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La théorie de la détection du signal (ci-après nommé « TDS ») vise à expliquer comment les individus catégorisent ou classifient des stimuli en présence d’incertitude perceptuelle (Lynn et Barret, 2014; McNicol, 2005). L’incertitude, telle que présentée dans la TDS, est différente de celle conceptualisée en économique.

Dans le cadre de la TDS, l’incertitude n’est pas liée à la distribution de la réalisation d’un évènement. Plutôt, l’incertitude concerne la provenance de l’information que le consommateur va recevoir pour l’aider dans sa prise de décision est elle-même incertaine.

Dans le cadre de ce modèle et de la TDS, les décisions des consommateurs sont également mues par la perception qu’ils ont de leur environnement physique. Notamment, le processus de rétroaction des consommateurs est influencé par la qualité perçue du bien qu’ils ont acheté. Dans le cadre de marchés en ligne, il est possible que la qualité des biens vendus serve d’indice sur la nature même du vendeur. Toutefois, le bien et sa qualité perçue peuvent provenir autant d’un bon que d’un mauvais vendeur, et ce, malgré que le bon vendeur soit réputé vendre des biens dont la qualité est supérieure à celle des moins bons vendeurs. Il peut arriver qu’un vendeur très honnête soit malchanceux et que le bien livré à l’acheteur soit de mauvaise qualité. C’est en ce sens que la provenance du signal (la qualité du bien), qui est observable, est elle-même incertaine (Lynn et coll., 2015). L’acheteur n’est plus en mesure d’identifier aisément la nature du vendeur selon la qualité du bien qu’il a acheté.

Lorsque l’acheteur n’est pas en mesure de connaître avec certitude la provenance du bien, il peut devenir hésitant à accorder une évaluation négative. Comme le suggèrent les travaux de Bolton, Greiner et Ockenfels (2013) et de Resnick et Zeckhausser (2001), le consommateur peut craindre les représailles ou les démarches pénibles qui peuvent survenir si les vendeurs sont injustement

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sanctionnés. Par conséquent, le consommateur sera confus et il se demandera s’il s’agit d’un bon vendeur malchanceux ou d’un mauvais vendeur.

L’utilisation de la TDS permet d’expliquer comment différents indices (signaux) ou stimuli affectent la prise de décisions chez les consommateurs. Cette théorie suppose que le consommateur va procéder à une tâche d’identification ou de catégorisation à partir du signal pour ensuite y associer une réponse. Pour le commerce en ligne, ceci revient à identifier le type du vendeur selon la qualité du bien qu’il a reçu pour ensuite leur attribuer une évaluation en conséquence. Pour ce faire, la TDS postule que l’individu va fonder sa décision en fonction de différents seuils critiques déterminés préalablement. Ces seuils vont par la suite lui permettre d'assigner une réponse (une décision) selon l’intensité de l’indice qu'il perçoit.

En 2014, les chercheurs Lynn et Barrett ont proposé un cadre théorique qui permet d’intégrer à la fois le risque économique et l’incertitude perceptuelle. Ce mémoire va s’inspirer de celui-ci afin de l’appliquer dans le contexte du commerce en ligne et du processus de rétroaction de l’acheteur.

Mais avant, l’origine de la TDS sera présentée brièvement, puis les principaux éléments constituant cette théorie seront décrits. Il sera notamment question des concepts clés pour ce mémoire, soit le signal, les critères de décision ainsi que la matrice de réponses et de paiements. Ces éléments seront tous utiles à l’élaboration du modèle théorique présenté au chapitre suivant.

3.1 – L’avènement de la psychophysique

L’étude de la psychologie humaine expérimentale remonte au 19e siècle avec l’avènement de la psychophysique. Gustav Fechner publia en 1860 un ouvrage considéré comme la référence en psychophysique. Fechner est l’un des premiers psychologues à utiliser la modélisation mathématique afin d’étudier les expériences internes et externes chez l’individu (MacMillan et Creelman, 2004). Les recherches réalisées par ce dernier portaient principalement sur le lien qui existe entre les stimuli physiques et la sensation ressentie par l’individu (Fortin et Rousseau, 2012). Entre autres, l’intérêt principal de Fechner était de mesurer les seuils critiques où la différence entre deux stimuli entraînait une réaction chez la personne.

