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Tester les relations de discours

Les expériences précédentes tentaient de montrer que la compréhension du

discours est une opération complexe et pas seulement une accumulation

d'in-formations. Cette compréhension distingue au moins l'importance relative des

propositions entre elle. Ce fait était passé totalement inaperçu des premières

approches formelles du discours, comme la Discourse Representation Theory

(Hamm, Kamp et van Lambalgen, 2006, Corblin, 2002) ou la Dynamic Predicate

Logic de Groenendijk et Stokhof (1991). La SDRT, s'inspirant d'autres approches,

comme la Rhetorical Structure Theory (RST) de Mann et Thompson (Taboada

et Mann, 2006), a bien vu la structure hiérarchique du discours mais ne s'est pas

donné les moyens de la tester expérimentalement.

Dans une série d'articles (Sanders, Spooren et Noordman, 1992, 1993,

Sanders, 1997), Ted Sanders et ses collègues se sont intéressés aux relations de

discours elles-mêmes. Une question récurrente dans l'étude de ces relations,

depuis la RST jusqu'à la SDRT, en passant par l'approche de Sanders ou

en-core Kehler (2002), est de savoirquellessont ces relations. Combien y en a-t-il ?

Comment les détermine-t-on ? Dérivent-elles de principes cognitifs plus basiques ?

La RST et la SDRT donnent des listes de relations mais ne se posent pas la

question de savoir d'où elles proviennent. Sanders et Kehler au contraire essaient

de les faire découler de principes plus abstraits. Kehler (2002) s'inspire de Hume

et distingue les relations de ressemblance, de cause à effet, et de contiguïté. Cette

approche, malgré l'intérêt que présente la volonté de dépasser la simple liste de

relations, ne se prête pas, ou du moins ne s'est pas prêtée, à l'expérimentation

12

.

Ted Sanders et ses collègues essaient eux aussi de dériver les relations de

discours de propriétés cognitives plus basiques, mais leur approche est plus

em-pirique, et surtout expérimentale. Ils proposent une taxinomie des relations de

discours basée sur quatre paramètres :

1. L'opération basiquedistingue, pour deux segments, s'ils sont reliés par une

causalité ou par une simple addition.

2. Lasource de cohérencedistingue les relations sémantiques (les segments sont

reliés par leur contenu) et pragmatiques (les segments sont reliés par l'acte de

langage que l'un ou l'autre, ou les deux, met en jeux). Un exemple classique

de relation pragmatique estSi tu as soif, il y a de la bière dans le frigo, où la

12 Il n'est pas sans intérêt de noter que cette différence d'approche entre la SDRT, qui fait des listes, et la théorie de Kehler, qui veut offrir un fondement cognitif à ces listes, n'est pas seulement une divergence d'objet d'étude ; c'est aussi une divergence théorique clairement énoncée comme telle. Kehler note :

(...)more psychologically plausible models of coherence establishment are needed. The large majority of existing work on coherence relations makes no reference at all to the processing mechanisms by which these relations are established.

Il est nécessaire de trouver des modèles d'établissement de la cohérence qui soient plus plausibles d'un point de vue psychologique. La plupart des travaux existants sur les relations de cohérence ne font pas la moindre référence aux mécanismes qui permettent de traiter et d'établir ces relations. (Kehler, 2002, p.208)

Ce à quoi Asher et Lascarides (2003) répondraient :

(...)only if we restrict the theory's use of beliefs, intentions and other ``private'' features of the participants' cognitive states – such as individual memory organisation or processing effort – will the theory be alinguistic theorywith linguistic generalisations and explanations.

C'est seulement si nous restreignons l'usage que la théorie fait des croyances, des intentions et d'autres propriétés « privées » des états cognitifs des participants – comme l'organisation de la mémoire individuelle ou l'effort de traitement – que nous aurons unethéorie linguistiqueavec des généralisations et des explications linguistiques.

première proposition n'est pas une condition de la seconde mais explicite

pourquoi la seconde est énoncée.

3. L'ordre des segments distingue ordre basique et ordre non-basique. Si on

représente la signiication de deux segments parP

^

QouP

Q, alors l'ordre

est basique si le premier segment a P pour signiication et le second Q.

