Les connecteurs structuraux ont deux propriétés essentielles concernant le lien
entre un prédicat et ses arguments, le prédicat étant le connecteur lui-même et
les arguments les propositions qu'il conjoint : ce lien peut être étiré (stretched),
comme dans l'exemple suivant :
17 Cet article est par ailleurs l'élaboration de travaux précédents moins développés, à savoir Webberet alii(1999a) et Webberet alii(1999b) pour les aspects qui nous intéressent.
(30) a.AlthoughJohn is very generous –
b. if you need some money,
c. you only have to ask him for it –
d. he's very hard to ind.
Bien queJohn soit très généreux – si tu as besoin d'argent, tu n'as qu'à lui demander – il est très dur à trouver.
Ici le premier argument, la propositionJohn is very generous, est élaboré par une
proposition complexe (deux propositions dans la notation de l'article), ce qui étire
le lien qu'il entretient avec le prédicatalthoughet le second argumenthe's very
hard to ind.
La deuxième propriété est que ce lien ne peut pas être croisé. Ainsi l'exemple
suivant est-il mal formé (la ponctuation est celle de l'article) :
(31) a.AlthoughJohn is very generous –
b. if you need some money –
c. he's very hard to ind –
d. you only have to ask him for it.
Bienque John soit très généreux – si tu as besoin d'argent – il est très dur à trouver – tu n'as qu'à lui demander.
À l'inverse, les adverbiaux de discours admettent le lien croisé :
(32) a. Because Fred is ill
b. you will have to stay home
c. whereasotherwisethe two of you could have gone to the
zoo.
Comme Fred est malade, vous allez devoir rester à la maison, alors qu'autrementvous auriez pu aller ensemble au zoo.
Iciotherwiserécupère l'antécédentJohn is illet ce faisant croise la dépendance
structurale créée parbecauseentre les deux premières propositions.
3.2 Les adverbiaux de discours comme des anaphores
Qui plus est, toujours selon Webberet alii(2003), les adverbiaux de discours ont
le fonctionnement d'anaphores et peuvent prendre un antécédent implicitement
dérivé du contexte :
(33) Do you want an apple ?Otherwiseyou can have a pear.
Tu veux une pomme ?Autrementtu peux avoir une poire.
Dans cet exemple l'antécédent d'otherwiseest la réponse positive (dont otherwise
inverse la polarité) à la question posée. Webberet aliiconsidèrent que résoudre une
telle anaphore par des connexions structurales nécessiterait des transformations
complexes et l'introduction d'éléments invisibles dans le discours, ce que leur
solution évite. Malheureusement, de telles séquences se retrouvent avec la simple
adjacence, que Webber et aliiclassent avec les connecteurs structuraux :
(34) Tu veux une pomme ? J'en ai acheté un kilo.
Dans cet exemple, le calcul de la relation entre la question et la seconde phrase
nécessite qu'on récupère à partir de la question une réponse positive ; or cette
relation n'est établie que par l'adjacence des deux propositions.
Comme les anaphores, les adverbiaux de discours ne respectent pas la
Frontière Droite (Asher, 2005, et ici (p. 21)), à l'inverse des connecteurs
struc-turaux (illustrés ici par or) :
(35) a. If the light is red, stop,otherwiseyou'll get a ticket.
b. If the light is red, stop,oryou'll get a ticket.
Si le feu est rouge, tu t'arrêtes, autrement/ou tu vas avoir une amende.
(36) a. If the light is red, stop,otherwisego straight on.
b. If the light is red, stop,orgo straight on.
Les exemples en (35) sont équivalents, mais pas ceux en (36) (le second ne peut
pas être interprété commeSi le feu est rouge, tu t'arrêtes, ou bien (si le feu n'est
pas rouge) tu continuesmais seulement comme Si le feu est rouge, tu t'arrêtes,
ou bien tu continues (mais c'est ta responsabilité !), c'est-à-dire queorne peut pas
ciblerSi le feu est rouge). L'explication de Webberet aliiest que la proposition
seuleIf the light is redn'est pas sur la Frontière Droite (bien qu'elle le soit dans
l'unité qu'elle forme avecstop), et reste donc inaccessible àor, à l'inverse destop.
