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tellement simples qu'on ne les voit pas, fit-il observer » (GM, p 146) À l'opposé, dans Le Cœur de la baleine bleue, c'est lorsqu'Élise quitte Noël que ce dernier ne

parvient plus à écrire son histoire et que les mots ne viennent plus. L'intervention de quelqu'un de moins impliqué est donc nécessaire pour que les mots reviennent. Cependant, lorsque cet autre sort de la vie du personnage principal, les mots n'arrivent plus. Le contact de l'autre est donc essentiel pour que l'interaction avec les mots se poursuive.

Conclusion

Dans l'œuvre de Jacques Poulin, à chaque fois qu'un problème de

communication survient, le romancier s'assure de bien faire remarquer au lecteur ces « défauts » de la communication, de bien les mettre en évidence, parfois

même de les commenter. Chaque roman s'organise autour de ce « problème » — qui devient un élément central de l'œuvre — grâce auquel le personnage affirme sa présence au monde et surtout entre en contact avec autrui. D'une certaine façon, le personnage n'est attiré que par les individus qui partagent avec lui cette attention extrême aux ratés du langage, aux difficultés de toute communication. Dans ces livres, chaque interaction, peu importe sa nature, n'a de sens et de valeur que si elle est problématique, que si elle oblige le lecteur à s'arrêter au langage comme à un instrument à la fois extrêmement précis et toujours plus ou moins inadéquat. Poulin met volontairement en scène son héros dans toute sa fragilité, avec ses insuffisances et ses faiblesses. Il s'agit d'un héros qui trébuche sur les mots et qui, bien souvent, interprète mal les signes que les autres tentent de lui envoyer. Ces difficultés à s'exprimer et même à comprendre rendent périlleux le moindre des dialogues, qui menace de tourner court ou, au contraire, de dériver vers on ne sait quel brouillard. Les problèmes de communication se retrouvent donc à être au cœur des préoccupations des héros qui tentent, tant bien que mal,

de contrer ces difficultés, ne serait-ce qu'en les rendant explicites. Ce faisant, le

lecteur est appelé à devenir le témoin privilégié des multiples formes que revêt Gincommunicabilité.

Ces problèmes langagiers sont présentés bien souvent à travers une idylle

momentanée qui devient l'objet du récit. Ces amours ou ces amitiés de passage

naissent d'une rencontre fortuite au tout début du roman. Il faut noter que dans ces œuvres, il n'y ajamáis de grandes passions enflammées ou d'histoire d'amour où

les sentiments aveuglent les personnages. On nous présente toujours des amitiés

qui se transforment en un type d'amour surtout caractérisé par de la tendresse et du bien-être. Ces relations évoluent au fil du récit, se modifient et se concluent alors que ces êtres qui s'étaient croisés par hasard repartent chacun de leur côté, poursuivant leur chemin dans des directions opposées, retournant peut-être à leur

vie initiale.

Chaque roman raconte ainsi moins une intrigue qu'une série d'interactions

problématiques, lesquelles se défont brusquement à la fin. Le départ de l'autre

marque aussi la fin d'un dialogue et renvoie le personnage principal au vide de sa

parole solitaire. En fait, pour le héros, la fin de la parole de l'autre constitue sa propre mort, comme l'explique Giacomo Bonsignore :

Ce qui cause en définitive la fin du héros, c'est le passage du plan dialogique au plan monologique. C'est quand il s'arrête de parler à quelqu'un, que sa parole n'est plus reçue et que sa recherche de lui-même s'achève, que le personnage poulinien devient un être résigné, muet. Nous voyons aussi que son sort coïncide avec les limites de la parole de l'auteur. L'existence de ces personnages dans la fiction, liée à leurs mots, l'est aussi et surtout à la parole de leur créateur. Ils ne vivent que sous sa plume. Le

récit terminé, c'est leur fin. La fiction se trouve ainsi dénoncée. Son

existence n'était que poétique. Elle était essentiellement l'œuvre d'un écrivain, de quelqu'un qui écrit, qui invente, mais qui, surtout, produit cette « magie » qu'est la parole, une parole libre et propice à toutes les

« pariertes » pour autant qu'elle instaure la recherche de soi-même et des autres et qu'elle exclut la solitude de l'unique.86

En somme, la fin du dialogue met fin à toute possibilité d'interaction, car ces héros ont besoin du dialogue et de la parole d'autrui. C'est pourquoi le départ de

l'autre coïncide avec la fin de la fiction. Toutefois, c'est également à travers les finales de ses romans que Poulin atteint une intensité dramatique rarement

présente au cœur du récit, obligeant le lecteur à interpréter rétroactivement celui- ci.

Les conclusions pouliniennes sont en effet d'un grand intérêt. Il faut noter que la plupart de ces romans se terminent sur une image forte : l'explosion du

héros à l'aide de la bombe destinée à des fins terroristes et qui fait finalement éclater sa carapace (MCPR), la dérive d'un chalet sur pilotis avec ses occupants

qui se trouvent à l'intérieur, métaphore qui représente la dérive de la famille, ainsi que le cri de détresse incompris d'un enfant qui ne demande que de la tendresse et de l'attention (J), le rejet du cœur du héros symbolisé par une explosion à la grenade (CBB), l'abandon du héros par tout son entourage (FBR), l'expulsion du

héros de l'île où il habitait et le présage de son éventuelle pétrification (GM), la découverte d'un frère paralysé et amnésique au terme d'un très long voyage (VB)

ou encore la révélation que le personnage de la femme « aimée » et espérée n'était que le fruit de l'imagination du héros, qu'une simple projection de ses désirs ou que la part féminine de lui-même (VC). En fait, la plupart des finales pouliniennes sont surprenantes, comme le note Ginette Michaud :

Ces images sont l'un des lieux textuels où le lecteur se rend peut-être le mieux compte de la double pesée qui s'exerce sur ces romans : celle, d'une part, de la tradition romanesque qui consiste à vouloir conclure par une

image forte de préférence et celle, d'autre part, d'un nouveau modèle de narration qui cherche à laisser la fin aussi ouverte que possible, « suspendue » entre plusieurs interprétations. Le fait demeure que le lecteur ne peut que rester perplexe devant ses images hybrides, médusé par elles, ne sachant plus quelle signification — réaliste? symbolique? onirique? — leur conférer. Il y a, en tout cas, en elles quelque chose d'angoissant, de menaçant même, qui a pour effet deparalyser le lecteur à son tour.87

La force de ces images finales ne tient pas tant à ce qu'elles révèlent la cohérence jusque-là cachée du roman, mais plutôt qu'elles l'ouvrent au contraire de façon inattendue, révélant la part d'énigme qui lui était consubstantielle. Le lecteur est donc placé devant une œuvre délibérément inachevée, ce qui laisse beaucoup de place aux interprétations. Ainsi, cet inachèvement devient un des signes particuliers de l'écriture poulinienne.

Cela dit, un changement marquant s'opère dans les quatre derniers romans publiés. Poulin abandonne désormais ces finales fortes qui caractérisaient jusque- là son œuvre. Les romans les plus récents ne se terminent ni sur une image

saisissante, ni sur une ouverture qui laisse place à l'interprétation. Le lecteur se

retrouve devant des fins plus attendues et surtout plus « positives », tournées vers

l'espoir. Par exemple, La Tournée d'automne se conclut par le désir exprimé par le Chauffeur de faire une autre tournée avec Marie avec qui il poursuit sa relation amoureuse. Chat sauvage se termine pour sa part par la prise en charge de la