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1. Analyse des contenus

1.2 Le thème de la mystique

Je tente, à présent, de suivre le thème de la mystique dans l’œuvre de Zundel afin de vérifier si elle s’y définit à la manière des Pères de l’Église. Selon leur conception et ce que j’en retiens, une mystique des mystères tient au mystère de l’être tout autant qu’à sa contemplation suivant les différents aspects où l’être se donne à connaître.

Mystique de l’être \ union mystique

Γ Nul doute que l’être est entouré de mystère, d’après Zundel. Le monde a ses secrets62 ; l’Écriture a quelque sens caché63 ; la vérité est en elle-même un secret64. L’invisible est apparemment à chercher depuis le visible65. La

62 MM 87 ; ITI 147. 63 MM 120. 64 MM 49. 65 « Du visible à l’invisible » (1963).

conscience humaine implique quelque trésor caché et notre existence humaine comporte un secret inépuisable, où le visible symbolise une valeur cachée66. Sans mystère, sans quelque aspect ou atmosphère de mystère, la vie ne sera pas telle, justement, et il en va pareillement de la science comme de l’art67. Dieu est un dieu caché en l’être humain, intérieur à nous et pas toujours reconnu par nous68.

La mystique, comme telle, concerne ce que Zundel décrit comme un « niveau suprême du réel où l’âme entre en communion avec le plus intime de Dieu69 ». Aussi Zundel rappelle-t-il l’importance, dans toute direction spirituelle, de laisser « percevoir les résonances mystiques d’une doctrine qui porte sur la vie intime de Dieu70 ». La vocation mystique de chacun, en chacun, demeure, le plus souvent, insoupçonnée71. Il propose de recourir davantage aux ressources de la mystique (chrétienne) pour traiter de diverses questions d’ordre humain72. D’ailleurs, dira-t-il, « [c]e qu’il y a à la fois de si grave et de si grand en l’heure présente, c’est que tous les problèmes comportent, de la manière la plus aiguë, une résonance mystique73 ».

66 MM 75.136 ; CVH 149. 67 ALL 15 ; RP 17 ; EI 153. 68

MM 105 et, à tout le moins, les nombreuses occurrences du thème augustinien du Dieu intérieur, dont : MM 52-53 ; QHQD (« Vivante sera ma vie, toute pleine de Toi ») 27-36 ; « Liberté intérieure et révélation » (1965), 28.

69 RP 293. 70 NDS 66. Cf. NDS 22-23. 71 EI 106. 72

MM 10 ; NDS 22.38 ; « Vers quelle pauvreté » (1964), 144. 73

Φ L’optique de la vie ou du mariage spirituel(le) marque, cependant, l’œuvre de Zundel. La mystique se caractérise comme une voie d’identification à un dieu, à Dieu74. Elle consiste en cette union de l’âme à Dieu, dans une longue purification de celle-là par celui-ci75. Dire, comme lui, que « notre vie est mystique en son orientation foncière76 » met encore l’accent sur la vie spirituelle elle-même. Plus encore, Zundel soutient que le langage mystique, qui permet « d’entendre divinement ce qui est divin », a quelque chose de naturel et de spontané77. Et qu’en est-il, finalement, du mystère de l’être (caché et secret) si le mystère cesse d’être une limite pure et simple de notre compréhension pour devenir une possibilité posée en ce sens78 ?

Bref, si la mystique concerne, atteint, correspond à ce caractère insondable de l’être, dans l’œuvre de Zundel, elle demeurerait néanmoins définie en fonction de la vie spirituelle et de l’union mystique qui en est l’enjeu.

Contemplation de mystères \ mystère de la contemplation

Γ Si le mystère de l’être fait partie du propos zundélien, alors je peux présumer que la connaissance de l’être comporte quelque particularité. Le thème de la contemplation s’y retrouve effectivement et s’associe, entre autres, à celui de la

74

MM 99. 75

QHQD 93 ; CVH 59-60 ; HPH 139 ; MM (« Que dis-tu de toi ? ») 79-92. 76

PSL 75. 77

EI 42. Cf. « Le réalisme sacramentel de la liturgie » (1960), 113. 78

culture, en général79. Plus spécifiquement, la contemplation (infuse) des mystiques conduit à cette sagesse qui est une forme éminente de savoir80. Le silence, dont les grands mystiques font montre81, peut seul révéler les abîmes de la vie et il est à ce point du savoir qui surgit dans la lumière même de l’esprit (compréhension, découverte), dans le discours aboutissant justement à la contemplation82.

La contemplation des mystiques en est une dans la foi83. La foi, d’après Zundel, se trouve au sommet de la connaissance humaine, comme un niveau supérieur par rapport à la connaissance sensible (instinctive) et par rapport à la connaissance rationnelle (scientifique)84. La foi est qualifiée de connaissance interpersonnelle ; elle est « la plus haute [connaissance] à laquelle il nous soit donné de parvenir85 ».

