociale que dans les approches sociologiques traditionnelles que sont celles des théories fonctionnalistes et marxistes. Pour l’auteur, le sujet est un acteur, il n’est pas passif. La seconde critique concerne le caractère réducteur des conceptions théoriques présentant la société et ses institutions (ici l’école et la famille) suivant un ordre social régi par un principe unique (Deniger, 2009a). Dubet (1994) conçoit davantage de dynamisme dans la conception de sa théorie de l’expérience sociale dont voici les principaux principes d’analyse : 1) l’expérience sociale se décline en logiques d’action;

43François Dubet est un sociologue français de la jeunesse, spécialiste des mouvements sociaux étudiants. Il a étudié

la question de « crise »chez les jeunes à partir du registre de l’action et des interactions des jeunes à leur environnement, notamment à l’école. Il a publié La Galère : jeunes en survie (1987).

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2) l’expérience sociale est construite; 3) l’expérience sociale est critique; 4) on doit partir de la subjectivité; et 5) l’acteur n’est pas totalement socialisé.

Pour Dubet (1994), l’expérience sociale renferme deux significations. La première réfère à une représentation émotionnelle, celle liée à notre vécu, la seconde, à une activité cognitive où intervient la raison. Citons: «L’expérience sociale n’est pas une ʻʻépongeʼʼ, une manière d’incorporer le monde à travers des émotions et des sensations, mais une façon de construire le monde. C’est une activité qui structure le caractère fluide de la ʻʻvieʼʼ ». (Ibid, p. 93).

Dans ses fonctions, « la sociologie de l’expérience sociale vise à définir l’expérience comme une combinaison de logiques d’action, logiques qui lient l’acteur à chacune des dimensions d’un système. L’acteur est tenu d’articuler des logiques d’action différentes, et c’est la dynamique engendrée par cette activité qui constitue la subjectivité de l’acteur et sa réflexivité ». (Ibid, p. 105).

La notion d’expérience est utile dans le sens qu’elle permet de comprendre le processus de socialisation et par l’accompagnement d’intervenir dans le processus lui-même. Socialiser pour Dubet (1994), c’est construire le sens de l’expérience sociale. Or, accompagner deviendrait aider à construire le sens de l’expérience sociale puis scolaire.

Pour l’auteur, « La définition de l’expérience comme objet sociologique, repose sur les grands principes de l’analyse chez Weber. » (Dubet, 1994, p. 105). L’expérience comme objet sociologique repose sur trois grands systèmes qui sont :

1. un système d’intégration (une communauté); 2. un système de compétition (un marché); 3. un système culturel (une culture).

Et « […] l’expérience sociale engendre nécessairement une activité des individus, une capacité critique et une distance à eux-mêmes. » (Ibid, p.92). Cette forme de socialisation se définit par la combinaison de plusieurs logiques d’action dont la première en est une d’intégration, la seconde, de stratégies et la troisième, de subjectivation.

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De plus, dans un autre ouvrage intitulé À l’école, au sujet de la sociologie classique et de la fonction de socialisation de l’école, Dubet et Martuccelli (1996) ajoutent ceci : « Sans rien ignorer de ses fonctions de reproduction sociale, il nous faut maintenant la concevoir comme un appareil de production. » (Ibid, p. 11).

Dubet et Martucelli (1996) proposent plus spécifiquement d’accorder une attention à la construction sociale de la réalité scolaire de l’élève. Conscients de la dialectique qui oppose le jeu de classes dominantes dominées et qui renvoie au concept de violence symbolique de Bourdieu et Passeron (1970), ces auteurs proposent une approche, celle de leur analyse de « l’expérience scolaire », où sans nier les effets de l’influence de la structure sur l’élève, ces derniers peuvent exercer un certain pouvoir discrétionnaire sur leur choix à l’école à l’égard de leurs stratégies d’apprentissage et d’intégration scolaire.

Comme le rappelle Deniger (2009a), l’expérience scolaire est, d’un côté, un travail d’édification de sens, de cohérence et de construction de son identité sociale et, d’un autre côté, « les logiques de l’action qui se combinent dans l’expérience n’appartiennent pas aux individus; elles correspondent aux éléments du système scolaire et sont imposées aux acteurs comme des épreuves qu’ils ne choisissent pas. » (Ibid, p. 2). Dans ce sens, l’expérience sociale comporte une double nature.

Ici, la réussite ou l’échec à l’école n’est plus une question d’aptitudes individuelles et de méritocratie, tel qu’introduit par Parsons (Rocher, 1972), ou de déterminants sociaux (Bourdieu et Passseron, 1970), mais une série d’actions à déployer suivant différentes logiques menant à la socialisation scolaire, donc à la réussite (Dubet et Martucelli, 1996).

Enfin, la combinaison de ces logiques varie dans le temps, sous l’influence de l’âge, de la position sociale et de l’expérience scolaire et s’inscrit donc dans l’histoire même d’une personne. Cette variable diachronique permet d’aborder un sujet dans la perspective historique de son cheminement scolaire (Deniger, 2009a).

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3.2.2 Les trois logiques d’action chez Dubet (1994) et liens possibles avec