• Aucun résultat trouvé

La théorie de l’effectivité du droit

Chapitre 2. Cadre théorique et méthodologie

2.1 Cadre théorique

2.1.3 La théorie de l’effectivité du droit

La notion d’effectivité du droit a longtemps été conçue dans une perspective positiviste d’efficacité de la norme, qui s’intéresse à la conformité des comportements et à la fréquence des sanctions émises par les autorités. Cette conception restreinte de l’effectivité vient cependant nier les identités normatives des sujets et leur relation avec le droit, et sous-estimer les conséquences que peut susciter une norme socialement.

Chiba Masaji, Supra note 130, p. 232- 239 132

Capeller Wanda, Kitamura Takanori (Dir.), Supra note 131, p. 108 133

Chiba Masaji, Supra note 130, p. 239 134

Capeller Wanda, Kitamura Takanori (Dir.), Supra note 131, p. 107-109 135

a) L’effectivité du droit et la sociologie juridique

L’effectivité du droit a attiré la curiosité de plusieurs chercheur(e)s, d’où y surgissent diverses conceptions du principe d’effectivité. Les juristes positivistes admettent une séparation nette entre la sphère juridique et la sphère sociale dans leur conception du droit, alors que les juristes- sociologues se proposent d’étudier l’écart qui existe entre droit et société. Selon ces derniers, 137

« si l’on considère que la réalisation du droit s’effectue […] dans les faits alors le droit doit être évalué par rapport aux faits, et entre ainsi dans le mouvement de l’évolution sociale » . 138

L’effectivité du droit fait ainsi partie intégrante de la sociologie juridique en constituant un instrument de mesure du degré et des modalités de réceptivité du droit dans la sphère sociale. 139

En effet, Jean Carbonnier insiste sur la multiplicité des effets du droit, qui « engloberait tous les phénomènes plus ou moins teintés de droit, tous les phénomènes dont le droit peut être cause, effet ou occasion, y compris des phénomènes de violation, d’ineffectivité, de déviance » . 140

Valérie Demers a approfondi cette perspective dans son ouvrage « Le contrôle des fumeurs. Une étude d’effectivité du droit ». Elle y évoque la conception pathologique d’un droit qui aurait pour vocation de tout régir et à s’appliquer de façon quasi mécanique, et qui conçoit le droit comme un pur instrument de régulation sociale, séparé et isolé de la sphère sociétale. Elle admet à l’inverse que le droit « ne détient pas le monopole de l’orientation des conduites et il est largement dépendant de variables qui échappent à son contrôle » . C’est pourquoi elle propose d’analyser 141

l’ensemble des effets que produit le droit afin d’en connaître l’influence. Avant d’élaborer plus 142

Lascoumes Pierre, Serverin Evelyn, « Théories et pratiques de l’effectivité du Droit », (1986) 2 Droit et Société, 137 p. 128 Ibid., p. 129 138 Ibid., p. 127-128 139

Carbonnier Jean, Sociologie juridique, Paris : Presses Universitaires de France, (1978), p. 15 140

Demers Valérie, Le contrôle des fumeurs. Une étude d’effectivité du droit, Montréal : les Éditions Thémis, 141

(1996), p. 59

Idem 142

en détail ses arguments, nous souhaitons présenter son raisonnement qui aboutit à une typologie des effets du droit.

