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Le test d’équité

Dans le domaine de la peine privée, l’équité remplit un rôle prépondérant. Si la peine est contractuelle et si le requérant demande son prononcé, le juge doit, devant la preuve des conditions de mise en œuvre, la prononcer. C’est précisément le cas quand on demande la résolution d’un contrat ou l’exécution judiciaire de la clause pénale. De même, lorsque la peine est extracontractuelle et forfaitaire — telle que la peine au double en cas de recel de biens sociaux —, si le demandeur prouve les éléments de la causa petendi, le juge doit accorder la peine demandée.

Les peines contractuelles et les peines extracontractuelles forfaitaires doivent obligatoirement être prononcées par le juge. Dans le cas contraire, l’arrêt serait attaquable par le biais des moyens récursoires, en raison de la transgression du droit matériel pour inapplication des normes applicables.

Contrario sensu, face à la demande de peines privées non établies par la loi, mais reconnues par le droit positif423, le juge a une marge de manœuvre plus large, car l’absence

d’un critère objectif d’évaluation de la sanction l’oblige à utiliser l’équité, qui est précisément un critère auxiliaire de l’office du juge. L’équité, c’est la justice du cas concret424. En fonction

de l’équité, le juge peut déterminer la viabilité ou la non-viabilité de la peine dans le cas concret. Ainsi, il est possible qu’il existe des preuves d’une faute et d’une lésion, mais aussi de l’incapacité contributive du défendeur, ce qui permet au juge de s’abstenir d’imposer la peine.

423 Y compris la jurisprudence.

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L’équité fonctionne donc comme le critère permettant au juge d’imposer, d’écarter et de moduler les peines privées, dans tous les cas où la peine n’est ni déterminée légalement ni tarifée. Dans le cas des peines reconnues dans un précèdent judiciaire pour lesquelles la jurisprudence a fixé des forfaits, le juge n’est pas obligé de respecter ces derniers, car les tests d’équité peuvent le conduire à les modifier à la hausse ou à la baisse de manière ponctuelle.

L’application du critère équitable oblige le juge à bien motiver sa décision. Ce dernier doit expliquer chacun des critères qu’il considère afin de résoudre la prétention punitive. Ces critères se résument, grosso modo, ainsi : la gravité de la faute, en tant que critère de mesure et non pas d’imposition, la capacité contributive du coupable et les profits retirés illicitement. Il faut préciser que les profits retirés illicitement ne se cantonnent pas aux profits pécuniaires425.

Une fois remplies les trois conditions de mise en œuvre de la peine privée, le juge doit la prononcer.

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Conclusions du chapitre 1

La peine privée est une des sanctions civiles du fait illicite. Le seul fait donnant lieu à son imposition est l’illicéité. Il n’existe pas de peines privées dérivées de faits licites. L’illicéité peut se manifester à titre de faute ou de dol. Il faut que le fait illicite lèse un droit, pour ne pas sanctionner un fait illicite inoffensif. En somme, les conditions de la peine privée sont la faute, la lésion d’un droit et la réalisation d’un test d’équité.

La faute est la commission imprudent ou négligente d’un fait illicite. L’illicéité résulte de la transgression d’une règle de conduite établie dans une loi, dans un contrat ou dans le devoir général de prudence et de diligence. La transgression de la règle de conduite doit produire la lésion d’un intérêt licite de la victime. Il n’y a pas d’intérêts désignés comme étant les seuls protégeables par la tutelle civile. Tous les intérêts licites sont protégeables.

La gravité de la faute n’est pas prise en compte pour déclencher la punition. Le fondement utilitariste de la peine privée permet de négliger la gravité du comportement. Une faute légère peut causer des lésions graves, ce qui justifie la dissuasion de la récidive par l’auteur et de l’émulation par des tiers. De même, une faute lourde peut être inoffensive, ce qui rend inutile sa punition, sauf si on la fonde sur la justice rétributive. Il faut préciser que si la gravité de la faute n’est pas importante pour imposer la sanction, elle est très importante comme critère de modulation de la peine. À une faute plus lourde, on impose une peine plus lourde.

La lésion d’un droit est une autre condition de la peine privée. La lésion est l’effet immédiat du fait illicite. Cette lésion peut causer des préjudices. La distinction entre la lésion et ses effets n’est pas reconnue par la loi, mais a été reconnue implicitement par la jurisprudence, lorsque cette dernière a prononcé des sanctions civiles devant la seule constatation d’une atteinte à un droit fondamental. Quand la jurisprudence a discerné les sanctions civiles, en condamnant le défendeur, d’une part, à réparer intégralement les préjudices et, d’autre part, à payer une « indemnisation » pour atteinte aux droits

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fondamentaux, elle a reconnu la distinction entre la lésion et ses conséquences, bien qu’ayant prétendu ne pas sanctionner seulement la lésion.

La dernière condition de la peine privée est l’application d’un test d’équité. Le juge doit évaluer toutes les conditions qui entourent le cas, notamment celles relatives au coupable et à sa conduite. La décision de lui imposer ou non la peine est une décision équitable, et l’équité est la justice du cas concret. L’équité permet au juge de moduler la condamnation en fonction de la gravité de la faute, la capacité contributive du coupable, les profits retirés, etc. L’appréciation équitable doit englober tous ces aspects pour moduler la peine aussi justement et rationnellement que possible.

L’équité ne fonctionne pas, en tant que critère de modulation, lorsque la peine a un tarif fixe ou un plafond. En matière contractuelle, par exemple, la volonté des contractants détermine le montant de la clause pénale, bien que celui-ci ne puisse pas dépasser un certain plafond. La résolution pour inexécution est similaire. Le contractant qui n’a pas rempli son contrat ne perd que les droits qu’il avait avant l’inexécution ; ni plus ni moins. Dans un tel cas, si le juge recueille les preuves des conditions d’application de la peine, il doit l’appliquer, sans pouvoir ni l’écarter ni la moduler. Lorsque la peine est extracontractuelle, forfaitaire ou plafonnée, le juge doit suivre cette même démarche.

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CHAPITRE 2

Les effets de la peine privée

Le prononcé de la peine privée implique la naissance d’un rapport juridique : celui qui existe entre le bénéficiaire de la peine et le sanctionné. Ce lien juridique concerne l’objet de la peine. Si cet objet consiste à donner, faire ou ne pas faire quelque chose, il y aura évidemment une obligation civile. Mais si l’objet consiste en la déchéance d’un droit, il n’y aura aucune obligation. Si la peine est une obligation de faire ou de ne pas faire ou la déchéance d’un droit, elle n’est pas mesurable. Au contraire, la peine pécuniaire est bel et bien mesurable.

Il convient maintenant d’étudier les parties concernées par la sanction punitive (A), l’objet de cette dernière (B) et sa mesure (C).