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2. Analyse de l’organisation des contenus

2.1 La thématique : morale et mystique

Suivant une partie de mon hypothèse de travail, un rapport fixe et linéaire est à établir entre morale (du bien et des vertus) et mystique (des mystères), au sens où une morale chrétienne tient sa spécificité d’une mystique chrétienne principielle. Dans l’œuvre de Maurice Zundel, le rapport entre morale et mystique est-il tel ?

Γ Que Zundel traite d’une mystique avec ses mystères à contempler, cela concerne directement l’être et l’Être par excellence ; qu’il traite d’une morale du bien et des vertus pour un acte libre et vertueux selon une juste mesure du bien, cela concerne l’agir et une connaissance sur l’agir114. Au total, l’être et l’agir sont tous deux pris en considération dans l’œuvre et, comme tels, ils vont de pair115.

Suivant les termes mêmes de Zundel, il y a une mystique chrétienne116, comme il existe une contemplation naturelle différente de la contemplation propre aux mystiques117. De même songe-t-il à une morale spécifiquement chrétienne ou évangélique118, comme il envisage une morale naturelle ou de la raison

114

Ce que démontre l’ensemble de mon analyse, en regard du premier volet des diptyques que j’ai développés.

115

NDS 101 ; RC 63 ; EI 161 ; QHQD 123 ; CVH 11 ; « La révélation de Dieu et de l’homme en la croix, source de vie » (1939), 202.

116

MM. 8.118 ; « Du visible à l’invisible » (1963), 164 ; « L’Église, présence d’amour et de service » (1965), 205 ; « La clé du royaume » (1976), 6.

117

ALL (« Culture et Contemplation ») 59-84 et surtout : 72 ; MM 84. 118

naturelle119. Il y a des vertus morales spécifiques (vertu secundum quid) et la vertu morale, qui est essentiellement bonté, droiture ou rectitude morale120 ; il y a aussi la vertu chrétienne, qui est la vie du Christ en nous121. Pareillement, une sagesse naturelle est à distinguer d’une sagesse autre ou surnaturelle122, tandis qu’une sagesse chrétienne ressortit d’un regard mystique123.

En la nouveauté de l’Évangile, c’est-à-dire avec l’événement Christ, peut advenir l’accomplissement éminent, le dépassement de la morale du côté d’une certaine mystique124. L’amour suit d’ailleurs la connaissance125, tout comme l’agir suit l’être126. De toute façon, affirme-t-il, « on ne peut être sans agir127 ». Plus encore, « [c]e que l’on fait n’importe pas, mais ce que l’on est : la qualité d’être ne pouvant d’ailleurs se maintenir en dehors d’une certaine qualité d’action où sa valeur s’exprime128. »Du reste, le lien entre les vertus réside en ce que, « sans oublier […] la distance infinie de l’honnêteté naturelle à la perfection surnaturelle, […] il n’y a en quelque sorte qu’une seule vertu –

119

JEA 63 ; RDI 46 ; « Être ou ne pas être » (1962), 15. 120

HPH 77-78.224. 121

« J’enrage quand on dit : Dieu permet le mal » (1976), 14. 122 OV 73 ; HPH 148. 123 PV 121. 124 MM 11.99. 125 ITI 179. 126

CVH 111 ; QHQD 123 ; DV 127 ; RP 239 ; « La révélation de Dieu et de l’homme en la croix, source de vie » (1939), 202 ; « L’humanité d’un Saint (Don Bosco) » (1948), 3. 127

NDS 101 ; RC 63. 128

prudence des sages dans le premier cas, charité des saints dans le second129 ». Et la sainteté offre « la plus claire illustration des vertus130 ».

Φ Pourtant, dira Zundel on ne peut plus clairement, « s’il y a une morale, elle ne peut être qu’une ontologie créatrice131 » : où l’être égale l’amour, eux deux s’identifiant132 et pouvant constituer la « Vérité morale133 ». En un certain sens, même, il n’y a plus de morale mais seulement une mystique134. En outre, la métaphysique, la morale et la mystique convergent135. De même, l’épistémologie, l’ontologie et la morale ne font qu’un, si bien que « la morale est l’ontologie ou la métaphysique d’un être inachevé136 ». Se donner est l’essence même de la morale137, tout autant que penser – non pas simplement connaître ou savoir – est au principe de la morale138. « Être ou ne pas être » devient d’ailleurs la grande question, unique et radicale, d’après Zundel ; mais

129 HPH 83. 130 HPH 81. 131

« Pilule et célibat » (1967), 24. Cf. HEI 114.124 ; DV 156 ; « L’homme existe-t-il ? » (1966), 24 ; « L’expansion démographique et le contrôle des naissances » (1965), 5.