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On attribue la naissance de la TDS à la combinaison de la théorie de la décision en statistique à la psychophysique, et ce, à des fins militaires, notamment pour la détection des avions sur les radars. Cette théorie offre deux mesures de performances intéressantes : la sensibilité (capacité à discriminer des stimuli) et le biais (tendance chez un individu à favoriser une réponse au détriment d’une autre) (McNicol, 2005) qui se révèleront particulièrement utiles pour les fins susmentionnées. Cette théorie a été développée par un groupe de chercheurs américains de l’université du Michigan, dirigé par le psychologue John A. Swets au cours des années 1952 à 1954 (Swets et coll., 1961). Cependant, plusieurs auteurs attribuent plutôt l’essor de cette théorie à la publication d’un livre pionnier écrit par les auteurs Green et Swets: Signal Detection Theory and Psychophysics (1966). Ce livre serait à l’origine de l’influence exercée par la TDS sur plusieurs champs d’études (McNicol, 2005). Depuis, cette théorie a été utilisée à de nombreuses reprises afin d’étudier différents processus mentaux tels que la reconnaissance, la mémorisation et la discrimination (Lynn et Barrett, 2014). Cette théorie s’applique également à différents domaines tels qu’au domaine médical, celui de la criminalité, et même au domaine industriel, pour ne nommer que ceux-là (Swets et Green, 1978).

3.2 – Le signal ou l’ «indice informationnel»

L’un des éléments très importants, dans la TDS ce sont les « indices informationnels » ou les signaux. Les indices sont des informations qui peuvent autant favoriser l’une ou l’autre des hypothèses (par exemple c’est un bon vendeur ou c’est un mauvais vendeur dans le cas de commerce en ligne) ou un choix par rapport à un autre (McNicol, 2005). Traditionnellement, ces indices sont des stimuli physiques comme des timbres sonores ou des indices lumineux. Cependant, ces signaux ne sont pas restreints aux éléments physiques présents dans l’environnement de la personne. Par exemple, dans une tâche de catégorisation probabiliste, Kubovy et Healy (1981) ont demandé à des sujets lors d’une expérience d’indiquer si le stimulus (la taille mesurée chez un individu) venait de la catégorie homme ou femme. Les sujets recevaient alors un numéro correspondant à la taille. Ensuite, ils devaient décider si la personne était un homme ou une femme selon l’information dont ils disposaient sur la taille. Ainsi, l’information numérique peut également servir aussi d’indice.

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Ici, le concept d’indice est similaire au concept de « signal » en économie. Selon l’article classique de Spence (1973), les auteurs vont distinguer les « indices » des « signaux ». Le premier réfère aux caractéristiques observables et immuables d’un individu alors que le second réfère aux caractéristiques qui peuvent être manipulées par l’individu. Ce sont ces informations qui sont ensuite partagées volontairement ou involontairement entre l’agent et un principal dans le but de convaincre l’interlocuteur d’un fait. Dans le cas du commerce en ligne, la qualité du bien vendu va servir d’indice permettant à un acheteur d’inférer si le vendeur est bon ou mauvais. Toutefois, à partir de ces indices, il n’est pas possible de tirer une conclusion certaine sur la provenance du bien (McNicol, 2005,p.2). En somme, le terme « signal » utilisé dans la TDS peut aussi bien référer aux indices qu’aux signaux en économiques puisqu’il s’agit d’informations observables, mais qu’aucune distinction n’est faite sur la base de la capacité d’une personne à affecter ou non ce signal. Pour le reste de ce mémoire, le terme « indice » sera privilégié puisque le vendeur n’aura pas de contrôle sur la qualité (l’indice) du bien qu’il envoie.

