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„Migration et santé“

2.1 Thèmes et groupes cibles du PMS

La grande majorité des spécialistes interrogés n’étant pas directement actifs au sein du PMS ou de l’OFSP soutient l’opinion qui veut que le PMS aurait rendu visi-bles les besoins spécifiques aux migrants dans le domaine de la santé et qu’il aurait sensibilisé les politiques, l’administration et les ONG sur cette problématique. Dans la plupart des interviews, il est fait état du caractère modèle innovateur du PMS, non seulement dans le contexte suisse, mais aussi au niveau international (voir à ce sujet l’annexe 4): Dans une publication de l’UNAIDS qui vient de paraître sur les best prac-tices dans le domaine de la migration, le PMS est cité comme une initiative unique:

„In 1990, Switzerland’s Federal Public Health Office began an AIDS prevention pro-gramme designed especially for the almost 20 percent of the population living and working in the country who are non-nationals. (…) Outcome evalaution after some three to four years showed that when such efforts are placed within an overall national HIV/AIDS prevention strategy for everyone living in the country, a government-sponsored HIV/AIDS prevention programme can mobilise considerable engagement within migrant communities“ (UNAIDS 2001).

Outre l’importance de l’approche par des médiateurs, l’orientation nationale du projet est mise en exergue, dans un domaine où les compétences sont en principe

„éparpillées“ au niveau des cantons. Plusieurs informateurs mettent par ailleurs l’accent sur le caractère symbolique d’un engagement étatique pour la santé des mi-grants. Le soutien de l’OFSP confère aux initiatives du PMS une certaine légitimité vis-à-vis de l’extérieur qui est important pour la collaboration avec des organisations ou des institutions partenaires. Comme les associations de migrants précisément ren-contrent souvent une certaine méfiance, le soutien d’une autorité neutre, qu’on ne

sau-rait guère soupçonner d’être militante comme cela est parfois le cas des œuvres d’entraide, s’avère particulièrement avantageux.

Selon plusieurs spécialistes externes, le caractère modèle du programme s’exprime également par le fait que le PMS a donné des impulsions précieuses pour la réalisa-tion d’autres projets et activités de prévenréalisa-tion. L’associaréalisa-tion Appartenances à Lau-sanne, le regroupement de spécialistes au sein d’INTERNETZ (au départ à Bâle), le service de consultation Derman ou un projet de prévention de l’Aide suisse de lutte contre le sida de Genève, qui vise les jeunes femmes d’Amérique latine aux statuts de séjour précaires (Projet-Parc), sont cités en exemple26. Des projets de recherche sont aussi menés ponctuellement sur l’initiative d’experts du PMS, comme une étude ré-cente sur la migration et les dépendances de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Berne (Domenig et al. 2000) en atteste.

Comme la plupart des spécialistes interrogés ne connaissent qu’assez superficiel-lement le programme global „Migration et santé“, la discussion n’a cependant guère pu être approfondie sur les objectifs et le travail pratique du Service, respectivement le PMS. Par ailleurs, les références temporelles de leurs affirmations n’ont pas toujours pu être clarifiées en détail.

Quelques personnes isolées ont critiqué la sélection rigide des groupes cibles, n’accordant en particulier qu’une place marginale aux migrants des autres continents.

Le fait que les migrants asiatiques et africains ne disposent pas d’interlocuteurs de leurs propres communautés (quoi que cela signifierait concrètement) a pu être perçu comme une violation de la stratégie, compte tenu de la démarche usuelle.

Il faut préciser dans ce contexte que la couverture de groupes de migrants plus pe-tits est devenue encore un peu plus problématique après le départ de la chargée de pré-vention compétente, car, à partir de là, cette responsabilité incombe à la cheffe et coordinatrice de projet, déjà passablement surchargée. Les circonstances de cette re-traite n’ont pu être établies qu’approximativement (orientation trop unilatérale sur les communautés latino-américaines). Le manque de ressources est évoqué pour justifier qu’aucun successeur n’ait été désigné. La chargée de prévention portugaise a bien re-pris un projet de prévention du sida pour les migrants d’Angola et des deux Congo, dont la réalisation s’est toutefois avérée très problématique. Plus aucun projet n’a pu être réalisé dans la population tamoule (voir aussi rapport d’activités 1999). Il semble que la rupture d’initiatives entamées, suite au départ de la responsable de projet, ait amené une certaine déception dans les cercles tamouls contactés.27

Il convient de mentionner dans ce même contexte que la direction du Service, suite à la constatation d’une contamination par le sida supérieure à la moyenne chez les

26 Les propos émanent de personnes qui sont proches des organisations ou des projets et qui les connaissent bien.

27 Cette affirmation se base les indications de deux spécialistes externes, mais n’a pu être vérifiée auprès des communautés concernées.

grants d’Afrique subsaharienne, a confié à l’Institut d’ethnologie de l’Uni Berne la mission d’en chercher les raisons et d’étudier les interventions envisageables.

