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4.2. La médecine du travail : un acteur encore peu sollicité

4.2.1. À quoi sert la médecine du travail ?

Dès l'origine, la médecine du travail s'est constituée à partir d'une mission préventive. Si la situation a semblé évoluer dans le sens d'une meilleure mobilisation de la profession en faveur de la prévention du VIH, cette action préventive demeure aujourd'hui à un niveau faible : les médecins du travail s'en tiennent au mieux à une information minimale. La plupart sont réticents à s'impliquer dans ce domaine, soit qu'ils

considèrent que ce n'est pas leur mission, soit qu'ils se réfugient derrière les consignes en vigueur au sein de l'entreprise.

Les grandes entreprises, à travers leur service autonome de médecine du travail (qui comporte des médecins, des infirmières et des assistantes sociales ayant reçu une formation spécifique), doivent en principe mener une politique de prévention auprès de leur personnel : leur mission préventive ne se limite pas aux maladies professionnelles mais touche à tous les grands problèmes de santé publique. Quant aux petites entreprises (celles qui ne dépassent pas les cinquante employés), elles doivent être nécessairement rattachées à un cabinet inter-entreprises de groupe, auquel est dévolue la même mission de santé publique.

Prévention du sida et sensibilisation aux problèmes des salariés séropositifs constituent un élément, parmi d'autres, d'une politique d'éducation à la santé qui peut permettre de diffuser au sein du personnel une "culture d'entreprise". Cette notion rattachée à l'idée même de GRH consiste à assurer un mieux-être à la fois professionnel et personnel : le principe d'une forte solidarité du groupe de travail y est mis en avant.

Le médecin est salarié de l'entreprise (et donc payé directement par l'employeur ou par une association d'employeurs de type loi de 1901 – il s'agit alors d'un centre inter- entreprises). Sa présence est imposée par la loi.

La législation sociale prévoit une visite annuelle obligatoire au cours de laquelle le médecin prononce "l'aptitude", "l'aptitude sous réserves d'examens complémentaires", "l'inaptitude temporaire" ou "définitive" pour un type de travail. Le médecin doit procéder aux examens cliniques et biologiques ainsi qu'aux examens des conditions de travail. S'il doit voir réglementairement chaque salarié en visite médicale au minimum une fois par an, cette obligation est cependant de moins en moins respectée, d'une part parce que les médecins du travail ne sont pas assez nombreux (à l'heure actuelle, on en compte pour la France entière 6.400), d'autre part parce de plus en plus de salariés y échappent, étant donné la multiplication des contrats de travail précaires et/ou atypiques4.

Il faut ajouter que les médecins du travail "n'ont que la capacité de proposer et

ne décident rien, mais s'ils n'ont et n'auront jamais le pouvoir de décision, ils doivent chercher à posséder l'autorité nécessaire pour que leurs avis soient pris en compte"

(Seillan, 1991 : 53).

Une des tensions principales de la médecine du travail vient de la frontière floue entre les notions d'aptitude et d'inaptitude. À ce sujet, M. Letourneux et J. F. Caillard (1991 : 18) font remarquer que les médecins du travail adoptent fréquemment une position favorable à l'aptitude : "quitte à accepter une adéquation imparfaite entre le

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À côté de certains secteurs professionnels où les employés se rendent assez régulièrement aux convocations de la médecine du travail, d'autres – notamment ceux qui ont souvent recours à un personnel temporaire, ou à des intermittents dans le domaine du spectacle – ont des taux de réponse aux convocations (en principe obligatoires) extrêmement bas. Cet absentéisme n'a pas de conséquence sur l'activité des personnes en situation d'emploi précaire, puisque dans ce cas

salarié et son poste de travail, le médecin du travail choisit en pratique de préserver l'emploi".

Ceci apparaît également dans l'analyse de N. Dodier (1991 : 92): "En s'alignant

sur les aspirations du salarié, en suivant ses demandes, notamment en matière de reclassement, le médecin évite d'induire des frustrations chez le salarié. Dans ce schéma, la demande du salarié ne peut pas être, par principe, contradictoire avec la santé, puisque c'est le respect de ses aspirations qui devient l'élément déterminant".

La difficulté existe dès le départ, puisque "la législation sur la médecine du

travail ne précise pas la notion d'aptitude. Elle se contente de l'évoquer. Le médecin du travail est donc conduit à apprécier au cas par cas" (Seillan, 1991 : 52). Le médecin du

travail peut certes émettre un avis d'aptitude partielle à un poste de travail, mais "l'aptitude partielle vaut inaptitude", comme le précise H. Seillan (1991 : 54). Il n'a pas à notifier les motifs de l'inaptitude constatée, mais cet avis a un tel impact sur l'existence d'un salarié que la réflexion se révèle souvent délicate.

Selon le contexte, le médecin du travail peut représenter deux extrêmes : tantôt un garde-fou pour l'employé "mal vu" ou "mal noté" dont l'employeur veut se débarrasser, tantôt une autorité médicale qui exclut le salarié du monde du travail. Celui- ci peut difficilement dans ce dernier cas éviter d'y voir une sanction. Bien sûr, il n'est pas rare que l'avis d'inaptitude soit accepté sereinement par l'employé : la perte de l'activité professionnelle ne donne pas toujours lieu à des litiges et n'est pas ressentie forcément comme une brimade. Nous avons même entendu des médecins du travail parler de retraits volontaires, ce que corroborent certains témoignages de notre enquête. Ce serait donner une image déformée du médecin du travail que de présenter systématiquement sa fonction dans un cadre conflictuel.

Mais à l'opposé, il est impossible d'ignorer les multiples tensions dont le médecin du travail est l'un des réceptacles. Ce n'est pas un hasard si le ministère de l'Emploi et de la Solidarité a fait récemment des propositions de réforme de la médecine du travail. Le conseil supérieur de la prévention a pris l'engagement d'accroître le recrutement de médecins du travail, dont les sources se tarissent. Les syndicats, le patronat et le gouvernement ont signé un accord pour mener une réforme d'ordre réglementaire et non pas législative. Les difficultés concrètes de fonctionnement de la médecine du travail ont été ainsi mises au grand jour, en particulier celles qui tiennent à la gestion de la précarité dans les entreprises.