L'ordre est non-basique dans le cas contraire. Par exemple,P parce que Qa

un ordre non-basique puisqueQ(la cause) suitP(la conséquence).

4. La quatrième primitive est lapolarité, qui distingue les relations positives

des relations négatives ; dans ces dernières, les segments représentent leur

négation, comme dansBien qu'il n'ait pas d'expérience politique, il sera élu,

où il y a une relation de cause à effet entrene pas avoir d'expérience politique

etne pas être élu, cette dernière proposition étant représentée paril sera élu.

L'interaction de ces quatre primitives produit un certain nombre de relations.

Ainsi, une relation de cause à conséquence est-elle causale, sémantique, basique

et positive. Plus ardue, la relation de « contrastive claim argument », illustrée par

(17) You will have to take into account that there are sharks

along the whole Yugoslavian coast, although this is

cer-tainly not shouted from the rooftops.

Il vous faudra prendre en compte qu'il y a des requins sur toute la côte yougoslave, bien qu'assurément personne ne le crie sur les toits.

est une relation causale (que la présence de requins ne soit pas criée sur les toits

amènerait le locuteur à ne pas le dire), pragmatique (c'est un acte de langage qui

(n')est (pas) causé), non-basique (la conséquence précède la cause) et négative

(comme l'illustre la glose précédente, l'acte de langage est nié).

Certains arrangements de primitives peuvent donner lieu à plusieurs

rela-tions, ce qui est de toute évidence une faiblesse de cette approche et amène à se

demander s'il existe d'autres primitives – ou plutôt à afirmer qu'il en existe ; si

elles distinguent des relations, en quoi seraient-elles moins basiques que celles

proposées par les auteurs ? À bien des égards, cette approche est assez loue. Il

n'en reste pas moins qu'elle a été testée expérimentalement.

Sanders, Spooren et Noordman (1992), puis Sanders, Spooren et

Noord-man (1993), proposent des tests de jugement (quelle est telle relation ?) et de

paraphrase (insérer un connecteur entre deux segments). Leurs résultats montrent

qu'il existe un accord assez important entre leur théorie et les jugements des

sujets. La primitive qui donne lieu aux désaccords les plus nombreux est la source

de cohérence ; Sanders (1997) montre que les sujets s'accordent néanmoins sur

les cas clairs, et que dans les cas ambigus le contexte inlue signiicativement sur

leur décision.

Que ces résultats montrent la pertinence des primitives envisagées est sujet à

caution ; d'abord parce que leur formulation n'est pas forcément d'une grande

clarté, et les tester devient ainsi douteux. L'ordre des segments (basique ou

non-basique), par exemple, repose sur la comparaison de l'ordre linéaire des phrases

réelles avec l'ordre linéaire de ce qu'on appellera, faute de mieux, une forme

logique. Au mieux cela repose sur l'idée que la cause précède la conséquence ;

au pire, que P

Qest une représentation douée d'un contenu psychologique.

Quoi qu'il en soit, comme le remarquent les auteurs eux-mêmes, ce critère n'est

pas pertinent pour les relations additives, qui sont symétriques (par exemple, deux

propositions reliées paret). C'est gênant pour une « primitive »... et on peut se

demander aussi quel est le statut de la propriété « être symétrique ». Enin, qu'un

même arrangement de primitives puisse donner plusieurs relations jette un doute

sur l'entreprise, quoique cela puisse être lié au contenu des propositions reliées,

les auteurs ne s'intéressant ouvertement qu'à la relation qui les unit.

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas douter que ces expériences mettent en

lumière un accord entre les interlocuteurs, peut-être pas sur des « primitives »,

mais clairement sur des relations sémantiques entre des phrases. Là où Kintsch

montrait que le discours est hiérarchique, Sanders ajoute qu'il est relationnel :

entre deux phrases (ou un nombre quelconque de phrases), du sens se surajoute,

et les locuteurs le perçoivent. Encore une fois, on pouvait s'en douter, mais encore

restait-il à le montrer !

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