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Une tendance mondiale à l’augmentation des frais, mais des justifications

CHAPITRE 7 – LEVIER DE FINANCEMENT ET PLAN D’ACTION 153

1.   Une tendance mondiale à l’augmentation des frais, mais des justifications

1.1. Une différenciation nationaux/internationaux de plus en plus fréquente

Depuis les années 1990, de nombreux pays ont augmenté la part des frais de scolarité dans le financement des études supérieures pour l’ensemble des étudiants. Cette évolution s’est généralement accompagnée d’une hausse des aides publiques destinées aux étudiants, pour parvenir à des systèmes dits « high-tuition, high-aid » qui se caractérisent à la fois par des frais de scolarité élevés et par des aides importantes aux étudiants. Aujourd’hui, environ un tiers des pays de l’OCDE voient leurs établissements publics facturer des frais de scolarité moyens supérieurs à 1 500 dollars, quand un autre tiers n’ont pas de frais de scolarité.

Dans ce contexte, de plus en plus de pays de l’OCDE exigent des frais de scolarité plus élevés pour les ressortissants étrangers que pour les étudiants nationaux

(voir Tableau n° 27). La particularité des pays européens est de ne pas distinguer la situation des étudiants nationaux et des ressortissants d’un autre pays de l’UE ou de l’Espace économique européen (Islande, Liechtenstein et Norvège). Un noyau de pays européens conserve une politique de frais de scolarité relativement limités pour les étudiants, qu’ils soient nationaux ou internationaux (Allemagne, Espagne, France, Italie, Suisse).

Chapitre 7

Levier de financement et plan d’action

Tableau n° 27 – Structure des frais de scolarité

Structure des frais de scolarité Pays de l’OCDE et autres pays du G20 Frais de scolarité plus élevés

pour les étudiants en mobilité internationale que pour les ressortissants nationaux

Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Estonie, États-Unis, Irlande, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Russie, Suède, Turquie

Frais de scolarité équivalents pour les étudiants en mobilité internationale et les ressortissants nationaux

Allemagne, Corée, Espagne, France, Italie, Japon, Mexique, Suisse

Pas de frais de scolarité, ni pour les étudiants en mobilité internationale, ni pour les ressortissants nationaux

Finlande, Islande, Norvège

Source : OCDE 201

Cette évolution repose fréquemment sur des justifications « négatives ».

Diminuer les dépenses publiques, une justification peu ambitieuse pour le système d’enseignement supérieur et de recherche

Dans un contexte budgétaire contraint, les États peuvent être amenés à réévaluer l’ampleur et les modalités de leur engagement. L’introduction de frais de scolarité couvrant le coût réel complet des formations peut alors être justifiée, comme en Suède ou au Danemark, par la nécessité de corriger l’injustice supposée qui voudrait que les contribuables nationaux financent les études des étudiants étrangers ne payant pas d’impôts dans le pays où ils étudient. Ainsi, en Suède, le budget de l’enseignement supérieur a diminué du montant estimé du coût des étudiants internationaux pour les finances publiques.

La fixation du montant des frais de scolarité selon une logique de marché – c’est-à-dire pouvant excéder le coût réel de la formation – correspond le plus souvent à un modèle impliquant un fort désengagement de l’État et à un besoin pour les institutions d’enseignement supérieur de dégager de nouvelles sources de revenus pour compenser les pertes en financement public, comme c’est le cas au Royaume-Uni (sauf Écosse) et en Australie.

Diminuer le nombre d’étudiants internationaux accueillis, une justification à contre-courant des objectifs de politique publique en France

Les frais de scolarité peuvent également être un outil pour diminuer le nombre d’étudiants internationaux dans un système d’enseignement supérieur, et, en parallèle

avec une politique de bourses adéquate, pour sélectionner davantage les étudiants accueillis. En Suède, le nombre d’étudiants internationaux en mobilité individuelle a été multiplié par 5 entre 2001 et 2011, ce qui a provoqué des tensions importantes sur les finances publiques, ainsi que sur le nombre de places ouvertes aux étudiants nationaux dans certains cursus. Aujourd’hui, la Suède se fixe pour objectif de ramener le nombre d’étudiants internationaux dans son système d’enseignement supérieur à 50 % de l’effectif antérieur à l’introduction des frais de scolarité, en 2011.