Dans la TDS, chaque catégorie ou option est caractérisée par une distribution des valeurs possibles d’un même l’indice. En se référant à l’exemple de Kubovy et Healy (1981), les deux catégories (Homme et femme) ont chacun leur propre distribution de moyenne différente, mais de variance similaire. Comme lors de l’expérience Kubovy et Healy (1981), ces distributions suivent généralement une loi normale de moyenne et de variance . Il est important de noter que la valeur ou l’intensité d’un indice peut provenir autant de l’une ou de l’autre des distributions, mais que sa probabilité de réalisation varie selon celles-ci.

L’incertitude perceptuelle concernant les indices peut provenir de deux sources : internes et externes. La variabilité interne proviendrait, par exemple, de la capacité cognitive d’un individu à correctement traiter et discriminer les stimuli perçus (Lynn et Barret, 2014). En revanche, la deuxième source d’incertitude proviendrait plutôt de l’environnement externe à l’individu comme le bruit dans un endroit public lors d’une conversation. Dans le cadre du commerce en ligne, la variabilité de la qualité sera considérée comme une source externe d’incertitude, puisque la variabilité de la qualité peut provenir des aléas du transport et de la manutention, par exemple.

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Figure 3 – Distributions de la qualité des biens vendus selon le type des vendeurs lorsqu’il n’y a pas d’incertitude sur la provenance des indices ou de la qualité

La Figure 3 illustre une situation où il n’y a pas d’incertitude sur la provenance de la qualité. Dans une telle situation, l’acheteur serait parfaitement en mesure d’identifier le type du vendeur et de lui attribuer l’évaluation qu’il mérite. Si l’acheteur observe que la qualité du bien est de -1 unité, il saura avec certitude que ce bien provient d’un vendeur de type Bas et cet acheteur lui accordera une évaluation négative. La Figure 4, quant à elle montre une situation où il y a présence d’incertitude perceptuelle.

Figure 4 – Distributions de la qualité des biens vendus selon le type des vendeurs lorsqu’il a de l’incertitude sur la provenance des indices ou de la qualité

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% -6 -4 -2 0 2 4 6 D ensi de pr obabl ité

Qualité des biens vendus (Signal)

Vendeur de type Bas

Vendeur de type Élevé

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Puisque l’indice est maintenant brouillé par différents aléas, le consommateur n’est plus en mesure d’affirmer avec certitude d’où provient le bien selon la qualité qu’il perçoit. Par exemple, un bien de qualité « zéro » peut très bien provenir d’un vendeur de type Élevé ou de type Bas, mais la probabilité d’observer une valeur inférieure ou égale à zéro avec la distribution du vendeur de type Élevé est plus faible que si elle provenait d’un vendeur qui ne l’est pas.

Cette situation fait qu’il est désormais possible pour un acheteur d’incorrectement identifier la nature du vendeur. Conséquemment, lorsqu’il y a deux catégories et deux réponses possibles quatre situations peuvent survenir. Il est possible de représenter les différentes issues par la matrice du Tableau 3 ci-contre.

Tableau 3– Matrice des réponses possibles

Réponses de l’acheteur

Élevé Bas

Type du vendeur

Élevé HR M

Bas FA CR

La matrice du Tableau 3 permet de représenter les décisions prises par l’acheteur, soit le type de vendeur identifié par ce dernier selon la vraie nature du vendeur. Le taux HR (Hit rate) est le pourcentage ou le nombre de fois que l’acheteur a correctement identifié le type du vendeur lorsque ce dernier était honnête. De même, CR (correct rejection) correspond au cas où l’acheteur a correctement identifié le vendeur mal honnête lorsqu’il était effectivement présent. À l’inverse, le taux FA (False alarm) et M (miss) représentent le nombre de fois où les acheteurs ont incorrectement identifié la nature des vendeurs. Dans une telle situation, l’individu doit définir, consciemment ou non, une règle de décision qui va lui permettre de décider quelles actions entreprendre.

3.3 – Les critères de décision

L’autre aspect important dans la TDS est que la personne va prendre une décision selon un ou plusieurs critères de décision qu’il aura préalablement choisit. C’est ce critère qui va permettre à un individu de classer, de catégoriser ou d’identifier un stimulus qui lui est présenté.

