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Chapitre III : L’approche sociocritique

2- La théorie du reflet

Au XIXème siècle, la littérature a connu un grand progrès ; des idées nouvelles, des différentes réflexions philosophiques, ainsi que le passage du Romantisme au Réalisme. Vers la fin de cette époque et au début du XXème siècle, la critique littéraire a marqué pour la première fois une approche sociologique de la littérature qui est la théorie du Reflet. D’abord la notion du reflet désigne la manière dont une œuvre d’art reproduit les réalités sociales. En ce sens, l’usage de ce concept est lié à une conception de la mimésis et de la représentation. Dans les approches sociales du littéraire, l’idée du reflet se rapporte plus précisément aux travaux des romanciers réalistes et aux théories marxistes.

La théorie du Reflet est une approche qui s’intéresse à l’étude des œuvres littéraires en général, et plus particulièrement elle propose d’analyser et d’interpréter le roman réaliste. Mais pourquoi se destine-t-elle à l’étude de ce genre de textes ?

Tout simplement parce que le roman réaliste est considéré comme un miroir qui reflète plus ou moins les conditions sociales d’un peuple ou d’un groupe d’individus à un moment précis de l’Histoire.

2-1- Méthode de la théorie du Reflet :

La théorie du Reflet consiste à analyser le roman réaliste en donnant une importance majeure à son ancrage sociologique et historique, suivant deux étapes :

Dans la première étape, elle sert à repérer et à délimiter la période historique et temporelle du roman, parce que l’œuvre littéraire ne peut être séparée de l’Histoire, comme dit Pierre Macherey: « l’œuvre littéraire n’a de sens que par rapport à l’Histoire, C’est dire qu’elle apparait dans une période historique et ne peut être séparée »32

. Autrement dit ; l’œuvre n’a de sens que dans son rapport à l’histoire. Elle est le fruit d’une période précise. Elle entretient avec l’histoire une relation nécessaire et réciproque. Au niveau de cette première étape, on distingue entre le temps réel et le temps fictif du texte romanesque. Généralement, on trouve le temps réel dans les romans autobiographiques et coïncide avec la période historique dans laquelle le roman a été écrit.

Le temps fictif, Quant à lui, c’est le temps de l’intrigue ou de la narration, lié à la fiction et s’oppose au temps réel. Goldenstein précise que :

Le temps de fiction, ou temps raconté, représente la durée du déroulement de l’action. Facteur déterminant, il permet à la fois la transformation des situations narratives et des personnages qui leur procurent un soutien figuratif. Selon les romans, il couvre une période de quelques heures, de quelques jours, d’un mois ou bien s’étend sur des années voire sur plusieurs générations d’une même famille33

.

En fait, dans certains cas, il y’a simultanéité entre le temps de l’œuvre et l’histoire. La simultanéité existe souvent entre la vie de l’auteur et le temps du récit dans les textes autobiographiques.

Dans la deuxième étape, dans sa relation à la littérature, les évènements historiques et sociaux ne sont pas toujours exprimés d’une manière explicite. Dans ce cas on parle d’une absence de spontanéité entre l’œuvre et l’Histoire, elle est cachée. L’Histoire dans l’œuvre littéraire n’est pas évoquée clairement, objectivement, mais signalée par des indices et des repères qui peuvent démasquer ce que l’auteur prend soin de cacher car l’objet de la littérature est la subjectivité, l’implicite, la fiction puisque l’écrivain ne fait que donner un point de vue sur l’Histoire. À travers cette recomposition fictive d’une époque historique et d’une société, on constate que le roman n’est pas un reflet identique de la réalité. L’image que donne l’auteur est le résultat d’une imagination, d’une appartenance socioculturelle, d’un point de vue…etc., l’œuvre littéraire n’est jamais un document historique, ce n’est pas un document strictement référentiel. « Le texte produit un effet de réalité. Plus exactement, le texte littéraire produit en même temps un effet de réalité et un effet de fiction, privilégiant tantôt l’autre, interprétant l’un par l’autre, mais toujours sur la base de ce couple ».34

Donc, l’image reflétée par l’œuvre littéraire n’est qu’un amalgame de fiction et de réalité, et non pas de fiction pure ou de réalité pure.

