• Aucun résultat trouvé

Le canot camouflé de sable avait des allures fières Le purifié Il nous conduira demain dans le nitassinan Natasha Kanapé Fontaine

«Moi je vous parle du Nord / […] / Car je connais le Nord pour l’avoir écouté / Dans des grands moments de froid / […] / J’entends le saumon qui monte les rivières / J’écoute toujours le chant des arbres / […] / Moi je vous parle du vrai Nord / Toi qui ne vois pas le Nord » (Mestokosho, 2014 : 94) écrit la poète Rita Mestokosho. Ces vers portent en eux à la fois la description d’un territoire et le lien profond qui unit l’Innu à celui-ci. Le « vrai Nord », nous dit Rita Mestokosho, tout le monde ne peut y avoir accès. Il est plus qu’une terre où il fait froid, où l’on rencontre des saumons et des arbres. Le « vrai Nord » c’est celui qui s’écoute, s’appréhende.

Nous savons déjà pour l’avoir évoqué précédemment que l’animisme, en tant qu’ontologie, induit un mode singulier de relation à la nature. Nous verrons de plus qu’il se fonde sur une « relation spirituelle particulière au territoire »134. Autrement dit, si les ontologies animistes considèrent que chaque « objet » est habité par un esprit et que les relations entre les différentes personnes humaines et non humaines (Leroux Chartré, 2014 : 19) sont fluides et non limitées aux enveloppes corporelles, chacune des spiritualités qui en relèvent s’ancre dans un territoire précis : le Nord, la forêt équatoriale. Parler de territoires, ce n’est donc pas seulement évoquer un paysage, une « étendue de pays qui ressortit à une autorité, à une juridiction quelconque »135 mais également considérer toute la dimension spirituelle liée à

cet espace précis.

Dans le premier chapitre de l’essai Lighting the Eighth Fire, The Liberation Resurgence and Protection of Indigenous Nations136, la chercheuse Handenosaunee Susan M. Hill démontre comment le mythe de création Handenosaunee137 apporte un enseignement sur la

134 SURRALLÈS, Alexandre. L’animisme dans le droit des autochtones au territoire. In : DESCOLA,

Philippe. Anthropologie de la nature, Paris, 12 mai 2016, Collège de France. [En ligne]. Disponible sur : <http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/seminar-2016-05-12-10h00.htm>

135 Définition du dictionnaire Le Larousse

136 SIMPSON, Leanne (dir.). Lighting the Eighth Fire, The Liberation Resurgence and Protection of

Indigenous Nations. Winnipeg : Arbeiter Ring Publication, 2008, 232 p.

137 Pour ce mythe, voir par exemple l’ouvrage jeunesse de l’auteur Huron Wendat Louis-Karl Picard-Sioui :

façon de prendre soin de leur territoire. Elle écrit ainsi : « our historical consciousness, our land, and our environnemental ethics are inextricably connected. » (Smith, 2008 : 24). Nous pouvons tirer deux leçons de ce que nous apprend ici Susan M. Hill. D’une part, et comme souligné par les théories littéraires issues des études autochtones et avec elles bon nombres d’écrits anthropologiques qui s’intéressent aux peuples autochtones et à leur rapport au territoire, Susan M. Hill abonde dans le sens de l’existence d’un lien inextricable entre la conscience d’exister en tant que peuple – ce qu’elle nomme la « conscience historique » et leur territoire. D’autre part, en soulignant le fait que ce rapport au territoire (« environmental ethics ») est également illustré dans leur mythe de création, Susan M. Hill nous dit que les récits et territoires d’une nation sont eux aussi profondément imbriqués. Les romans et poèmes de mon corpus, s’ils ne sont pas des mythes de créations sont néanmoins des récits, et il me semble que l’affirmation de la chercheuse Handenosaunee m’invite à observer également ce que ces textes, et les territoires qui y sont décrits, mettent ainsi en jeu.

