Chapitre I - Etat de l’art: Toitures végétalisées, services écosystémiques et Technosol
Partie 2 : Technosol : conception, propriétés et évolution
I. Technosol : Définition et domaine d’application
I.1. Définition et terminologie
Le sol, terme couramment utilisé, a été défini de manière variée en science du sol. Cette variété reflète
les évolutions et avancées dans la compréhension de ce milieu complexe ainsi que les volontés
scientifiques d’intégration de nouvelles problématiques tel que l’impact de l’homme. Pour ces travaux,
nous définirons un sol « naturel » comme l’interface entre la lithosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère
et la biosphère. Celui-ci est le résultat de l’interaction entre des composantes biotiques et abiotiques
aboutissant à son organisation en horizon suite à la pédogénèse du matériel de surface terrestre (IUSS
Working Group WRB 2014). Il vise à assurer des fonctions primordiales de support de végétation, de
biodiversité et de filtre (Séré 2007). De manière à définir, comparer et regrouper les différents types de
sols existants, de nombreux référentiels de classification des sols, poursuivant différents objectifs,
existent tel que l’USDA Soil Taxonomy ou le référentiel WRB (Word Reference Base for soil
ressources). Parmi ces classifications, le WRB est la seule à être reconnue comme la classification
officielle de standard taxonomique des types de sols par l’Union Internationale de la science du Sol
(IUSS).
Initialement peu étudiés, les sols anthropisés, tel que les sols urbains, ont été reconnu comme une
catégorie de sol à part entière à partir de 2005 au sein du WRB. Cette reconnaissance fait suite à la
création d’un groupe de travail dédié au sein de l’IUSS sur les SUITMA : « Soils in Urban, Industrial,
Traffic, Mining and military Areas ». Les SUITMA se différencient de sol « naturel » par (i) leurs
compositions hétérogènes, (ii) la présence de matériaux grossiers et anthropiques (brique, béton,
asphalte) et (iii) la présence potentielle de contaminants (Morel et al. 2014). Ils sont le fruit de processus
anthropiques tel que : le mélange de matériaux, la compaction, l’excavation ou l’apport (volontaire ou
non) de matériaux anthropiques. Dans une étude portant sur les SUITMA et leurs fonctionnalités au
regard des services écosystémiques rendus, Morel et al. (2014) proposent de distinguer 4 catégories de
sols anthropisés (voir Figure 8) :
- Sols pseudos naturels
- Sols construits
- Sols de dépôts
- Sols imperméabilisés
Figure 8 : Proposition de groupe de SUITMA au regard de leurs potentiels en tant que support de végétation.
Figure issue de l’article : (Morel et al. 2014). Crédit photo : Florentin, Huot, Morel, Nehls, Schwartz et Séré.
En parallèle de la reconnaissance des sols anthropisés, en 2006, la notion de Technosol a été introduite
au sein du WRB. Contrairement au SUITMA, cette catégorie fait référence à des caractéristiques
pédologiques tandis que les SUITMAs se raccrochent au fonctionnement d’un écosystème donné (Morel
et al. 2014). Le terme Technosol regroupe l’ensemble des sols dont les propriétés sont dominées et issues
pour tout ou partie de l’activité humaine et dont les matériaux sont d’origine technogéniques (i.e :
processus ou substances créées par la technologie humaine) (Rossiter 2007; IUSS Working Group WRB
2014). Un Technosol est défini au travers soit (i) de la présence de plus de 20% (en volume ou poids
moyen) d’artefacts (i.e. : matériel construit ou substantiellement modifié par l'homme lors d'activité
industrielle ou artisanale) dans les 100 premiers centimètres du sol, soit (2) par la présence d’une
membrane presque continue de type géo-membrane ; soit (3) par la présence de matériaux techniques
durs. Différents qualificateurs sont utilisés (Ekranic, Linic, Urbic etc.). Dans le cas de Technosol
présents sur une toiture végétalisée, ceux-ci peuvent être qualifiés d’Isolatic Technosol (IUSS Working
Group WRB 2014) comme cela a pu être utilisé par d’autres auteurs (Bouzouidja et al. 2016) bien que
le qualificatif de Technosol soit pour le moment peu employé dans le domaine des toitures végétalisées.
