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Telenovelas : un produit de qualité ?

Ce bilan historique des telenovelas, tout en faisant ressortir le renouvellement progressif du langage et du contenu des fictions, démontre l’émergence du débat à propos de la qualité et l’évolution de ce concept dans le contexte télévisuel brésilien. Toutefois, il est intéressant de constater que nous pouvons reconnaître de nombreux traits au sein des récits qui les confirment comme produit de qualité, tout en identifiant des contradictions à cette affirmation. Ceci s’explique par la complexité de l’objet d’étude, un produit commercial converti en symbole culturel du pays, qui suscite des interprétations disparates et polarise la discussion passionnante et passionnée autour de ce thème depuis son émergence.

44 Désormais, les récits se complexifient par l’articulation d’éléments narratifs « dispersés sur diverses

plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée » (Jenkins 2006, p.20).

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Pour effectuer cette étude, nous mobiliserons principalement la pensée de Geoff Mulgan, pour qui la qualité télévisuelle est un ensemble composé par divers aspects qualitatifs, agencés en harmonie avec le contexte social d’où le média est issu pour « refléter ses expériences, ses plaisirs et problèmes, ses idées et sa compréhension du monde, ses différences et similarités » (Mulgan 1990, p.8). À cet égard, les sept critères de qualité qu’il propose portent autant sur les objectifs de la société que sur la nature du média et de ses récepteurs, impliquant une tension inévitable au sein de cette diversité de significations (ibid.). Bien que son analyse traite de la totalité de la programmation télévisuelle et non seulement d’un programme, la catégorisation de Mulgan oriente tout de même la réflexion sur les récits, et ce, pour leur qualité de production, de marketing, esthétique, pédagogique, politique, écologique, de leur rôle dans la valorisation des différences et du multiculturalisme et, finalement, du renouvellement des expériences qu’ils représentent.

Dans le cas des telenovelas, le Label Globo de qualité assure la qualité de la production et des professionnels autant par des investissements en technologie et en innovation, que par la préservation de son cadre d’auteurs, réalisateurs et comédiens. La mise en application de cette convention par Globo rejoint un des aspects de la conception de la qualité soulevés par Buonnano (2004). Selon l’auteure, la qualité de la fiction se mesure par l’expertise technique et culturelle de tous les professionnels (techniques, administratifs et créatifs) d’une production. De plus, Buonanno ajoute que la qualité est aussi évaluée par rapport à l’incorporation de caractéristiques culturelles, aux produits télévisuels, qui sont typiques de la société à laquelle ils s’adressent, et ce, en réponse aux demandes d’un marché interne. Son analyse soulève deux facteurs importants à l’examen et au jugement de qualité des fictions brésiliennes: l’adaptation des récits à leur contexte social, puis le rapport entre l’offre et la demande.

L’appropriation nationale du genre est, comme nous l’avons vu, la principale caractéristique des telenovelas brésiliennes, qui ont su intégrer le quotidien et les enjeux du Brésil et rester à l’écoute des demandes du public. Par ailleurs, cette adaptation a été l’aspect qui a converti les récits en figure centrale de la culture et de l’identité du pays (OBITEL 2011, p. 179), tout en se distinguant d’autres modèles fictionnels (notamment les modèles américains). Cela explique probablement la primauté des fictions nationales au Brésil.