Dans notre roman Le gone du Chaâba, Azouz Begag interroge les injustices sociales que rencontrent les immigrés d’origine maghrébine, il reflète plus ou moins l’image des Beurs, les territoires obscurs d’une vie malmenée et misérable en décrivant avec intensité la pauvreté qui régnait dans le Chaâba dans lequel l’auteur est été élevé. Pour décrire

33 GOLDENSTEIN Jean-Pierre, Pour lire le roman, éd. J.Ducrot, Paris, 1985, p 106.

encore plus ces conditions pénibles, les logements ne sont pas appelés « maisons », mais « baraques ». Le jeune narrateur décrit ce lieu :

Vu du haut du remblai qui le surplombe ou bien lorsqu’on franchit la grande porte en bois de l’entrée principale, on se croirait dans une menuiserie. Des baraquements ont poussé côté jardin, en face de la maison. La grande allée centrale, à moitié cimentée, cahoteuse, sépare à présent deux gigantesques tas de tôles et de planches qui pendent et s’enfuient dans tous les sens. Au bout de l’allée, la guérite des WC semble bien isolée. La maison de béton d’origine, celle dans laquelle j’habite, ne parvient plus à émerger de cette géométrie désordonnée. Les baraquements s’agglutinent, s’agrippent les uns aux autres, tout autour d’elle. Un coup de vent brutal pourrait tout balayer

d’une seule gifle. Cette masse informe s’harmonise parfaitement aux remblais qui l’encerclent35

.

D’autre part, ce roman nous montre la délinquance des enfants beurs à l’époque des années soixante, lorsque le camion de la poubelle arrive ; « […], il avance à très faible allure comme un dessert : un camion de poubelle majestueux, plein aux as, débordant de trésors de tous côtés »36. Les enfants y fouillent pour trouver des trésors notamment de la nourriture, mais aussi des chaussures ou des jouets. À travers cette description, on peut sentir l’importance de cet évènement, c'est-à-dire l’arrivée du camion de poubelle des Français, pour les habitants du Chaâba. Cela nous fait penser continuellement à leur situation misérable, à la pauvreté, voire la discrimination.

Dans cette œuvre, le Chaâba représente l’Algérie à l’intérieur de la Métropole, car elle donne la liberté d’y pratiquer les coutumes et les traditions algériennes ainsi que la possibilité de continuer à vivre comme en Algérie. D’abord, cela se remarque par le grand nombre de mots en arabe, car c’est évidement la langue utilisée dans le bidonville. Les enfants qui apprennent le français à l’école, parlent aussi cette langue, ou plutôt un mélange des deux. Cette production artistique est considérée aussi comme un miroir reflétant la culture arabe algérienne qui revient régulièrement, avec des références par exemple au mauvais œil et aux djnoun* : « Lorsque il fait noir, je sais qu’il ne faut pas aller aux toilettes, ça porte malheur et puis c’est là que l’on trouve les djnoun, les esprits malins »37.

35

BAGAG Azouz, op.cit., p.11.

36

Ibid., p.36.

* Dans les croyances arabes, les « djnoun » ou les « djinn » en arabe coranique sont des démons situés entre les anges et les êtres humains.

Le gone du Chaâba est un récit autobiographique, le temps employé dans cette œuvre littéraire est le temps réel. Cela se voit clairement dans ce roman, l’histoire du roman correspond au temps du souvenir: c’est la période historique dans laquelle le roman a été écrit.

Azouz Begag raconte son enfance jusqu' à l’âge adulte. Nous constatons que le présent et le passé avec les deux temps : le passé composé et l’imparfait sont prédominants dans ce roman. L’auteur évoque à travers ce roman sa vie enfantine, ses sentiments, ses pensées, en alternant cette histoire entre le passé et le présent pour rendre plus vivant les souvenirs. « La nuit s’enroule autour de notre maison. Un soir tranquille, ennuyeux, s’est encore écoulé. Assis sur une marche de l’escalier de la cuisine, j’attends le début du hit-parade, à la radio, avec Zohra »38.

« Depuis maintenant de longs mois, le prof a pris l’habitude de me faire parler en classe, de moi, de ma famille, de cette Algérie que je ne connais pas, mais que je découvre de jour en jour avec lui »39.

Le narrateur raconte rétrospectivement une histoire cohérente, les évènements relatés sont authentiques ainsi que les personnages évoqués dans ce roman. Il y’a des dates qui sont données explicitement ; « Nous avons déménagé le premier week-end du mois d’Août 1966 »40

. Dans cette œuvre autobiographique, on trouve une continuité des évènements et une succession des actions et aussi une simultanéité entre la vie de l’auteur et le temps du récit.

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