Dans son étude, Demers procède à une large revue de la littérature sur l’effectivité du droit et démontre que l’instrumentalisation de ce concept a souvent été utilisée à tort par les chercheur(e)s. Nous comprenons dès lors que les principaux travaux portant sur l’effectivité se sont concentrés sur la mesure de l’écart entre le droit et la société ; « analyser l’effectivité d’une législation signifie […] comparer les conduites réelles des destinataires au modèle normatif de comportement; cette comparaison permet d’établir le taux d’observation ou d’inobservation d’une norme légale » . Cette conception dominante de l’effectivité se rattache à la notion de 143

conformité, qui fait part du degré d’intensité de la situation à correspondre à ce que dicte la norme – soit à la loi et à son application. En prenant le point de vue de la conformité, il faut à la fois observer les destinataires de la norme pour évaluer leur comportement vis-à-vis de la loi, et les autorités étatiques qui émettent les sanctions. Cependant, cette approche de l’effectivité 144

peut porter à confusion en y associant des notions qui ne lui correspondent pas. Ainsi, l’effectivité a été entendue comme une notion « d’efficacité » qui évalue la capacité de la loi à répondre à ses propres objectifs. Ou bien à la notion « d’efficience » qui mesure l’efficacité d’une loi sur une base économique de coût-bénéfice. Ou encore à la notion de légitimité de la règle de droit supposée supérieure par son principe de légalité. Ces perspectives cherchent finalement à 145

identifier l’écart entre la norme et le comportement des sujets.

D’autres chercheur(e)s ont pour leur part tenté d’expliquer cet écart en identifiant des facteurs qui président à l’effectivité, ainsi que ses conditions. Plusieurs se sont concentrés sur la réception de la norme chez les destinataires ou sur l’application de la norme par les autorités étatiques. Par 146

Ibid., p 16 143 Ibid., p. 17 - 18 144 Ibid., p. 19-23 145

conséquent, pour qu’une norme soit effective, son contenu se doit d’être clair, concis et connu de ses destinataires d’une part. Cette effectivité dépend de la sévérité et de la fréquence de l’application de la sanction, d’autre part. De ce point de vue, l’effectivité du droit se rattache à 147

la déviance des comportements; « selon le taux de conformité observé, c’est-à-dire selon l’écart entre l’effectivité optimale et l’effectivité réelle, on concluait alors à l’effectivité ou à l’ineffectivité de la norme juridique » . L’effectivité est alors réduite à une conception 148

impérativiste du droit. Car elle renvoie au caractère forcément « commandant », prescriptif ou 149

prohibitif des normes juridiques. Or, cela sous-entend que seules les normes pénales peuvent être l’objet d’une évaluation, et non les normes qui ne visent pas la conformité des comportements des sujets de droit. Pourtant, l’étude de l’effectivité du droit devrait concerner toutes les normes juridiques. 150

Ces trompes l’oeil de l’effectivité du droit découlent de la vision instrumentale du droit, qui le considère comme un instrument destiné à agir sur la société. Le droit serait ici défini comme « le seul instrument puissant de régulation sociale » . La vocation des normes serait de tout régir 151

« comme une série de modèles de comportements destinés à être socialement réalisés […] dans le but de parvenir à une adéquation optimale entre droit et comportements» . Il n’est alors pas 152

étonnant de constater que, dans cette perspective, toutes les normes sont ineffectives, car le droit ne détient pas le monopole de l’orientation des conduites. Cette conception simpliste et étroite 153

du droit et de son effectivité ne permet donc pas d’expliquer les mécanismes de réalisation sociale du droit; Ibid., p. 30-38 147 Ibid., p. 39 148 Idem 149 Ibid., p. 40 150 Ibid., p. 43 151 Ibid., p. 44 152 Ibid., p. 44-45 153

« Pour rendre compte de l’effectivité, la sociologie du droit ne peut se réduire à une sociologie clinique, science auxiliaire du droit visant à déceler les phénomènes d’ineffectivité et à expliquer les raisons pour lesquelles les individus ne respectent pas le droit, mais […] elle doit aussi chercher à comprendre pourquoi et comment ils obéissent au droit » . 154

Valérie Demers propose alors de définir l’effectivité du droit dans l’évaluation des effets d’une règle juridique. Puisque le droit a pour vocation de modifier une situation ou un rapport social donné, il exerce forcément une influence et génère des conséquences. Et ce, au même titre que les autres mécanismes de régulation sociale. Cette approche de l’effectivité comprend ainsi les 155

effets sociaux directement rattachés au droit. Dans ses mots, Demers énonce:

« Une définition qui tient compte des effets du droit dans l’appréciation de l’effectivité d’une norme juridique. En vertu de cette approche, ce n’est qu’après avoir procédé à une interrogation sur les effets d’une règle de droit que l’on pourra véritablement évaluer son effectivité ». 156

Sa définition large de l’effectivité peut apparaître abstraite sur le plan analytique. C’est pourquoi elle développa une typologie des effets du droit.

b) Typologie des effets du droit de Valérie Demers

En précisant le concept d’effectivité, Demers propose un cadre théorique de l’effectivité. Celui-ci se base sur une typologie des différents effets susceptibles d’être engendrés par une règle de droit, catégorisés en 3 dichotomies : les effets concrets et symboliques, les effets immédiats et différés, et les effets voulus et non intentionnels.

La première dichotomie s’intéresse aux destinataires de la règle de droit. Les effets concrets désignent l’action directe de la norme sur les comportements observables des sujets. Ils agissent au niveau comportemental des individus. Ils ne renvoient cependant pas uniquement à la conformité du comportement vis-à-vis de l’énoncé de la norme de droit. Mais concernent aussi les différents types de conduites que les individus peuvent adopter en rapport avec cette norme,

Ibid., p. 47 154

Ibid., p. 59-63 155

tant qu’ils sont observables. D’un autre côté, le droit exerce aussi des effets symboliques qui concernent les conséquences du droit au niveau des représentations, des opinions et des attitudes mentales des sujets. Ils se dénotent alors dans la mentalité, la pensée. C’est précisément ce type 157

d’effet et cette dichotomie qui nous intéressent dans le cadre de notre recherche puisque nous cherchons à savoir pourquoi le PCPNDT ne parvient pas à changer les mentalités. Notre but est donc, ici, d’étudier les effets symboliques et concrets. Nous développerons plus en détail la force symbolique du droit dans la prochaine section, où la littérature juridique reste encore limitée sur la notion (voir section 2.1.3).

La seconde dichotomie met l’accent sur la temporalité des effets du droit, qui démontre que l’effectivité du droit n’est pas statique. Une norme peut ainsi avoir des effets immédiats dès son entrée en vigueur. Ou bien des effets différés où la manifestation de l’effectivité progresse au fur à mesure du temps. D’ailleurs, une norme peut apparaître ineffective dans un premier temps et devenir par la suite effective. L’étude chronologique et longitudinale des effets du droit fait notamment part des divers effets qu’une loi opère sur les acteurs et actrices sociaux. 158

Enfin, la troisième dichotomie fait référence aux objectifs de la norme. Il s’agit de la réalisation sociale des objectifs établis par le législateur ou les décideur(e)s politiques lors de l’adoption d’une loi. Les effets sont alors voulus lorsque les objectifs prévus par la norme sont atteints socialement, et non intentionnels quand des conséquences inattendues débouchent de sa mise en oeuvre. 159

Nous sommes maintenant en mesure de comprendre ce que signifie l’effectivité du droit qui concerne, au final, l’influence du droit dans la sphère sociale. De ce point de vue, nous pouvons mettre le doigt sur la force symbolique du droit, en tant que vecteur de significations. Car si le

Ibid., p. 68-72 157 Ibid., p. 78-82 158 Ibid., p. 82-86 159

droit constitue un instrument de régulation sociale qui organise la vie collective, il a aussi une portée symbolique qui signifie le vivre ensemble. C’est cet aspect du droit que nous souhaitons approcher pour comprendre comment le droit participe à asseoir des idéaux collectivement partagés qui nourrissent les mentalités, ou pourquoi il y échouerait comme l’illustre notre cas présent. Il nous faut alors aborder la question des représentations sociales.

2.1.4 Démystifier les effets symboliques du droit: retour sur les représentations sociales