Cependant, on peut se demander si la présence deif the light is redà droite (donc
sur la Frontière Droite) change grand-chose :
(37) Stop if the light is red,orgo straight on.
Tu t'arrêtes si le feu est rouge,oucontinue.
La conditionnelle est-elle beaucoup plus accessible ? N'a-t-elle pas plutôt un
potentiel cadratif queorn'a pas la possibilité de changer ? Au demeurant,stop
reste parfaitement accessible, et n'est résolument plus sur la Frontière Droite.
Qui plus est, Webberet aliiutilisentalthougheton the one hand ... on the
other handpour illustrer la propriété qu'ont les connecteurs structuraux d'étirer le
lien entre le prédicat et les arguments, mais utilisentorpour illustrer la contrainte
de la Frontière Droite avec ces mêmes connecteurs structuraux, si bien que
l'argumentation n'est pas très rigoureuse quand il s'agit d'utiliser la Frontière
Droite, ignorée dans le premier cas (où pourtant elle aurait sa place) et considérée
comme un argument déterminant dans le second. Par ailleurs, que les anaphores
ne respectent pas la Frontière Droite est une afirmation qui va contre toutes les
analyses habituellement faites de la structure du discours et n'est justiiée que
par le seul exemple (36) – pour lequel on pourrait trouver bien d'autres raisons
expliquant cette apparente violation de la Frontière Droite : en premier lieu,
parce que la conditionnelle est un cadre, et qu'en ce sens elle est bien sur la
Frontière Droite, et accessible ; cela va de pair avec l'exemple (37), où même si
la conditionnelle est incontestablement sur la Frontière Droite, il reste dificile
d'en faire un point d'attache. Comme seulorest utilisé pour démontrer que les
connecteurs structuraux « ont la vue courte », il est en fait plus logique de tirer
des conclusions sur cette conjonction plutôt que sur l'ensemble des connecteurs
structuraux.
Enin, dernière ressemblance avec les anaphores, la signiication des
adver-biaux de discours covarie avec l'antécédent, particulièrement dans les donkey
sentences. Bien que les donkey sentencessoient bien plus un problème que la
sémantique formelle se pose à elle-même plutôt qu'un véritable problème
lin-guistique
18, puisque cet argument fait partie du raisonnement de Webber et
alii(2003), examinons-le malgré tout. La question desdonkey sentences(Geach,
1962, Kamp, 1981 et Corblin, 2002 pour une introduction en français) est illustrée
par les exemples suivants :
(38) Tout fermier possède un âne.
∀
x(fermier(x)
→ ∃y(âne(y)
∧possède(x, y)))
(39) Tout fermier qui possède un âne le bat.
a.
∀x(fermier(x)
∧ ∃y(ane(y)
∧possède(x, y))
→bat(x, y))
b.
∀x
∀y(fermier(x)
∧ane(y)
∧possède(x, y)
→bat(x, y))
(39a) est la représentation logique attendue de l'énoncé (39), à la manière de (38) :
l'article indéini un(dansun âne) y est traduit par un quantiicateur existentiel.
Cependant, cette représentation n'est pas une proposition, parce que la variabley
dansbat(x, y) est libre : elle n'est en effet pas liée par le quantiicateur dont la portée
se limite à l'expression qui le suit entre parenthèses. On aurait d'ailleurs très bien
pu dénoter cette variable avecz. L'interprétation correcte de (39) est (39b), mais
dans cette représentation, unest rendu par un quantiicateur universel, si bien
qu'on se trouve amené à représenter l'article indéini par un quantiicateur tantôt
existentiel et tantôt universel, ce qui pose problème à la sémantique formelle, pour
laquelle une représentation des indéinis unique et indépendante du contexte
est souhaitable (selon le principe de compositionalité : le sens d'une expression
est la combinaison du sens des éléments qui la constituent). Peu importent ici
18 Disons que c'est un problème linguistique si l'on considère que les principes sur lesquels s'appuie la sémantique formelle sont solides et donc que les problèmes de représentation qui s'y posent – comme lesdonkey sentences– nous renseignent sur le langage.
les solutions qui ont été apportées à ce problème (cf.Groenendijk et Stokhof,
1991 et Kamp et Reyle, 1993, pour deux approches différentes), l'idée importante
qui nous occupe ici est que le pronomle covarie avec son antécédentun âne(à
chaque fermier son âne). Selon Webberet alii, la même covariation a lieu avec
les adverbes de discours :
(40) Every person sellingThe Big Issue mightotherwise be
asking for spare change.
