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Le test de commutation interlingue

2.4. L’alignement au niveau lexical

2.4.2 Le test de commutation interlingue

Comme le note Mahimon (1999), le répérage de traduction peut s’appuyer sur le test de commutation interlingue, suggéré par Catford (1965 : 28), afin de dégager des équivalences entre les unités d’un texte et de sa traduction : « Plutôt que de se demander où sont les équivalents, on peut adopter une procédure plus formelle, à savoir la commutation et l’observation de variations concomitantes. En d’autres termes, on peut introduire de manière systématique un changement dans le texte source et observer quels changements éventuels en découlent dans le texte cible. Un équivalent de traduction textuelle est donc : cette portion du texte cible qui change si et seulement si une portion donnée du texte source a été modifiée » (nous traduisons). La même idée est à l’œuvre dans certaines méthodes d’alignement de textes parallèles, basées sur la reconnaissance des parties variables et les parties constantes dans un corpus d’exemples de traduction, afin d’établir des corrélations d’une langue à l’autre. Malavazos et al. (2000) en ont tiré une méthode d’extraction de « modèles de traduction » (translation templates) : « L’idée principale est basée sur le constat qu’étant donné une paire de phrases source et cible, toute modification de la phrase source aboutira probablement à un

ou plusieurs changements dans la phrase cible, et qu’il est en outre probable que les unités constantes et variables de la phrase source correspondent respectivement aux unités constantes et variables de la phrase cible. » (nous traduisons). Des deux couples de phrases suivants, les auteurs tirent des correspondances entre les parties constantes et les parties variables :

angl. : Style Manager help menu

grec : Κατάλογος βοήθειας διαχειριτή ύφους

angl. : Style Manager file menu

grec : Κατάλογος αρχείων διαχειριτή ύφους

D’où les correspondances : angl. : Style Manager X menu

grec : Κατάλογος X’ διαχειριτή ύφους

(X,X’) = (help, βοήθειας) (X,X’) = (file, αρχείων)

Dans ce dernier cas, les commutations ne sont pas produites, mais observées. De ce fait, elles peuvent être extraites automatiquement, par simple comparaison des phrases du corpus. Mais notons qu’il est peu probable qu’un corpus contienne en masse de tels cas de figure, où une seule unité est affectée par la commutation.

Le test manuel suit un parcours redoublé par rapport au test classique de commutation : en introduisant une variation sur le plan de l’expression on produit une variation sémantique ; cette variation sémantique impose ensuite une variation des signifiants cibles afin de rétablir l’équivalence sémantique entre les deux textes. Suivant ce principe, Mahimon (1999 : 37) propose une méthode dédiée à l’alignement manuel des unités lexicales, en reliant les unités qui commutent simultanément dans la source et la cible. Elle donne l’exemple suivant :

Fr. : Ce projet de loi prévoira un système de déclaration des maladies infectieuses

Angl. : This bill will provide for an infectious disease notification system

Si on fait commuter Ce avec Chaque l’équivalence peut-être rétablie en commutant This avec Each :

Fr. : Chaque projet de loi prévoira un système de déclaration

des maladies infectieuses

Ang. : Each bill will provide for an infectious disease notification

system

On peut en tirer des correspondances bilingues, que nous noterons de la manière suivante :

Ce || This, Chaque || Each

La commutation d’unités polylexicales s’effectue en plusieurs temps, par transitivité (si A et B commutent ensemble, et B et C commutent ensemble, alors A, B et C forment une unité).