Cette sous-partie s’inscrit dans le cadre des « géographies animistes ». Il s’agira donc ici de m’attarder sur les territoires de l’animisme. Ces derniers m’apparaissent tout d’abord en tant que lieux où s’ancrent les intrigues et paroles poétiques. Ils reviennent de façon récurrente dans le corpus : la toundra, la brousse, la côte qui longe le fleuve St Laurent. Tout comme j’ai aisément pu identifier certains motifs répétitifs dans les textes étudiés, il est très facile de reconnaitre les paysages géographiques représentés dans les œuvres. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les poèmes de Rita Mestokosho racontent le nord du Québec tandis que les romans de Léonora Miano prennent place dans une région côtière d’Afrique centrale.

Tout comme il me semblait que les différents motifs étaient pris entre une réalité contextuelle et une certaine injonction exotique, je propose d’étudier ici les territoires de l’animisme en gardant à l’esprit cette tension. Si l’association animisme = grands espaces naturels sauvages peut sembler facile et découler d’une attente exotisante ne concevant pas que des shamans pratiquent des rituels dans un immeuble d’une grande ville nord- américaine, il n’en reste pas moins que c’est cet ancrage territorial que les auteurs choisissent de mettre dans scène dans leurs textes. Cette situation géographique reflète une réalité vécue, et ce toujours en 2016.

Par « territoires de l’animisme », je désigne alors les lieux où celui-ci se pratique, les territoires d’origine des peuples colonisés. Cette étude va donc s’attacher à lire d’abord le reflet dans les textes de ces lieux de pratiques. Côte-nord, brousse, l’animisme se vit dans des endroits particuliers. Ils s’appellent Nitassinan138 et, plus encore, Nutshimit139 pour les Innu. Ce sont aussi la toundra du second recueil de Joséphine Bacon, qu’elle nomme par son nom innu-aïmun « Mushuau – Assi » (Bacon, 2013 : 6) comme « les terres éternelles » des ancêtres dans lesquelles voyage l’esprit de Rita Mestokosho (Mestokosho, 2011 : 62). Dans les romans du corpus africain, ce sont les zones de brousse en périphérie des villes et des villages qui abritent le plus souvent les rituels et qu’habitent les esprits.

Les ouvrages étudiés ici aménagent, au sein du texte, des espaces de la pratique animiste. Autrement dit, les romans et poèmes s’attachent à représenter des lieux, territoires, dans lesquels l’animisme est vécu de différentes manières. Si les recueils des poètes Innu imbriquent des discours sur la souveraineté territoriale et l’évocation poétique des territoires ancestraux140, les textes de Sami Tchak et Léonora Miano vont, eux, s’attacher à mettre en scène une brousse à la fois décor de pratiques animistes, lieu de l’invisible, mais aussi prétexte à la construction d’une réflexion sur la notion de « tradition » projetée par un lectorat occidental.

Écrire les territoires de l’animisme c’est donc considérer

ce mille feuilles de territorialités superposées et entrecroisées, caractéristique des situations postcoloniales […] la littérature sert ici à dire comment il est toujours possible depuis tel ou tel lieu de faire jouer les unes contre les autres les différentes instances d’accaparement territorial.141 (Albert, Garnier, 2011 : 12)

L’accaparement territorial peut, à mon sens, recouvrer différentes signification : accaparement physique d’une terre mais aussi accaparement d’un imaginaire, dépossédé de sa réalité non colonisée. Figer la brousse dans un imaginaire menaçant du type Au cœur des ténèbres, ou dénier au Nusthimit sa qualité de territoire spirituel habité par les Maîtres des Animaux relèveraient ainsi tout autant de l’accaparement territorial que construire un

138 Terme innu-aïmun par lequel les Innu désignaient leur territoire de vie avant la colonisation. Signifie

« notre terre ».

139 Terme utilisé pour désigner les territoires de chasses ancestraux, également territoires sacrés. Cela signifie

littéralement « dans le bois, en forêt, à l’intérieur des terres ». C’est dans le Nutshimit que se manifestent les Maîtres des animaux.

140 Les territoires ancestraux sont les territoires sur lesquels les peuples autochtones se déplaçaient avant la

sédentarisation (s’ils étaient semi-nomades). Ce sont donc les territoires de chasse et de pêche, reconnus par les droits ancestraux et désignés ainsi dans la constitution canadienne.

