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La théorie de la mobilisation des ressources et l’effet structurant de l’initiative

Pour connaître les moyens qu’utilisent les initiatives locales en sécurité alimentaire leur permettant de lutter contre la pauvreté, nous nous appuyons sur la théorie de la mobilisation des ressources (Klein et Fontan, 2003). Toutefois, l’identité et l’appartenance constituent deux notions négligées par la théorie et qui s’avèrent indispensables à la mobilisation des ressources endogènes et exogènes, ce qui nous oblige à recourir à d’autres auteurs (Caillouette, 2009; Klein, Fontan et Tremblay, 2011; Klein et Champagne, 2011; Melucci, 1978, 1997; Maheu, 1991) pour

compléter la théorie de la mobilisation des ressources. Pour cela, nous utiliserons le modèle de l’effet structurant de l’initiative locale.

2.1.1 La théorie de la mobilisation des ressources

La théorie de la mobilisation des ressources comprend trois versions (Comeau, 2012). Inspirée du livre The Logic of Collective Action (Olson, 1971), elle est née aux États- Unis dans un contexte sociopolitique de forte mobilisation sociale. Selon la première version, les acteurs s’engagent dans l’action collective, parce qu’ils tirent des bénéfices à la fin et «pendant l’action: création de liens sociaux, apprentissages, réalisation de soi et reconnaissance de son apport au groupe» (Comeau, 2012, p. 68). D’après la deuxième, les ressources recueillies rendent crédible et possible la réussite de la cause ou de la lutte contre la pauvreté, défendue par l’organisation. La troisième version explique que les individus sont mobilisés, parce qu’ils sont motivés par des opportunités politiques et économiques.

Pour Durand, cette théorie explique le rôle «des facteurs politiques, organisationnels et stratégiques dans la formation et l’évolution des mouvements sociaux, appréhendés de manière purement rationnelle et instrumentale» (Durand, 1993, p. 212). Elle stipule que les personnes entreprennent des actions collectives dans le but de satisfaire leurs propres intérêts et non dans l’intérêt commun. En effet, l’émergence d’une action collective de mobilisation sociale intervient lorsque survient une crise, les individus se sentent alors marginalisés (Klein et Fontan, 2003). Le sentiment de marginalisation leur sert de catalyseur pour amorcer des actions collectives qui ont la capacité de se transformer en mouvements sociaux. En se transformant en mouvement social, celles-ci ne défendent plus les intérêts particuliers, mais visent à mettre fin au processus d’atomisation qui déstructure la

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communauté locale. Dès lors, l’objectif de l’action collective ne consiste plus uniquement à défendre les intérêts d’un groupe spécifique d’individus, elle vise également la transformation sociale.

La force des actions collectives dépend de la capacité d’organisation de la collectivité et de ses effets sur la population (Klein et Fontan, 2003). Il s’agit, pour les acteurs impliqués dans ces actions collectives, de privilégier certaines actions susceptibles de contrer la pauvreté et l’exclusion sociale, au détriment d’autres choix d’actions. Ceci sous-entend que les acteurs se comportent aussi de façon rationnelle (Melucci, 1997). Ce qui nous amène à considérer aussi l’étude des mouvements sociaux d’inspiration européenne qui s’intéresse aussi à l’apport de l’identité dans la compréhension de l'action collective (Maheu, 1991). Ce qui revient, selon nous, à considérer non seulement les intérêts communs que promeuvent les acteurs, mais leur culture, puisque des actions collectives sont porteuses d'identité collective dans les luttes sociales dans lesquelles elles s’inscrivent. La lutte des acteurs devient dès lors une lutte pour défendre les intérêts et l’identité des groupes défavorisés. Dans ce contexte, nous pouvons dire que les organisations locales participent au «développement économique local, à la gouvernance locale» et à la mise en œuvre «des activités productrices faisant d’eux des "entrepreneurs sociaux"» (Klein et Fontan, 2003, p. 18).

La théorie de la mobilisation des ressources nous permet de procéder à l’analyse de la capacité organisationnelle de l’initiative au sein de la collectivité. Le modèle de l’effet structurant de l’initiative locale (Klein, Fontan et Tremblay, 2011), quant à lui, nous permet de déterminer les effets structurants de l’initiative au sein de la collectivité. Ceci nous permet de connaître de quelle façon une initiative locale met en œuvre les moyens dont elle dispose pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

2.1.2 L’effet structurant de l’initiative locale

L’initiative locale correspond à un projet, individuel ou collectif, élaboré dans le but de résister à l’effet déstructurant des changements extérieurs sur la collectivité locale (Klein, Fontan et Tremblay, 2011). La première étape correspond au lancement de l’initiative, en repérant un acteur ou une organisation qui en fera la promotion. En l’absence d’organisation, il faudra créer une nouvelle structure (Tardif, 2007). Le projet suscite des réactions positives ou négatives au sein ou à l’extérieur de la collectivité. Les réactions issues de la collectivité témoignent du rapport de force qui existe entre les acteurs ainsi que les ressources susceptibles d’être mobilisées. Si les réactions proviennent de l’extérieur, elles témoignent de la concurrence entre les acteurs provenant de territoires différents voulant s’approprier les ressources. Les discussions entourant la pertinence du projet amènent ces leaders à faire des compromis, ce qui transforme le projet en un projet d’intérêts collectifs et suscite l’adhésion d’autres acteurs. Individuel au départ, le projet devient dès lors une action collective et mobilise des ressources endogènes et exogènes, lesquelles sont indispensables à sa réussite. Ces mobilisations en faveur du projet densifient à la fois les relations et la solidarité entre les acteurs et le tissu social, tout en leur permettant de développer un plus fort sentiment d’appartenance au territoire local. La troisième étape correspond à la transformation du sentiment d’appartenance en conscience territoriale. Celle-ci amène les acteurs à créer des structures de régulation des conflits, à faire des compromis et à agir en partenariat et de façon collective pour le bien de la collectivité. De plus, ces «partenariats […] pourront, s'ils se pérennisent et se multiplient, conduire à des formes organisationnelles spécifiques à la collectivité territoriale en cristallisant les apprentissages et les expérimentations» (Tardif, 2007, p. 72). L’échec de certaines initiatives locales ou leur incapacité à sortir la collectivité de la pauvreté et de l’exclusion, pourrait être expliqué par le fait qu’elles n’atteignent pas toutes ces étapes vitales.

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Figure 2.1 Cycle et effet structurant de l’initiative locale

Source: Klein (2011)

L’apport de la théorie de la mobilisation des ressources et du modèle de l’effet structurant de l’initiative locale à l’analyse, s’explique par le fait que la première nous permet de comprendre pourquoi et comment les personnes se mobilisent pour sortir d’une situation de marginalisation, et le second nous permet de restituer à l’identité et l’appartenance territoriales leur importance dans un projet de transformation sociale.

Apprentissage Densification institutionnelle Mobilisation de ressources Initiative locale Conscience territoriale Action collective Concertation Empowerment Solidarité locale