Toute personne qui vend The Big Issue [journal vendu par des sans-abris] ferait peut-être la mancheautrement.
Dans cet exemple, otherwise« envisage chaque personne faisant la manche si
cette personne ne vendait pasThe Big Issue» (Webberet alii, 2003, p. 554), et
doncotherwisecovarie avec l'interprétation de la première proposition.
Conséquemment, les adverbiaux de discours nécessitent une représentation
qui suive le schéma (41b) et pas le schéma (41a) ; dans les deux,petqsont les
propositions reliées et jouent le rôle d'arguments pour les prédicats que sont les
connecteurs et les adverbiaux :
(41) a.conn(p, q)
b.p
∧adv(e, q)
La différence est que les adverbiaux dérivent leur premier argument de p, le
produit de cette dérivation étante.
Pour autant qu'on accepte les présupposés et la pertinence de cette analyse,
il n'y a rien à y redire – sinon qu'on ne voit pas très bien en quoi elle ne s'applique
pas aux connecteurs structuraux commewhen. Quelle différence, en effet, entre
ce dernier etthen (adverbial de discours), dans les deux exemples suivants (le
premier est tiré de l'article) ?
(42) Anyone who has developped innovative new software
hasthenhad to hire a lawyer to protect his/her interests.
Toute personne qui a développé une application novatrice a dû
ensuiteengager un avocat pour protéger ses intérêts.
(43) Everybody hires a lawyer to protect his/her interestswhen
he/she has developped innovative new software.
Toute personne engage un avocat pour protéger ses intérêtsquand
elle a développé une application novatrice.
La subordonnée quand elle a développé une application novatricene covarie-t-elle
pas avec avec la première proposition ? La concomitance des deux évènements
dénotés ne vaut pourtant que dans une interprétation distributionnelle, c'est-à-dire
pourtoute personneprise individuellement, exactement comme avecthen.
À vrai dire, la thèse de Webberet alii(2003) selon laquelle les « connecteurs
structuraux » et les « adverbiaux de discours » fonctionnent différemment est
dificilement contestable – elle est presque triviale ! Le problème de leur analyse,
outre la création de deux catégories un peu fourre-tout (par exemple, l'adjacence,
oreton the one hand ... on the other handse retrouvent classés ensemble, comme
si du point de vue de la sémantique du discours, rien ne les distinguait), est que les
auteurs s'intéressent à des questions de représentation plutôt qu'au fonctionnement
des marqueurs qu'ils étudient. Par exemple, même si presque tous les connecteurs
structuraux sont régulièrement dénommés « conjonctions » (de coordination ou
de subordination) dans l'article, rien n'est dit d'une différence pourtant dificile
à ignorer entre conjonctions et locutions adverbiales : les conjonctions ont une
distribution ixe (en début de syntagme, ou plutôt en début de proposition pour
ce qui nous occupe), alors que les adverbiaux sont des circonstants mobiles dans
la phrase. Du coup, s'il existe une différence entre connecteurs structuraux et
adverbiaux, c'est avant tout une différence syntaxique, et reconnaître cela permet
en retour d'expliquer la différence sémantique : en effet, selon les auteurs, les
connecteurs structuraux respectent la Frontière Droite, à l'inverse des adverbiaux ;
mais la réalité est plus subtile : les adverbiaux respectent, jusqu'à preuve du
contraire, la Frontière Droite (qui est plus que seulement la dernière proposition
et implique une étude des relations de discours, sans parler des topiques et de
la « remontée » des référents qu'ils permettent – voir ici même p. 21 et Asher,
2004b, 2004a) ; les connecteurs structuraux (ou conjonctions), quant à eux, sont
myopes et n'exploitent pas pleinement la Frontière Droite, mais uniquement la
dernière proposition, ou au mieux l'avant-dernière si la dernière est très fortement
marquée comme parenthétique. En ce sens, il est d'ailleurs assez malvenu de
regrouper des marqueurs aussi différents queor (conjonction à très courte vue
qui peut aussi fonctionner à l'intérieur de la phrase),although (subordonnant de
plus grande portée puisqu'il assure la solidité de la structure) eton the one hand
... on the other hand(circonstant mobile dans la phrase, à très grande portée, cette
dernière étant sans doute limitée par la mémoire de l'interlocuteur).