141 ALBERT, Christiane ; ABOMO-MAURIN, Marie-Rose ; GARNIER, Xavier ; PRIGNITZ, Gisèle.

barrage et ainsi violer un traité datant des premières vagues de colonisation.

Prolongeant donc la réflexion de Christiane Albert sur le pouvoir de la littérature de se jouer de ces « accaparements », je propose donc de lire comment se crée, dans l’écriture du territoire, une « souveraineté textuelle ». À savoir cette possibilité pour le texte de réagencer des rapports au territoire qui louvoient avec la rigidité d’une structure colonisatrice. Le texte, parce qu’il permet de déployer des discours, et évocations imaginaires transgressives fait territoire. Il décrit des lieux, la brousse, la toundra, et les investit d’une sacralité et d’une fonction sociale constitutives des structures animistes. Le texte encore, parce qu’il est libre des contingences contextuelles, peut inventer, créer, faire exister de nouveaux territoires, ce que Garnier et Albert nomment « la fonction terroritorialisante » de la littérature et qui « accompagne des territoires en étant partie prenante d’un projet politique. » (Garnier, Albert, 2011 : 14).

Ainsi, lorsque Miano décide de situer le récit de La saison de l’ombre dans un temps précolonial et qu’elle s’attache à décrire des décors vierges de l’influence occidentale et réglés par des pratiques animistes, ou lorsque Joséphine Bacon consacre l’entièreté d’un recueil à la toundra en tant que territoire sacré pour les Innu, elles me semblent toutes deux faire un geste politique au sens où elles réinvestissent un territoire avec leurs propres codes et désirs. Ces territoires réels deviennent des lieux « d’investissement affectif, symbolique » (Garnier, 2011 : 14). C’est la façon dont l’animisme est pris en compte comme un élément essentiel de ce territoire, qui m’intéresse alors. L’animisme fait partie de ce qui y est « investi », et participe donc à la faculté des textes d’ « unir […] autour d’un territoire » (Garnier, Albert, 2011 : 14).

Dans une logique d’analyse des structures, il est particulièrement intéressant de constater que la chosification de ce que j’appelle ici « les territoires de l’animisme » entreprise par la colonisation est encore une fois liée au processus colonial tout autant qu’elle lui échappe. La colonisation vise d’abord à conquérir des terres, étendre précisément le territoire d’une nation déjà souveraine. De fait, elle circonscrit et s’approprie les lieux de l’animisme, y impose ses règles, les fait devenir « son territoire », transforme le paysage par la mise en place de ses pratiques sociales, par l’arrivée de son économie. Sans même entrer dans des considérations de possession juridique, le simple fait de construire des routes, d’agrandir les villes, d’exploiter les sous-sols, participe à la profonde modification d’un territoire. Or, l’animisme est une pensée du territoire. Alexandre Surrallès, dans une conférence donnée

au Collège de France intitulée « L’animisme dans le droit des autochtones au territoire », décrit l’animisme comme un « lien affectif142 dense et complexe entre les humains et les

non-humains ». L’expression « non-humains » désigne les esprits – invisibles – mais également tous les éléments naturels avec lesquels les peuples Amérindiens - ici d’Amazonie - entretiennent une relation particulière. Ainsi ce lien affectif est pris dans les mailles d’une colonisation des territoires. C’est là qu’il y a chosification. Car la colonisation territoriale tente de figer un lien affectif alors qu’il est animé. Mais parce que l’animisme est précisément une pensée du mouvement, elle vient contrecarrer cette imposition d’une norme qui relève d’une ontologie qui lui est autre.

Dans cette partie, je n’aurai pas recours à la théorie littéraire qui analyse le paysage comme un motif poétique, mais plutôt à des considérations d’ordre anthropologiques sur la relation entre personnages et leurs territoires en contexte animiste.

Avant d’entamer une analyse des textes, il me semble important de soulever rapidement – pour les approfondir par la suite - trois points saillants du lien entre animisme et rapport au territoire.

