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Intérêts d’une réforme et précautions à prendre (Béguelin)

6. Réformer l’accord du participe passé

6.2. Réformer la norme de l’accord du participe passé

6.2.1. Intérêts d’une réforme et précautions à prendre (Béguelin)

Dans son article « Faut-il simplifier les règles d'accord du participe passé? » [2002], Marie-José Béguelin offre des éléments de réponse à cette question primordiale, à poser avant même d’envisager une quelconque réponse. Elle commence par exposer le fait que de nombreuses heures d’enseignement sont consacrées à ces règles, pour peu de résultats [Béguelin, 2002 : 164]. De plus, ces règles pourrait causer des dégâts chez les usagers en alimentant chez eux un « sentiment d’insécurité orthographique » et participeraient « à l’image d’une langue sophistiquée, élitaire, vétilleuse ou subtile, selon les points de vue » [ibid. : 164]. L’artificialité des règles et leur manque de fondement linguistique, notamment en ce qui concerne la notion critiquable et critiquée de COD, font s’interroger l’auteure :

A quoi bon inculquer un catéchisme officiel indigeste, truffé d’exceptions et de cas particuliers, si l’on peut démontrer qu’il s’agit d’un montage aléatoire, fait d’additions successives dont le bien-fondé linguistique et la cohérence sont douteux ? [Béguelin, 2002 : 165]

La question est évidemment toute rhétorique et l’auteure semble convaincue de la nécessité d’au moins « reformuler les règles, en introduisant de manière concertée certains amendements ou certaines options » [ibid. : 165]. Quant aux conséquences d’une telle entreprise sur l’enseignement des compléments verbaux, l’auteure en est pleinement consciente et les considère « bienvenu[es] de toute manière » [ibid. : 166]. Mais elle invite tout de même à la prudence puisque paradoxalement « en matière de simplifications de l’orthographe, rien n’est jamais vraiment très simple » [ibid. : 166].

Pour illustrer les difficultés inhérentes aux projets de simplifications orthographiques, l’auteure revient sur les rectifications de 1990. Elle observe que l’idée de « réforme » avait alors effrayé les gens, et même le principe tolérance n’a pas adoucit les réactions, car il a

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également été mal perçu : « comme si le grand public s’attendait à recevoir, en matière d’orthographe, des consignes précises… fût-ce pour en contester bruyamment la teneur et la légitimité » [ibid. : 167]. L’auteure souligne la difficulté intrinsèque de la tâche : il n’est pas aisé d’évaluer l’impact que peut avoir « l’introduction de changements, mêmes minimes, et mêmes formulés comme des options, dans un système graphique comme celui du français » [ibid. : 167]. Les inexorables compromissions qu’une telle entreprise implique a conduit dans le cas des rectifications de 1990 à réintroduire des exceptions dans les nouvelles « règles », ce qui a fortement « réduit l’impact des propositions, tant aux yeux des partisans qu’à ceux des détracteurs d’une évolution de l’orthographe » [ibid. : 167]. Le bilan est donc mitigé : d’un côté la réaction violente dans les médias a créé un obstacle à la promulgation de mesures officielles ; d’un autre côté, il s’agissait de soumettre des variantes à l’usage, et il ne fallait donc pas s’attendre à ce que toutes les propositions soient acceptées. De ce point de vue, l’auteure estime que les résultats ne sont pas si mauvais. [ibid.. 168].

Elle tire de ce bilan plusieurs leçons : le lexique du français se prête mal aux réformes car « l’abaissement du coût de l’encodage entrain[e] un accroissement du coût de décodage » [ibid. : 168-169]. Ainsi, les usagers « seront prompts à brandir des arguments idéologiques ou affectifs parfois affligeants : cela n’exclut pas l’existence, derrière les arguments de façade, de raisons mieux fondées linguistiquement ou pragmatiquement » [ibid. : 169]. L’auteure ajoute qu’il faut tenir compte du facteur de resémiotisation

secondaire : les usagers auront tendance à investir de sens les graphies illogiques, ce qui

serait responsable d’une partie des réticences aux changements, vécus comme une perte de « sens » [ibid. : 170]. Pour toutes ces raisons, l’auteure soutient que le nouveau projet discuté par le Conseil supérieur de la langue française de Belgique25 qui vise plutôt à changer l’orthographe grammaticale est très pertinent : « la portée des règles est plus grande dans ce domaine que dans le cadre du lexique » et il s’agit d’un secteur « plus volontiers considér[é] comme une affaire de spécialistes », contrairement à l’orthographe lexicale pour laquelle « chacun se sent concerné » [ibid. : 170-171].

L’auteure se penche enfin sur la question de l’accord du participe passé et de sa réforme. Elle en rappelle brièvement l’histoire [ibid. : 171-173] et relève la progression de la

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tendance à l’invariation, à l’oral comme à l’écrit, pour les participes conjugués avec avoir mais aussi pour ceux accordés avec être [ibid.. 173]. Elle livre ensuite un commentaire de l’ouvrage de Wilmet Le participe passé autrement présenté à la section précédente (point 6.1.4). La proposition de Wilmet qui s’en tient « grosso modo » aux règles traditionnelles mais avec un discours grammatical rationalisé selon « un principe d’isomorphie entre forme et sens » [Béguelin, 200 :, 174-175] rappelle à Béguelin les tentatives de théorisation de la règle traditionnelle par les générativistes dans les années 1979-1980. Nous avions de notre côté relevé son étonnant parallélisme avec le modèle d’Audet [1997] qui s’inscrit dans le même cadre théorique générativiste. Tout comme ces travaux, la proposition de Wilmet reste assez « autonomiste » par rapport à l’oral [Béguelin, 2002 : 175].

L’auteure présente ensuite les propositions de réforme de 2003 du Conseil supérieur de la langue française de Belgique. Il s’agit d’une version antérieure et légèrement différente de celle qui sera présentée à la section suivante (point 6.2.2), mais étant donné qu’il s’agit de deux versions successives très rapprochées d’un même projet, je ne rapporte pas ici celle donnée par Béguelin. A l’issue de sa présentation de ce projet, l’auteure rappelle que certaines des propositions formulées avaient déjà fait l’objet d’arrêtés ministériels qui sont restés lettres mortes, ce dont elle tire comme leçon qu’il faut avant tout « s’informer aussi précisément que possible sur la situation de l’accord du PP dans le français écrit et parlé d’aujourd’hui » [ibid. : 177], afin de ne pas « interférer » avec ses régularités. L’auteur dresse finalement une liste des précautions à prendre pour mettre en place une réforme de l’accord du participe passé : évaluer la demande du public pour une réforme ainsi que les couts et bénéfices qui seraient engendrés, éviter la hâte et les mesures prises « d’en haut », préparer des documents informatifs et informer les gens à l’avance, et enfin assurer la cohérence avec le reste de la grammaire, qu’il faudra nécessairement revoir [ibid. : 177-178]. Cet inventaire a le mérite de rendre claire l’ampleur de la tâche que représenterait une réforme du participe si l’on veut qu’elle soit réussie. Il s’agit donc d’une entreprise de longue haleine qui demande qu’on lui accorde toutes les précautions qu’y apporte Béguelin dans son article.

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