26 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% -6 -4 -2 0 2 4 6 D ensi de pr obabl ité

Qualité des biens vendus (Signal)

Vendeur de type Bas

Vendeur de type Élevé

Dans le contexte d’achats en ligne, le consommateur va utiliser différents critères afin d’évaluer le type du vendeur avec lequel il a transigé. Par exemple, l’individu va adopter une règle selon laquelle, si la qualité du bien acheté est supérieure au seuil critique « c », il va juger la transaction comme « bonne ». Ceci va le conduire à conclure que le bien provient fort probablement d’un vendeur de type Élevé. Ainsi, le consommateur va lui accorder une évaluation positive. À l’inverse, si la qualité est inférieure à ce critère, il va juger la transaction comme mauvaise et va donc donner une évaluation négative (MacMillan et Creelman, 2004). La Figure 5 montre un exemple où le consommateur déciderait que les vendeurs dont la qualité des biens est inférieure à -2 unités obtiendraient une évaluation négative.

Figure 5 – Critère de décision retenu par l’acheteur dans un système avec deux modalités

Une règle de décision généralement admise est celle du ratio de vraisemblance ou likelihood

ratio, identifié par . Dans l’équation (3.1) l’hypothèse alternative ( ) est que le vendeur est de type Élevé et l’hypothèse nulle ( ) que le vendeur est de type Bas.

( ) ( | ) ( | ) (3.1) 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50% -6 -4 -2 0 2 4 6

Qualité des biens vendus (Signal)

Vendeur de type Bas

Vendeur de type Élevé Critère

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La règle de décision optimale choisie serait alors d’affirmer que le vendeur est de type Élevé lorsque et d’affirmer l’inverse lorsque la valeur est inférieure à un. Ce critère lui permettrait de maximiser le nombre HR et CR du Tableau 3 (McNicol, 2005).

Dans le cadre de la TDS, le choix du critère de décision est déterminé par l’individu lui-même et il est également influencé par différents éléments. Healy et Kubovy (1981) ont par exemple montré que les critères de décisions peuvent être affectés par les objectifs des individus, par les conséquences anticipées de leurs réponses et par les a priori concernant les distributions des indices. Cet aspect sera d’ailleurs repris dans le présent modèle présenté au chapitre suivant. Notamment, la proportion de chaque type de vendeur, les coûts et les gains associés à chaque évaluation attribuée par le consommateur influenceront les critères de décision et ainsi les réponses des acheteurs. Cette spécification permet de mettre en évidence le rôle de l’incertitude qui peut exister sur les marchés en ligne, mais aussi les impacts des éventuelles conséquences pour les acheteurs de sanctionner les vendeurs.

L’équation (3.1) ne met pas en évidence le rôle des conséquences associées à chacune des quatre issues présentées dans le Tableau 4. À la place, il est possible d’utiliser la règle de décision suivante (voir équation (3.2)) où les gains (V) et les coûts (C) sont identifiés ainsi que la probabilité qu’un vendeur soit de type Élevé et de type Bas sur le marché.

( )( ) ( )( )

(3.2)

Tableau 4– Matrice des issues possibles selon la réponse de l’acheteur

Réponses de l’acheteur

Élevé Bas

Type du vendeur

Élevé

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Par exemple, supposons que l’acheteur est récompensé par 2 $ s’il identifie correctement le bon vendeur (VHR) et de 1 $ s’il s’agit d’un vendeur de type bas lorsqu’il est effectivement de type

Bas (VCR). Supposons également que l’acheteur est puni de 0.50 $ lorsqu’il se trompe. Dans cet

exemple, l’acheteur a intérêt d’affirmer que le vendeur est type de Élevé (

( ) ( ) ) et sanctionner en conséquence. Cela revient en quelque sorte à comparer l’espérance d’utilité des deux réponses possibles (voir Annexe A pour une démonstration). Lors du prochain chapitre, ce paramètre sera explicité lors du programme de maximisation.

Le prochain chapitre permet d’adapter ces différents concepts énoncés ci-haut au contexte du commerce en ligne. Qui plus est, il va permettre également de modéliser le processus de rétroaction de l’acheteur.

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Chapitre 4

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