3.1. Animisme et droits territoriaux

Avant de m’interroger sur la fonction de l’animisme dans la construction d’une potentielle souveraineté textuelle, il me semble essentiel de parcourir les enjeux de celui-ci dans la revendication d’une souveraineté territoriale. Ma réflexion se fonde ici sur des exemples amérindiens bien qu’il existe également ce type de réflexion dans des situations relatives

142 À propos de ce rapport affectif, Jean-Paul Lacasse nous dit par ailleurs que « la notion qu’ont les Innus du

territoire découle d’un ordre coutumier concret, qui fait référence aux liens affectifs qu’ils entretiennent la terre. » (Lacasse, 1996 : 189). Il faut également lire le mémoire « présenté dans le cadre d’audiences publiques relatif au projet d’ouverture et d’exploitation d’une mine d’apatite » à Sept-îles, mémoire rédigé par la communauté de Uashat Mak Mani-utenam et dans lequel la relation à « [leur] Nitassinan » est décrite en considérant l’attachement affectif qui lie les Innu à leur territoire.

BUREAU D’AUDIENCE PUBLIQUE SUR L’ENVIRONNEMENT QUEBEC. Nitassinan Innu. Mémoire présenté dans le cadre d’audiences publiques relatif au projet d’ouverture et d’exploitation

d’une mine d’apatie à Setp-îles [En ligne]. Disponible sur

<http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/mine_apatite_sept-iles/documents/DM63P.pdf> (consulté le 20/05/2016)

Toujours en ce sens, Alexandre Surrallès conclue sa conférence sur l’animisme et le droit autochtone du territoire en rappelant que le droit ne peut continuer à opposer le sensible et la raison dès lors que la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones évoque leur « relation spirituelle particulière au territoire » (art. 25).

au continent africain143. Dans sa conférence sur l’animisme et le droit autochtone au

territoire, fondée sur son travail auprès des peuples Candoshi et Shiwilo en Amazonie, Alexandre Surrallès rappelle que les populations Amérindiennes ont une ontologie différente de celle qui fonde les États-Nations issues d’un modèle eurocentré. Pour cela, la notion de souveraineté leur est également différente. Celle-ci correspond à l’idée d’un État exercant un pouvoir suprême sur un territoire désigné, comment la considérer lorsqu’une Première Nation se pense reliée ontologiquement à ce territoire? Surrallès témoigne ici d’expériences de terrain en tant que topographe en Amazonie au cours desquelles il a appuyé des peuples autochtones dans des combats de reconnaissance territoriale. Dans ces cas très concrets de lutte juridique, la relation animiste avec le monde (à savoir « l’attribution de subjectivité aux éléments de l’environnement ») a été utilisée comme argument majeur pour justifier les droits territoriaux. Ainsi, l’article 25 de la déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones144 indique que :

Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu’ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d’assumer leurs responsabilités en la matière à l’égard des générations futures.

Cet argument est par ailleurs repris par les juristes qui s’intéressent et défendent les droits des peuples premiers à occuper et jouir de leur territoires ancestraux. Jean-Paul Lacasse en fait usage à propos de l’usage Innu du Nitassinan. Il rappelle ainsi que l’occupation du territoire innu puise dans une conception traditionnelle de « non propriété » (puisque l’Innu – en tant qu’humain – fait partie du territoire, il est responsable) et qu’elle est pour cela incompatible avec la conception de l’état nation (Lacasse, 1996 : 192).

Par ailleurs, Surrallès explique dans sa conférence qu’en tant que topographe, il a été amené à établir des parallèles entre les mythes des Candoshi et des Shiwilo, la toponymie et les rôles joués par les êtres spirituels dans l’occupation des espaces. Ces informations ont ensuite été reprises comme arguments par des juristes. Et c’est cette articulation entre

143 Je vous renvoie à ce propos au travail de Ken Saro-Wiwa, écrivain et militant écologiste aux côtés des

Ogonis du Nigéria, exécuté en 1995 par le régime Nigérian.

