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Tenir compte de l’oral dans l’enseignement (Barrera-Vidal)

6. Réformer l’accord du participe passé

6.1. Réformer l’enseignement de l’accord du participe passé

6.1.1. Tenir compte de l’oral dans l’enseignement (Barrera-Vidal)

principal propos ; j’en présente un éventail dans cette section. On trouve globalement trois types de positions : les auteurs qui proposent de changer la manière dont est enseigné l’accord normatif, les auteurs qui développent des arguments en faveur d’une réforme sans faire de proposition concrète et les auteurs qui proposent concrètement des projets, en raison de leur appartenance à un groupe de travail mandaté pour se pencher sur la question : la Commission Orthographe du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de Belgique.

6.1. Réformer l’enseignement de l’accord du participe passé

Les divers travaux proposant une transformation de la manière dont est enseigné l’accord du participe passé sont d’ampleur inégale, tant dans leur contenu qu’au niveau des réformes qu’ils proposent. Ils sont présentés ci-après dans leur ordre chronologique de parution.

6.1.1. Tenir compte de l’oral dans l’enseignement (Barrera-Vidal)

L’article de Barrera-Vidal : « Faut-il enseigner l'accord du participe passé avec avoir? Quelques observations sur l'accord du participe passé en français parlé » [1967], est le premier à ma connaissance à évaluer la question de l’accord des participes passés à la lumière des pratiques de la langue parlée. Il présente la question d’un point de vue didactique et est destiné à des enseignants du français.

L’article commence par une section nommée « Nécessité d’une description adéquate de l’objet de notre enseignement » [Barrera-Vidal, 1979 : 67]. En effet, selon l’auteur la didactique néglige le fait qu’une langue vivante évolue, et que par conséquent le français moderne évolue lui aussi, exigeant « une révision permanente du point de vue linguistique des contenus langagiers de notre enseignement » [ibid. : 67]. Il va donc commencer par décrire l’objet en question. Il constate que l’accord du participe passé ne concerne que peu l’oral et argumente que l’immense place qui lui est accordée malgré sa portée faible, voire nulle à l’oral témoigne de l’importance qui lui est attribuée, de sa complexité et de l’incertitude des usagers à son propos [ibid. : 67].

Il expose ensuite « la distribution du participe passé » [ibid. : 68]. Le participe peut se rencontrer comme forme verbale isolée, phénomène rare à l’oral [ibid. : 68-69]. Il peut aussi

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se rencontrer dans une forme composée ou surcomposée avec avoir, où l’équivalence sémantique avec le passé simple et le fait qu’à l’oral le participe vient systématiquement après l’auxiliaire font affirmer à l’auteur que dans ce cas le participe passé fait partie intégrante du verbe [ibid. : 69]. Il peut également se trouver dans une forme composée avec

être à la voix active, passive et avec les « pronominaux ». Dans ce dernier cas l’auteur avance

également que le participe passé « ne saurait être dissocié de l’auxiliaire avec lequel il constitue une forme canonique» [ibid. : 70]. On peut enfin trouver des participes sous forme d’adjectifs déverbaux, qui se sont éloignés du verbe de départ et pour lesquels on serait à la limite de l’homonymie adjectif/participe : le participe passé « en tant qu’adjectif qualificatif désigne le résultat d’une action antérieure, cependant que l’adjectif déverbal n’exprime plus qu’une qualité présente, sans que l’on ait besoin de faire intervenir une notion verbale quelconque » [ibid. : 70].

La troisième section de l’article concerne « la morphologie du participe passé » [ibid. : 70] et aborde la question sous l’angle de l’oralité. L’auteur affirme que pour les verbes du premier et deuxième groupe « l’opposition de genre n’est morphologiquement perceptible qu’à l’écrit » [ibid. : 71], ce à quoi on pourrait ajouter « exception faite de certains parlers régionaux ». Seul le 3ème groupe « contient un nombre limité de lexèmes verbaux où un élément consonantique supplémentaire apparaît au féminin, à savoir [z] ou [t] » [ibid. : 71]. Ainsi, pour l’ensemble des verbes, l’opposition de nombre n’existe pas à l’oral20 et l’opposition de genre ne se fait sentir que dans un nombre extrêmement limité de cas. « Pour l’immense majorité des lexèmes verbaux, tout se passe donc comme si à l’oral le p.p. était toujours invariable » [ibid. : 71]. Ce constat, réitéré par Audibert-Gibier [1992] et Blanche-Benveniste [2006], l’auteur affirme qu’il faut le considérer dans l’enseignement : « il faut tenir compte de ce fait avant de passer à la syntaxe, c’est-à-dire au problème d’accord proprement dit » [ibid. : 72], puisque, bien que différents, codes oral et écrit ne sont pas indépendants et s’influencent mutuellement [ibid. : 72].

L’article traite finalement des réalisations des accords à l’oral et livre un premier constat : avec être, on rencontre peu de problèmes (source de problèmes éventuels : sujet

20 On pourrait être plus exact : certaines liaisons pourraient permettre d’entendre une marque morphologique de pluriel mais il s’agit d’un phénomène extrêmement marginal [cf. Blanche-Benveniste, 2006 : 37].

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de genre ambigu, deux sujets de genres différents, oubli du sujet après une pause, accord sylleptique, conflits entre règles) [ibid. : 72]. Second constat : avec avoir, c’est l’invariabilité qui est systématique, ce que de nombreux auteurs auraient déjà signalé ; pour l’auteur, cela serait une règle plus naturelle et serait en accord avec le fait que les formes composées « tendent de plus en plus à constituer, en particulier avec avoir, un ensemble indivisible » [ibid. : 72]. L’article expose alors le double embarras dans lequel se trouve « le locuteur francophone soucieux de « bien parler » » : il jugera fautifs des accords non-normatifs avec

avoir mais il trouvera également bizarre la prononciation normative [ibid. : 73]. Par

conséquent : « Le plus souvent, il rusera en tentant d’éviter le problème, c’est-à-dire en employant un autre type de construction qui n’exige pas l’accord » [ibid. : 73]. On peut ajouter que l’utilisation de cette « stratégie d’évitement » est ouvertement avouée par les usagers, en particulier à l’écrit, et même préconisée par certains enseignants, préférant apparemment que l’on fasse des entorses à la liberté de formulation plutôt qu’à l’orthographe.

En conclusion, l’auteur défend son point de vue sur l’enseignement de l’accord du participe passé, qu’il veut nuancé, à mi-chemin entre un point de vue « puriste » et un point de vue utilitariste et fonctionnel [ibid. : 73]. Selon lui, il ne faut nier ni les tendances de la langue moderne ni la permanence d’une certaine norme qui exerce une pression sur les usagers. Partant, il milite pour un enseignement qui tienne compte de la complexité de la réalité et de l’existence de divers systèmes qui « diffèrent par leur degré de complexité autant que par le prestige social qui leur est associé » [ibid. : 75]. Il faudrait donc commencer par permettre aux élèves la maitrise des « règles primordiales et relativement cohérentes qui s’appliquent dans la conversation de tous les jours : accord avec être, utilisation de construction qui n’exigent pas l’accord du p.p. avec avoir » [ibid. : 73]. Cependant, l’auteur ne défend pas un abandon du reste des règles, mais une acquisition graduelle à mesure que les élèves rencontrent des textes plus élaborés :

il leur sera nécessaire d’acquérir un nombre croissant de nouvelles règles qui les rapprochera progressivement de ce qu’on est bien obligé de considérer, en l’état actuel des choses, comme le « bon usage » [Barrera-Vidal, 1979 : 73]