Φ Or, la foi est aussi, d’après Zundel, une lumière mystique qui dégage spontanément la vérité de tout alliage pouvant l’obscurcir86 ; pouvoir

79

ALL (« Culture et Contemplation ») 59-83. 80 NDS 63-66 ; ALL 72 ; LF 91 ; OV 82. 81 OV 81-88 ; NDS 65-67. 82 NDS 61 ; OV 78-79. 83

Références en note précédente. 84

DV 11-15.122, ainsi que 21-98 (cinq chapitres entiers) ; QHQD (« Les degrés du savoir ») 55-67 ; « La crise de la foi » (1968), 15.

85

« La crise de la foi » (1968), 15. Dans DV, Zundel parle aussi de la foi en termes, plus généraux, de connaissance métaphysique.

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d’affranchissement plutôt que régime d’obscurité, la foi est événement, dans le jour d’une rencontre87. Aussi le mystique voit-il d’emblée la nature divine et la portée exacte des problèmes88. Il s’agit toujours, d’ailleurs, d’après Zundel, de situer le mystère, quel qu’il soit ; il s’agit d’exorciser le faux mystère par le vrai, de sortir en quelque sorte d’une ferveur mystique illusoire89. C’est une orientation, c’est une certaine attitude face au réel qui caractérise la contemplation et qui fait en sorte que la culture, à laquelle elle s’associe, n’est point l’affaire de savoir dont jouirait quelque groupe ou individu90. La contemplation est au terme comme au cœur de la science91, d’où les nombreuses réflexions zundéliennes sur l’élucidation des conditions du savoir à l’heure d’un progrès scientifique qui ne cesse d’en accentuer la relativité92.

Dans l’œuvre de Zundel, la mystique renverrait donc davantage au mystère même de la connaissance (contemplation) qu’au(x) mystère(s) de l’être, à connaître dans la foi – ou non.

Dogme \ sens spirituel

87 ALL 51 ; HPH 147. 88 PSL 17-18. 89

NDS 35 ; RP 117.228 ; « La cosmiscité humaine » (1965), 8 ; « L’expansion démographique et le contrôle des naissances » (1965), 6.

90

ALL 70-71. 91

ALL 8 ; OV 73-75.84; HPH 77. Voir, plus globalement : ALL (« La Crise de la Vérité ») 1-8 et (« Comprendre ») 43-52.

92

HPH (« Connaissance et expérience ») 27-54 ; DV ; OV ; ALL ; MC ; « Vérité et liberté » (1965a) et (1965b) ; « Les avatars du déterminisme » (1960) ; « Vrai et faux matérialismes » (1960).

Γ Les mystères de la foi, à proprement parler, sont traités dans l’œuvre de Zundel. De façon globale, Zundel dit du dogme qu’il est « la présentation autorisée, sous la garantie de l’Esprit Saint, du contenu de la foi ou – ce qui est pareil – du témoignage apostolique sous les divers aspects qui intéressent la vie ecclésiale, au cours de son développement à travers l’histoire et en fonction des problèmes que ne peut manquer de susciter l’intelligence progressive du donné évangélique93. » Le dogme explicite les virtualités de la foi, c’est-à-dire son contenu implicite et informulé ; il n’est même rien d’autre que l’expression codifiée de la foi chrétienne94. Les dogmes requièrent la foi pour être saisis95. Ils n’évacuent pas le mystère, mais y conduisent et nous y jettent ; ils confluent tous vers un mystère ineffable96.

L’œuvre de Zundel couvre l’ensemble de la dogmatique chrétienne97. Le dogme de la Trinité, abondamment traité et couramment repris dans l’œuvre, est dit primordial et central98 ; le mystère du Dieu Amour en est un de suprême

93 MM 97-98. 94 PSL 160.161 ; HJ 97. 95 PSL 162.163.363. 96 PSL 163.

Sur le dogme, en général, voir : JEA (« Que reste-t-il du dogme au XXe siècle ? ») 97-114 ; PSL (« Le Credo ») 159-165 ; QHQD (« Les trois neuvaines du contrebandier ») 81-91. 97

Pour une présentation détaillée et complète de l’ensemble des dogmes chrétiens dans l’œuvre de Zundel, voir : M. DONZÉ, La pensée théologique de M. Zundel. Pauvreté et

libération, Genève, Tricorne, 1981.