SMITH, Stephen. Ken Sari-Wiwa, Martyr pacifiste de la cause ogoni. Journal Libération. [En ligne]. 13/11/1995. Disponible sur : <http://www.liberation.fr/planete/1995/11/13/ken-saro-wiwa-martyr- pacifiste-de-la-cause-ogoni_149960> (consulté le 02/10/2017)

144 Déclaration des Nations-Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. [En ligne]. 13/09/2007.

Disponible sur : <http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf> (consulté le 10/08/2016)

les mythes, les noms des lieux, et la spiritualité, abondant dans le sens d’une relation particulière au territoire, qui distingue les amérindiens des autres populations et leur donne gain de cause en cas de conflit territoriaux.

On remarque donc ici que le mythe entre en jeu dans la construction d’une souveraineté territoriale. En effet, c’est avec le mythe qu’est validé le rapport au territorial. C’est parce que telle histoire ancestrale fait mention de tel lieu et que ce lieu porte toujours un nom relié au mythe (par exemple celui d’une divinité mise en scène dans ce mythe) que les juristes peuvent prouver concrètement que ce territoire est investi d’une dimension spirituelle. Ce fait me semble essentiel à retenir dans notre étude des textes. En effet, la poésie de Joséphine Bacon, Rita Mestokosho et Natasha Fontaine est création et non pas transcription écrite d’une mythologie ancestrale. Néanmoins, dans ces textes se mêlent également les descriptions des lieux et d’une mythologie. Je souhaite ici lire la poésie comme mode d’occupation du territoire.

Comme les militants Innu coupent des arbres et barricadent des routes, les poètes se saisissent de la poésie. Avec Garnier et Albert j’affirme que la littérature peut être considérée comme « extension ou […] défense d’un territoire, elle est un acte d’occupation. […] Avant d’être défendu par un guerrier, le territoire est constitué par un artiste. » (Garnier, Albert, 2011 : 13).

3.2. La spiritualité, l’artiste, et le territoire

Ce lien entre spiritualité et souveraineté territoriale juridiquement avéré me semble trouver un écho particulier dans le matériel littéraire. Tout d’abord parce que les textes, en tant que récits permettent l’inscription d’un être au monde dans un espace narratif et scriptural. Et ensuite parce que l’idée même de création ouvre de nouveaux territoires. Dans la préface de sa pièce de théâtre Le porteur des peines du monde, le dramaturge Huron Wendat Yves Sioui Durand écrit à ce propos que « le territoire est une notion tout à fait différente de celle que traduit le mot « terrain », le territoire est beaucoup plus vaste; il préside à la liberté́, il en est la mémoire immédiate. Le territoire est le lieu ultime des énergies non domestiquées; il est lieu et refuge. » (Sioui Durand, 1985 : 14).

L’ancrage à la terre originelle se manifeste par la création de chemins inédits. Le territoire n'est pas qu'un décor sur lequel se promène la voix du poète, sans autre contact qu'une horizontalité́ parallèle. Il est, au contraire, un agent du récit qui interagit avec les voix des

poètes, au même titre que tout autre personnage. Il entretient avec ces derniers une relation verticale, et semblable à l'enracinement entremêlé. Yves Sioui Durand nous appelle à lire le territoire au delà̀ de l'espace géographique. Il faut selon moi envisager ces textes comme des espaces privilégiés de déploiement de l'épaisseur symbolique entourant ces « énergies non domestiquées ». Cette dernière expression m’invite particulièrement à penser la dimension spirituelle du texte territoire. Je souhaite le lire comme l’espace d’expression et de performativité d’une spiritualité à rebours des structures coloniales.

3.3. Raconter des histoires, faire pays

Enfin, et parce que je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises, il me semble qu’on ne puisse faire ici l’économie de rappeler combien le récit et l’écriture sont indissociables de la notion de repossession territoriale, au sens où, comme le souligne le chercheur Cree Neil Mc Leod lorsqu’il intitule ainsi un de ses articles, ils permettent de « Com[e] Home trough Stories »145.

Ce lien entre spiritualité et souveraineté territoriale juridiquement avéré me semble en effet trouver un écho particulier dans les textes littéraires.

Documents relatifs