Il aurait été certes plus fructueux – mais admettons que ce n'était pas le projet
des auteurs – de tenter de situer les divers marqueurs étudiés dans le continuum
qui va des adverbes « pleins » aux conjonctions en passant par les connecteurs (cf.
Lamiroy et Charolles, 2004, et pour ce qui relève plus précisément d'autrement,
Lamiroy et Charolles, 2005, étudié ici à la section 6, p. 73). Au contraire, Webber
et aliipassent rapidement sur ce qui autorise leur regroupement en deux grandes
classes pour consacrer l'essentiel de leur article à la formalisation de l'anaphore et
de la structure du discours.
En conséquence, cet article nous éclaire assez peu surotherwise, et guère
plus sur les anaphores en général, comme le note Asher (2004a) :
(...)of course these expressions are anaphoric. It's also clear in sdrt that
such adverbials allow anaphoric dependencies that apparently violate
the Right Frontier Constraint(...). The problem with Webberet alii's
view about discourse adverbials is that it doesn't tell us anything about
how discourse adverbials contribute to discourse structure and how these
help resolve ellipses – in fact that account doesn't tell you anything
about which discourse relation accompanies any attachment. On the
other hand, there's lots of evidence in the works cited above that shows
that discourse adverbials do contribute to discourse structure(...).
1919 « Bien sûr que ces expressions(les adverbiaux de discours)sont anaphoriques. Il est clair aussi en sdrt que ces adverbiaux autorisent des liens de dépendance anaphorique qui violent en apparence la Contrainte de la Frontière
(Asher, 2004a, p. 258-259)
Pour le dire autrement : les auteurs soulèvent des questions intéressantes mais y
répondent étrangement !
4 L'approche sémantique d'Inkova-Manzotti (2002)
Dans son article, Inkova-Manzotti (2002) s'intéresse à l'opération sémantique
effectuée par autrementconnecteur dans le lien qu'il opère entre les deux
propo-sitions qu'il relie (la question de savoir quelle est la nature syntactico-sémantique
de ce qu'effectivement autrementrelie n'est pas posée). L'auteur se place dans le
cadre de l'Update Semanticsde Veltman (1996) et considère la compréhension
du discours comme une série demises à joursuccessives.Autrementconnecteur
met à jour le discours avec une proposition extraite du contexte gauuche, mais
seulement en partie : sa valeur de vérité n'est pas la même. C'est en ce sens
qu'Inkova-Manzotti parle d'accommodation (d'après Lewis, 1979) : autrement
connecteur ne récupère pas simplement une proposition, mais la négation de
celle-ci, qui est une propositionacccommodéepuisqu'une opération sémantique
implicite est nécessaire à la compréhension.
Inkova-Manzotti distingue ensuite un emploi « prototypique » (concernant
plus de 40% des emplois de son corpus), illustré par l'exemple suivant :
(44) Téléphone à Marie,autrementelle se fâchera.
Ici autrementfonctionnecomme la protase d'une période hypothétique, c'est-à-dire
qu'il récupère une proposition antérieure et émet l'hypothèse de sa négation,
en (44) si tu ne téléphones pas à Marie (d'où l'expressionhypothèse négative).
Droite. Le problème avec le point de vue de Webberet aliisur les adverbiaux de discours est qu'il ne nous dit rien sur la manière dont les adverbiaux de discours contribuent à la structure du discours et comment ils participent à la résolution des ellipses – en fait, cette solution ne dit rien de la relation de discours qui accompagne tout attachement. D'un autre côté, il y quantité de preuves dans les travaux cités plus haut(Hardt et Asher, 1997, Asher, Hardt et Busquets, 2001)montrant que les adverbiaux de discours contribuent bien à la structure du discours. »