132

HEI 114.124 ; ITI 28 ; DV 85.110-111.156. 133

DV (« La Vérité morale ») 151-161 et plus particulièrement 159-160. 134 MM 76.99 ; QHQD 175-176 ; « Du visible à l’invisible » (1963), 164. 135 MM 135. 136 DV 151. Cf. DV 160. 137 EI 46 ; HPH 97. 138

encore s’agit-il, toujours et strictement, de se faire homme139. Du reste, ce sont des possibilités d’être, des exigences d’être qui qualifient expressément la situation de l’homme, en son devenir140 ; son action la plus véritable n’est pas affaire de simples possibilités ou capacités d’agir, mais joint l’ordre métaphysique même141.

Du reste, le caractère chrétien d’une morale ou d’une mystique ressort, en fait, en contraste avec une morale ou une mystique à caractère naturel, au sens précis de brut ou d’acquis ou de donné (préfabriqué)142 ; cela laisse une marge on ne peut plus grande pour situer du proprement humain. Qui plus est, vertu et science sont contemporaines dans la vie de l’esprit, en connotant un mouvement de transcendance tout à fait semblable et commun puisque « la bonté morale résulte de l’ordination transcendante de la volonté au Souverain Bien, comme la clarté du savoir résulte de l’ordination transcendante de l’intelligence à la Vérité Première143 ».

En somme, si un savoir sur l’être et un savoir sur l’agir sont en cause dans l’œuvre de Zundel, ces domaines du savoir, auxquelles peuvent correspondre la mystique et la morale, ne sont pas toujours présentés tels, sans plus. Au

139

HEI 114 ; « Pilule et célibat » (1967), 24 ; « L’homme existe-t-il ? » (1966), 15.22-24. Voir encore : « Être ou ne pas être » (1962), 18 ; « L’ère de Noël » (1962), 20 ; « Le vide créateur » (1965), 9.

140

CVH (« L’homme réel et l’homme possible ») 11-18 ; « La dignité de la vie prénatale » (1962), 21-22 ; « Pilule et célibat » (1967), 24 ; RC 9.27-28.55.

141

HPH 20 ; RP 237-239.258-259 ; MM 77 ; EI 115. 142

EI 42 ; JEA 63.65 ; DV 151. Cf. « Le réalisme sacramentel de la liturgie » (1960), 113. 143

contraire, ils sont principalement rendus comme pouvant coïncider et donc comme non spécifiquement distincts. Point de prééminence principielle d’une mystique des mystères sur une morale du bien et des vertus simplement humaines, en vue d’un dépassement de la morale. La morale et la mystique s’articuleraient chacune conjointement, à titre d’exigence précisément, c’est-à-dire comme tout autre chose qu’un savoir ou, à tout le moins, comme savoir(s) tout à fait autre(s) et non fixe(s).

Conclusions intérimaires

J’en suis à vérifier mon hypothèse de travail quant au rapport entre une mystique des mystères et une morale du bien et des vertus dans l’œuvre de Maurice Zundel. Ce rapport devait être fixe et linéaire de manière à ce que, une fois affectée du coefficient « chrétien », une mystique des mystères forme l’arrière-fond d’une morale du bien et des vertus, qui en serait directement et nécessairement tributaire pour sa spécificité. Ce n’est guère le cas en fin de compte. Une mystique des mystères chrétiens et une morale du bien et des vertus chrétiennes ne cadrent pas suffisamment avec le propos zundélien, pas plus qu’elles peuvent s’y assortir suivant le rapport d’un savoir sur l’être principiellement prééminent pour un savoir sur l’agir.

Mon hypothèse de travail quant au rapport entre morale et mystique dans l’œuvre de Zundel se trouve suffisamment invalidée pour que je songe à en formuler une autre. Je ne procéderai pas ainsi, maintenant. Comment expliquer, en effet, que cette œuvre-ci puisse offrir, tout de même, une certaine prise à cette hypothèse ? Et comment expliquer que je puisse simplement formuler une hypothèse de ce genre à l’endroit de l’œuvre de Maurice Zundel ? Ce semblait, à tout le moins, une hypothèse plausible en soi et utile pour fin d’interprétation de cette œuvre. Des considérations supplémentaires, dans un sens plus critique

et herméneutique, s’imposent donc. Ce sera d’ailleurs l’occasion de vérifier mon hypothèse globale de travail, en ce qui a trait notamment à cette condition d’une interprétation substantialiste, une et univoque de l’œuvre zundélienne. Pour ce faire, je m’applique d’abord à élucider l’organisation même des contenus dans le propos zundélien (2.2). Je développerai ensuite des considérations d’ensemble qui viendront compléter et élargir ma perspective critique et herméneutique quant à cette tentative d’interprétation de l’œuvre zundélienne (3).

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