98

QHQD 81.82 ; DV 142 ; HJ 44 ; JEA 99 ; MM 52-59 ; « La théologie de Jean XXIII » (1963), 8 ; « La clé du royaume » (1976), 6. Les diverses réflexions christologiques, ecclésiologiques et mariologiques de Zundel incluent, le plus souvent, une référence au mystère de la Trinité.

liberté et générosité : en un concert de relations éminemment personnelles, en une divine pauvreté99. Le mystère de Jésus est celui du Verbe fait chair, qui assume la condition humaine en lui conférant son propre dépouillement (désappropriation) du Fils vis-à-vis du Père ; la mort de Jésus révèle et contrebalance en quelque sorte l’absence de l’homme devant Dieu ou, plus exactement, l’absence de Dieu en l’homme : d’où la souffrance d’un Dieu fragile, de l’Amour blessé100. En Marie, Vierge Mère, se réalisent cette totale disponibilité envers Dieu ainsi que cette possibilité de devenir le berceau même de Dieu101. L’Église, c’est Jésus lui-même ; c’est la présence continuée du Christ pauvre : dans une totale démission qui fait de l’Église son sacrement vivant102. Le péché originel représente un manque d’ambition quant à l’Infini ; il tient à un esprit de possession faisant en sorte qu’on refuse et s’empêche de devenir origine (sujet, quelqu’un)103.

Φ Zundel insiste cependant pour qu’on s’attarde à la signification spirituelle des croyances104 de même qu’à la solution d’un problème de vie que représente

99

Aux référence principales, déjà fournies en note 3, peuvent s’ajouter : NDS 23-25 ; DV 141-144 ; HJ 98-100 ; CVH 110-112 ; RC 71-75.77-79.

100

Aux références principales déjà fournies en note 3 s’ajoutent ici des passages concernant plus spécifiquement le sens de la mort-résurrection du Christ : MM (« Pour moi, vivre c’est Christ ») 61-75 ; QHQD (« Le vrai peseur d’âmes ») 109-120 ; HEI 152-154 ; « Incarnation et vie chrétienne » (1949), 7-9 ; « La révélation de Dieu et de l’homme en la Croix, source de vie » (1939), 200-209 ; « La souffrance de Dieu » (1962).

101

Références principales déjà fournies en note 3. 102

Références principales déjà fournies en note 3. 103

JEA (« Le péché originel ») 115-132 ; LF (« Le visage du mal ») 81-89 ; EI (« Le problème du mal ») 71-82 ; RC 55-60 ; PSL 285 ; HEI 152-152 ; « Du visible à l’invisible » (1963), 164.

104

chaque expression officielle de la foi105. Il veut « essay[er] d’exposer une doctrine et d’illustrer un principe [afin] d’en dégager l’essentiel pour rendre sensible [...] son ordination essentielle à la vie106. » Le dogme est une eucharistie de vérité107, un pur aliment de la vie mystique (vécue dans le Christ)108, une expression de foi faite de mots-sacrements et qui ne concerne point une vision-du-monde (Weltanschauung)109, un sacrement de lumière et de vérité ou dynamisme sacramentel en vertu de quoi « le Dogme est une Personne110 ». La doctrine peut prévenir tout abus111 quand « le dogme exprime essentiellement l’expérience d’un rapport interpersonnel112 ». Le sens des dogmes demeure éminemment spirituel ; il réside finalement dans une désappropriation, proprement trinitaire113.

Loin de se réduire à un savoir auquel il faut acquiescer, les dogmes, mystères de la foi, seraient donc avant tout et par-dessus tout ordonnés à la vie de l’âme (vie spirituelle), suivant les propos zundéliens.

105 PSL 363. 106 RP 231. 107 RP 271. 108

PSL 162 ; « La théologie de Jean XXIII » (1963), 13 ; « La crise de la foi » (1968), 17. 109

« Vérité et liberté » (1965a), 14. 110 PSL 162. 111 RP 273. 112 JEA 100. 113

Comme peut en faire foi le bref et partiel aperçu des dogmes zundéliens, que j’ai réalisé au paragraphe précédent.

Conclusions intérimaires

J’en suis à vérifier si, dans son œuvre, Maurice Zundel a en vue une mystique des mystères, comme il m’est possible de l’entendre des Pères de l’Église. Ce n’est qu’en partie le cas. Bien que le thème de la mystique demeure assez constant dans cette œuvre, la mystique ne s’y définit pas, sans plus, comme mystique des mystères. Mystères, contemplation, dogmatique sont effectivement des notions prises en compte par Zundel. Au lieu d’évoquer des contenus objectifs, au lieu de désigner ce à quoi tout cela réfère, ces notions semblent plutôt ramenées à ce que cela implique au plan de la vie de l’âme elle- même (vie spirituelle).

Cette autre perspective, relative et plus propre à la vie de l’âme, devra être examinée ultérieurement (cf. chapitre deuxième). Je constate, pour l’instant, que la nature de la mystique s’avère moins facile à établir que prévu dans l’œuvre de Zundel car l’œuvre ne se contente pas d’en faire état à titre de contenus objectifs. Sachant que cette situation est la même en ce qui concerne le thème de la morale, il me faudra revenir sur ce problème d’interprétation et déterminer si l’œuvre étudiée comporte quelque incohérence ou si c’est mon questionnement qui demeure mal accordé à celle-ci, ou tout cela à la fois (cf. 2.2 et 3). Mais ce ne sera pas avant d’avoir tenté d’examiner le rapport même entre une morale du bien et des vertus et mystique des mystères (2.1).

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