Mettre en place un marché efficient, une justification qui peine à convaincre

La fixation de frais de scolarité peut correspondre à la volonté des pouvoirs publics de transformer le secteur de l’enseignement supérieur en marché classique de biens et de services. Une telle logique est fréquemment associée à une diminution du financement direct des universités par l’État, parfois remplacé par un système de prêts aux étudiants garantis par l’État pour les étudiants nationaux et par une autonomie renforcée des établissements. Il en est généralement attendu une meilleure efficacité du système. Les établissements contraints à la concurrence adapteraient leur offre de formation à la demande des étudiants. L’obligation de proposer le meilleur service au prix le plus avantageux entraînerait également une optimisation de la gestion des ressources financières. Une telle logique suppose la mise en place d’un système d’assurance-qualité efficace afin de fournir aux étudiants les informations nécessaires à leur choix, comme c’est le cas au Royaume-Uni (QAA) et en Australie (AQF). De tels systèmes doivent permettre aux prix de refléter la qualité réelle des formations proposées. Cette vision idéalisée ne se concrétise pas dans les pays où le secteur de l’enseignement supérieur a été dérégulé1. En effet, le prix que les étudiants consentent à acquitter pour leur formation est déterminé par des éléments qui vont à l’encontre des règles d’un marché concurrentiel. Il entre en compte des enjeux de réputation et de statut qui peuvent conduire à des situations de quasi-monopoles. En raison d’un nombre de places limité, et pour préserver leur « marque », les établissements les plus réputés ne peuvent ni ne souhaitent satisfaire intégralement la demande qui leur est adressée.

En outre, à mesure que la compétition s’intensifie sur le marché de l’enseignement supérieur, une proportion croissante des ressources est utilisée pour améliorer les services aux étudiants, facteur déterminant du choix des « clients », plutôt que pour améliorer l’enseignement et la recherche2. En définitive, si plusieurs pays ont justifié l’augmentation des frais de scolarité par cette logique, les impacts sont difficiles à apprécier et un certain nombre d’effets pervers apparaissent à terme, qui tiennent à la

(1) Marginson S. (2013), « The impossibility of capitalist markets in higher education », Journal of Education Policy, 28 (3), p. 353-370.

(2) Brown R. (2014), « Implications of the United Kingdom’s market-based reform », Higher Education Forum, vol. 11, mars.

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nature même du secteur de l’enseignement supérieur, difficilement compatible avec une logique de marché poussée à l’extrême.

Une différenciation préalable à une augmentation générale des frais, une justification qui avance à pas masqués

La quête d’un marché plus efficient fait également des frais de scolarité pour les étudiants internationaux un levier essentiel pour viser à terme une augmentation similaire pour les étudiants nationaux. Les cas australien et britannique incitent à penser de façon dynamique l’évolution des politiques de tarification : au développement de frais de scolarité pour les étudiants internationaux a succédé l’instauration de frais pour les étudiants nationaux, jusqu’à l’augmentation au coût complet des études, donc sans différenciation entre les ressortissants étrangers et les nationaux. Cette évolution révèle le glissement dans les justifications données à cette hausse des frais, du souhait de limiter les dépenses publiques à la quête d’une régulation plus efficace des prix par les mécanismes de marché.

1.2. L’utilisation des ressources additionnelles, seule justification pertinente

Les trois justifications précédentes ne correspondent pas au cas français. Il paraît

difficile de penser l’augmentation des frais de scolarité comme un instrument de diminution des dépenses publiques, à l’heure où l’éducation reste une priorité nationale. De même, il existe un consensus pour considérer que l’internationalisation des établis- sements est nécessaire et que la France n’accueille pas trop d’étudiants internationaux sur son territoire.

En cas d’augmentation des frais de scolarité des étudiants internationaux, l’idée que les nouvelles ressources pourraient servir à l’amélioration du système d’enseignement supérieur et de recherche n’est pas toujours mise en avant, et encore moins souvent mise en œuvre. Sur le long terme, ces nouvelles ressources

peuvent pourtant être mobilisées pour divers usages :

− améliorer les services rendus aux étudiants internationaux. C’est notamment le cas dans une logique marchande, qui suppose d’attirer des effectifs importants d’étudiants internationaux grâce à une qualité de service irréprochable. Il est d’ailleurs attendu que le coût des formations serve de signal de qualité sur le marché ;

− financer des bourses, dans une logique d’influence et de développement. Dans un système avec frais de scolarité, les bourses permettent de mener une politique plus substantielle d’accessibilité financière, en attirant des niveaux d’études et des spécialités de formation spécifiques. Il est même envisageable de diriger les bourses vers certains pays d’origine. Couplés avec un tel système, les frais de scolarité

peuvent devenir un outil de sélection des étudiants internationaux en fonction des priorités stratégiques des pays en termes de niveau, de spécialité et d’origine ;

− être réinvesties dans des infrastructures au bénéfice de l’ensemble des

étudiants ou, au sein d’un budget global, pour des actions à destination des

étudiants nationaux (y compris bourses et services). Cette utilisation s’inscrit plutôt dans une logique d’amélioration de la qualité du système local d’enseignement supérieur ;

− financer d’autres formes d’internationalisation, notamment les formations françaises à l’étranger ou une offre numérique ambitieuse. Cela permettrait de dynamiser l’attraction d’étudiants internationaux vers la France ;

− financer des programmes de promotion de la mobilité sortante des étudiants

français, par des dispositifs de bourses. Un objectif de doublement du nombre

d’étudiants français ayant effectué un séjour à l’étranger, comme l’ont fait d’autres pays et comme le préconisent le rapport Quelle France dans dix ? et le rapport de la StraNES1, pourrait être fixé, tout en ciblant davantage les étudiants d’origine modeste grâce à des bourses sur critères sociaux.