En ce qui concerne le choix des thèmes, les spécialistes externes soulignent à di-verses reprises que la prévention du sida, en comparaison avec d’autres préoccupa-tions, se voit attribuer une trop grande place. D’un autre côté, aucun thème très impor-tant n’a pu être dégagé avec un minimum de consensus pour la promotion de la santé auprès des migrants. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’élargissement du cercle de thèmes n’a d’ailleurs pas été remis en question par des spécialistes externes non plus.

Ce dernier point doit faire l’objet d’un éclairage plus détaillé dans les chapitres sui-vants, car nous sommes d’avis, notamment de par notre analyse des documents, que l’élargissement du rayon d’action thématique à la prévention des drogues ne repré-sente pas seulement le tournant majeur du développement du PMS, mais qu’il a aussi suscité de nombreuses questions, dont les retombées sur l’évolution ultérieure ne doi-vent pas être sous-estimées.

Au moment où la réorientation fut décidée, les responsables de projet avaient tout à fait conscience des difficultés probables à venir, conséquentes à l’extension du rayon d’action. Cet extrait du protocole d’un séminaire de réflexion de juillet 1995 met en évidence cette clairvoyance:

„Pour l’instant, la difficulté principale est de superposer une démarche de prévention des dépendances à une démarche de prévention du sida. Cela pose une question de stratégie, car il est plus facile de faire la prévention du sida (préservatif) que des drogues. Les drogues et les dépendances sont des domaines très complexes, car il n’existe pas de messages simples.“

(protocole du séminaire de réflexion de juillet 1995).

Il peut dès lors paraître un peu surprenant que l’élargissement thématique ait appa-remment eu lieu sans une révision fondamentale des objectifs poursuivis. Les lignes directrices formulées en 1995 pour le travail à venir avaient plutôt décrit des champs d’activité possibles et des manières de procéder qu’une orientation stratégique cohé-rente qui énumère les différents chevaux de bataille – prévention du sida et des toxi-comanies et la promotion de la santé – et nomme, si besoin en était, les priorités. Pour ce qui est de la prévention en matière de drogues et, a fortiori, de la promotion de la santé, le PMS n’avait pourtant que des indices très limités quant à des démarches éprouvées auprès de l’ensemble de la population et sur lesquelles il pouvait s’appuyer, comme cela était par contre le cas pour la prévention du sida. Dans ce sens, après la phase de consolidation dans le domaine du sida (1993 à 1995), le caractère expérimen-tal et innovateur à un autre niveau thématique, qui avait déjà accompagné le lancement du projet, fut conservé. Il faut encore souligner que les messages de prévention desti-nés à l’information sur le sida ont été adaptés aux conditions réelles et mondes vécus, mais qu’il s’agissait d’informations relativement simples à transmettre (éviter les rela-tions sexuelles non protégées). Le passage à la prévention des dépendances et à la promotion de la santé a en revanche entraîné un élargissement des procédés et, du même coup, une différenciation thématique et stratégique qui a apparemment rendu encore plus difficile la tâche de trouver un dénominateur commun entre les cinq com-munautés.

La complexité de la situation s’est encore aggravée par le fait que des différences accrues et fondamentales en ce qui concerne le contexte de la migration (en Suisse) se sont jointes aux particularités des communautés suite à l’introduction de nouveaux groupes cibles (ancienne Yougoslavie et Italie). Il faut ici rappeler que les situations spécifiques de séjour des réfugiés se distinguent fortement des travailleurs migrants, de par leur profil démographique et leur statut juridique, si bien que, du point de vue de la santé également, les priorités diffèrent (suite à un statut de séjour incertain, trau-matismes, etc.). Une plus grande attention doit être donnée aux cadres social et juridi-que de séjour des migrants, si justement une promotion de la santé orientée sur les res-sources propres est au centre de l’action, et non plus la seule transmission d’information. De cette manière, il est nécessaire de formuler des priorités diverses selon le contexte, ce qui ne facilite pas la collaboration, à moins qu’elle ne soit que superficielle. Pour les chargés de prévention, il devient par conséquent plus difficile, ne serait-ce que pour ces raisons, de développer des stratégies et des objectifs com-muns qui demeurent cohérents à l’égard des groupes cibles.

Tous les facteurs cités ont contribué à une diversification imprévue des activités du PMS qui ont dû faire face à des défis plus grands, la direction globale en particulier.

C’est pourtant au cours de cette étape critique du développement à l’intérieur du PMS que la construction du Service migration a été entreprise. Cette évolution, de part et d’autre, nécessitait une réorientation de la collaboration et une répartition claire des tâches entre le Service migration et le PMS.