I.2. Conception de Technosol productif en toiture : à l’intersection de trois domaines de
recherches
La construction de sol dans le cadre d’une toiture productive fait appel aux connaissances et concepts
de différents domaines de recherches. Trois domaines de recherches sont concernés : (i) l’horticulture,
(ii) les toitures végétalisées et (iii) le génie pédologique. Ces domaines sont liés car ils abordent des
problématiques communes autour du choix des matériaux parentaux, du mélange et de l’évolution de
ces derniers dans un objectif de végétalisation, mais, ils se différencient nettement par le type de système
végétalisé concerné, l’échelle d’étude, ses contraintes, les méthodes d’implantations et les concepts
mobilisés.
Dans le cas d’une toiture productive, des connaissances en provenance de trois domaines peuvent être
mobilisées. En horticulture, de nombreux articles traitent depuis les années 1950 de production
végétale sur support de culture (Baker, 1957 dans Harada et al. 2017; Abad et al. 2001; Clark and
Cavigelli 2005; Carlile et al. 2015). Toutefois, ces connaissances ne peuvent pas être retranscrites et
réutilisées directement pour plusieurs raisons. Par exemple, les besoins nutritifs en horticulture sont dans
la majorité des cas pensés à l’échelle d’un cycle de culture et via une fertilisation externe. Par ailleurs,
alors que de multiples services écosystémiques sont attendus d’une toiture végétalisées, il est
principalement attendu d’un substrat de culture de maximiser la production de biomasse. Dans le
domaine des toitures végétalisées, l’immense majorité des articles porte sur des toitures extensives et
une faible partie concerne les sols comme nous l’avons montré en introduction (voir Figure 6). Dans
ces articles, les substrats sont conçus comme légers et drainants pour limiter la charge en toiture ainsi
que peu riche en nutriments car adaptés à des plantes grasses de types sédum. Au niveau de la
construction de sol, la prise en compte de contraintes telles que le passage de véhicule (pour des pieds
d’arbres), les besoins en éléments nutritifs ou la possibilité de mettre en place une épaisseur de sol
importante (>50/100cm) ne rendent pas directement utilisables les résultats de certaines recherches.
L’étude des toitures végétalisées mobilise en général des concepts en provenance du domaine de
l’horticulture et plus rarement de science du sol. Dans leurs articles, Caron et al. (2015), plaident ainsi,
dans le cas de support de culture organique, pour l’adaptation de concepts de science du sol. Ils mettent
en avant les différences existantes entre un sol (majoritairement minéral) et un support de culture
(majoritairement organique) au niveau (i) de leurs propriétés : teneur en carbone organique, composition
biochimique, masse volumique apparente, impédance, porosité etc. et (ii) de l’impact de leurs
manipulations (mélanges de matériaux parentaux par exemple) et/ou de leurs conditionnements (en pot
ou non). Le type de contenant utilisé dans le cas d’un support de culture va par exemple, influencer sa
teneur en eau et sa conductivité hydraulique. Le potentiel de rétention en eau sur le haut d’un substrat
dans un contenant est ainsi corrélé négativement à son épaisseur. Ces différences et adaptations de
concept montrent que l’étude d’un Technosol productif nécessite l’adaptation de concept de différents
domaines (principalement de science du sol et horticulture) au vu notamment de la multifonctionnalité
attendue de ces toitures.
Cette diversité des domaines de recherche traitant de la question des sols construits se retranscrit par les
différents termes utilisés pour désigner le substrat de culture (i.e. le matériel qui permet à la plante de
grandir, qui est le lieu de développement de son système racinaire et lui fournit l’ensemble des
nutriments, de l’air et de l’eau dont elle a besoin). En horticulture, les termes “substrate”(Ingelmo et al.
1998), “rooting medium” (Raviv et al. 1998) ou “growing medium” (Olle et al. 2012) sont utilisés. Au
niveau des toitures végétalisées, les qualificatifs “substrate” (Nagase and Dunnett 2011), “growing
medium” (Graceson et al. 2014b) ou “green roof media” (Olszewski and Young 2011) ou plus rarement
“Technosol” (Ondoño et al. 2014) sont employés. Tandis qu’en science du sol ou dans le domaine du
génie pédologique, les termes “Technosol” ou “constructed Technosol” (Séré et al. 2010) sont
couramment utilisés. Dans le cadre de cette thèse, le terme Technosol sera le plus couramment employé
mais l’ensemble des autres termes seront considérés comme synonyme de celui-ci.
Dans le document
Des Technosols construits à partir de produits résiduaires urbains : services écosystémiques fournis et évolution
(Page 55-58)