Fr. : Ce projet de loi prévoira / entérinera un système de déclaration des maladies infectieuses

Angl. : This bill will provide for / confirm an infectious disease notification system

d’où la commutation : prévoira || provide for (1)

Fr. : Ce projet de loi prévoira / prévoit un système de déclaration des maladies infectieuses

Angl. : This bill will provide / provides for an infectious disease notification system

par conséquent, on a : prévoira || will provide (2)

Par transitivité will provide for est repéré comme une seule unité :

(1) + (2)  prévoira || will provide for

Mais notons que ce test connaît des limites, surtout dans les cas de traductions moins « littérales », où l’impossibilité d’établir des correspondances d’unité à unité le rend inapplicable. Implicitement, pour que le test soit envisageable, les phrases source et cible doivent avoir le même contenu sémantique. En effet, la commutation des unités est censée suivre les deux phases déjà décrites : création d’une différence dans la source et rétablissement de l’identité sémantique par création de la même différence dans la cible. Mais lorsqu’il n’y a pas exactement identité sémantique au départ la possibilité de la double commutation devient caduque. En effet, même si l’on rétablit l’identité sémantique en commutant, les unités de départ resteront réfractaires aux correspondances déduites. Prenons l’exemple suivant, et cherchons à appliquer la commutation, en prenant soin, à chaque fois, de rétablir au mieux l’identité sémantique.

Fr. : (…) l’émission de billets de banque identifiables par les aveugles et par les personnes à vision réduite

Angl. : (…) the marking of banknotes for the benefit of the blind and partially sighted

Le procédé de traduction (qui va ici de l’anglais vers le français) correspond à ce que Vinay et Darbelnet (1958) nomment modulation. La difficulté à trouver un équivalent pour

marking conduit le traducteur à une stratégie d’évitement, qu’il réalise grâce à un élargissement métonymique (le « marquage » des billets étant une partie de leur « émission »), contrebalancé ensuite par un rétrécissement sémantique, for the benefit étant rendu par identifiable. Il en résulte un schéma de commutation plus complexe :

Fr. : (…) l’émission / la destruction de/s billets de banque identifiables par les aveugles et par les personnes à vision réduite

Angl. : (…) the marking / destruction of banknotes for the benefit of / identifiable

by the blind and partially sighted

Fr. : (…) l’émission de billets de banque identifiables / inutilisables par les aveugles et par les personnes à vision réduite

Angl. : (…) the marking / issue of banknotes for the benefit of / useless for the blind and partially sighted

On obtient, par l’application de la transitivité :

l’émission …identifiables || marking … for the benefit of

Que signifie cette correspondance ? en dehors du contexte précis de ces deux phrases, rien. Cette absence de correspondant clair peut être caractérisée par les possibilités importantes de commutation sans contrepartie : émission peut commuter avec création, fabrication, impression, tirage, production, diffusion, introduction sans que la relation d’équivalence avec la phrase anglaise en soit altérée. De même identifiables peut commuter avec utilisables, reconnaissables, lisibles, manipulables, déchiffrables, etc. Ces possibilités de commutation « à vide » dénotent le lien très lâche de ces unités avec la phrase cible.

Les observations de Seleskovitch sur la prise de note en traduction consécutive révèlent deux types de comportements lexicaux : certains mots fusionnent et perdent leur identité au sein du produit final, d’autres subsistent et gardent leur identité formelle (Seleskovitch compare ces derniers à des raisins dans une brioche, qui résistent à la cuisson) :

« En étudiant non seulement l’interprétation proposée par ses collègues mais également les notes de consécutive qu’ils avaient prises, Seleskovitch constate que certains mots du discours original sont notés et traduits par les participants. Ce sont les chiffres, les appellations, les énumérations et les termes techniques. Par contre d’autres mots, qui possèdent ce qu’elle avait appelé dans L’interprète dans les conférences internationales des équivalents conventionnels dans l’autre langue, n’avaient été ni notés ni traduits tels quels. Fondus dans l’opération de chimie du sens, ils avaient fait l’objet d’une réexpression. » (Laplace, 1994 : 239)

Ce qui est vrai pour l’interprétation consécutive l’est aussi pour la traduction écrite, car toute traduction implique une interprétation globale de l’équivalence des énoncés. Il faut donc admettre que la commutation interlingue, et par voie de conséquence le repérage de traduction, ne peut pas concerner toutes les unités du texte, mais seulement un sous-ensemble : l’hypothèse de compositionnalité traductionnelle ne s’applique pas complètement au niveau lexical. C’est pourquoi nous préférons parler de correspondances lexicales plutôt que d’alignement lexical.