L’intégration d’éléments réalistes aux intrigues provoque également la réorganisation de la structure mélodramatique des telenovelas, mobilisant le spectateur par une double logique. D’un côté par les processus d’identification et d’engagement émotionnel, favorisé par le mélodrame et, de l’autre, par l’effet de réel, favorisé par l’analogie entre l’univers diégétique et extradiégétique (Murakami 2013). Ainsi, l’auditoire reçoit les représentations véhiculées par les trames comme étant des références à partir desquelles il construit ses significations idéales comme « femme », « homme », « pauvre », « riche », « famille », etc. (Lopes 2009, p.23). Cependant, la réalité portée à l’écran ne reflétait pas et ne reflète pas exactement celle du pays. Cette discordance entre la réalité diégétique et extradiégétique peut donc déclencher la dispersion de fausses idées. Par exemple, l’idée d’inclusion sociale qui, en réalité, n’est possible seulement que par la consommation (Lopes 2003, p.25 ; Hamburger 2005, p.71). Aussi, celle de la mobilité sociale, réalisée dans les récits par le mariage ou par mérite, est un changement souvent inatteignable (Hamburger 2005, p.25). En revanche, l’incorporation de thèmes contemporains et sociaux aux récits éveille la discussion des problématiques et de polémiques par le public qui, dans un certain sens, se confronte aux mêmes enjeux dans son quotidien. La pratique favorise donc l’exercice de la citoyenneté par le spectateur, principalement par la mobilisation qu’il doit faire de ses propres expériences et connaissances pour valider ou remettre en question son point de vue avec les autres interlocuteurs. Si quelques auteurs rejettent cette forme de citoyenneté pour insinuer qu’il ne s’agit que d’un exercice imaginaire, Garcia Canclini (1995, p.26) légitime ce type d’activité culturelle et sociale en expliquant que, de nos jours, la pratique de la citoyenneté se déplace vers la consommation, notamment la consommation des médias audiovisuels.

Les récits facilitent également la pratique de la citoyenneté à travers l’appel à la mobilisation sociale que cette mise en récit des enjeux du pays suscite. Par exemple, le cas de Anos Rebeldes ou encore lorsque les Brésiliens ont été encouragés à la participer à des campagnes sociales à travers des intrigues, tel que mentionné précédemment. Cette médiation de l’éducation par les fictions, à travers des actions pédagogiques explicites (Lopes 2009, p.33), s’est avérée, quelques fois, être un instrument puissant de transformation sociale45. Cela, en dépit de la critique de certains auteurs pour qui cette envie d’incorporer une dimension

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constructive à la télévision privilégie un contenu didactique au détriment d’une bonne dramaturgie (Hamburger 2004).

L’appropriation nationale des telenovelas corrobore une des fonctions de la télévision comme étant de rendre disponible à la collectivité un répertoire dont l’accès était auparavant exclusif à une portion de la société, soit l’école, l’église, le parti politique et l’État (Lopes 2003, p.18; Mulgan 1990, p.20). Plus particulièrement, les récits traduisent cette information de façon didactique à l’auditoire. Par contre, il est important de souligner la lutte de pouvoir derrière cette apparente démocratisation de l’information. Si, d’un côté, les auteurs essayent de contribuer à la création d’une société plus égalitaire et multiculturelle à travers des messages socioéducatifs, de l’autre côté les intérêts de la télévision commerciale, souvent partiellement contrôlée par l’État, déterminent les limites de ce qui sera montré. À la veille de l’anniversaire de 50 ans de Rede Globo, et malgré l’évolution du langage des récits, les tensions politiques à l’intérieur du média demeurent les mêmes qu’auparavant. De plus, cette démocratisation de l’information provient des intentions commerciales de la chaîne et des commanditaires, qui cherchent constamment à élargir le marché de consommateurs.

Finalement, la conformité de l’objet fictionnel aux demandes de son public ainsi que la capacité d’actualiser cette correspondance au fil des années, illustre ce que Mulgan appelle la qualité du consommateur et du marché. Les producteurs des telenovelas au Brésil, notamment Rede Globo, ont traduit les attentes des téléspectateurs tout en gardant le but initial des produits : l’incitation à la consommation. C’est donc par la reproduction des comportements et du mode de vie des personnages que le public répond à cet appel. Dans les rues du pays, il n’est pas rare de retrouver, dans les vitrines, les accessoires ou les vêtements portés par les personnages de la telenovela la plus récente. Ils inspirent également le décor des maisons, les coupes et les couleurs de cheveux.