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Le secret médical est devenu une règle de droit en France dès la promulgation du Code Napoléon le 22 février 1810 : l'article 378 du Code pénal donne un fondement légal au secret médical. Le nouveau Code déontologique, décret gouvernemental publié au Journal officiel le 8 septembre 1995 (décret n° 95-100 du 06-09-1995), a valeur réglementaire et s'impose à tous les médecins en exercice ainsi qu'à tout étudiant en médecine effectuant des remplacements. L'article 4 du Code déontologique des médecins précise :

Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin, dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire, non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.

En matière de sida, les garanties juridiques de l'anonymat existent, mais elles rencontrent parfois des difficultés pratiques difficilement contournables, comme l'existence de services de soins spécialisés dans le VIH :

"Toutes les déclarations obligatoires des cas de sida, les enquêtes

épidémiologiques, les dossiers d'expérimentation de médicaments sont couverts par un strict anonymat et/ou des codages permettant d'éviter la rupture du secret.

On devra être particulièrement attentif dans la protection du secret vis-à-vis de l'entourage familial, qui n'est pas toujours au courant du diagnostic et ne peut, en tout

cas, en être informé que par le patient lui-même. Il en est de même pour les recherches de renseignements par les compagnies d'assurance.

On se heurte parfois, sur ce point, à une impossibilité lorsqu'il s'agit de services spécialisés, ne prenant en charge que la seule pathologie VIH et où toute hospitalisation ou toute ordonnance émanant d'un tel service équivaut à un diagnostic ouvert" (Jaubert, 1998 : 120).

Dans le même ordre d'idées, mais cantonné aux professionnels de la santé, on peut faire allusion à la circulation, plus ou moins contrôlée, plus ou moins délibérée, d'informations sur un patient VIH+ au sein même d'un milieu médical :

"Au fur et à mesure que se complexifient les prises en charge, les risques de

dérives d'une communication mal conduite par l'entourage ne sont pas négligeables. Ils mettent en évidence la marginalisation des personnes en tant qu'acteurs (leur destitution). Elles sont progressivement exclues des échanges les concernant. Elles ne sont plus les filtres qu'elles devraient être. De sujets elles deviennent objets. D'autres fins s'opposent à celles qui devraient viser directement leur projet de vie.

Prenons l'exemple de la rapidité et de la facilité avec lesquelles se répand entre les professionnels la rumeur d'une contamination d'un patient par le VIH"(Gibert,

médecin de santé publique à Saint-Denis, 1996 : 115).

Notre but ici est non seulement d'insister sur le rôle-clé du médecin du travail dans la sauvegarde du secret médical, mais aussi de voir plus précisément comment ce rôle est présenté dans le Code déontologique de 1995. Quant au nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, il fait référence au secret professionnel mais sans viser spécifiquement les médecins : toute référence à l'exercice médical y est supprimée, la notion de secret médical se diluant dans une notion plus générale de secret professionnel. L'évolution législative sur la question est marquée par la profusion de textes dérogatoires. Les règles du secret admises naguère semblent se réduire, sans doute en raison de la tendance des sociétés occidentales à associer démocratie et transparence, ce qui produit un fort impact socioculturel, y compris en matière de droit. Le recul des frontières du secret médical doit être mis en parallèle avec l'injonction généralisée pour plus de transparence : "le conflit latent intérêt général / intérêt privé semble faire primer

de plus en plus l'intérêt général sur le privé, ce qui n'est pas dénué de conséquences pour le secret" (pour un bref historique du secret médical et social en France, voir M.

Thurial, 1998 : 139-151).

En ce qui concerne le cas particulier du sida, il faut considérer plusieurs dimensions. D'abord, "le sida a fait évoluer le secret, et à l'inverse du cancer où souvent

la famille est la première informée et le patient en second, avec parfois un vérité partielle, le patient atteint du sida est le premier averti". Ensuite, "l'information des proches fait l'objet d'une demande au patient, laquelle est même parfois écrite sous la

forme d'un formulaire de consentement et d'identification des personnes autorisées à recevoir des informations sur l'état du malade" (M. Thurial, 1998 : 143-144).

À cela s'ajoutent bien sûr l'idée de mort, toujours associée au sida malgré les progrès thérapeutiques, et le fait que l'annonce du diagnostic du sida est souvent révélateur d'une forme de transgression sociale. Cela a des conséquences sur les équipes soignantes ou sur la médecine du travail : "Il y a le poids du secret, cacher un cancer à

une famille n'est pas comme cacher un sida, surtout dans le cas d'un couple. Il faut préparer le mensonge avec le malade : le secret devient "enfermant" pour le personnel. Mentir est parfois un calvaire devant l'amour d'une mère. Les équipes sont dans le "non-dit" permanent ainsi que les malades. Respecter le secret est source d'un profond dilemme chez le soignant" (M. Thurial, 1998 : 144).

On peut penser néanmoins que ce dilemme se pose différemment pour le médecin du travail, dans la mesure où il n'est en principe en contact ni avec la famille ni avec l'entourage immédiat de la personne séropositive. Certes le poids du secret subsiste, notamment en cas de conflits ou d'usures sur le lieu de travail, mais son "mensonge" ne porte pas à conséquences en matière de liens affectifs. Ne pas le dire, outre l'application d'un principe déontologique, consiste ici à respecter la confidentialité d'une information qui pourrait se retourner contre le salarié si elle était diffusée à travers le milieu de travail. Le dilemme ne se pose donc que dans des situations particulières de rumeurs malveillantes, où le médecin du travail est pris entre deux feux : d'un côté veiller à la bonne marche d'un service et ne pas laisser s'installer un élément de crispation et de discorde ; de l'autre empêcher qu'un salarié soit stigmatisé pour telle ou telle raison (être un tire-au-flanc, se retrouver fréquemment absent ou encore éviter le "sale boulot" en bénéficiant d'un changement de poste, d'un aménagement ou d'une réduction du temps de travail).