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Technologies, techniques ou outils de gestion ?

Section 1 Pas de gestion sans outils

1. Les outils de gestion dans l‟histoire des Sciences de gestion

1.2 Technologies, techniques ou outils de gestion ?

2.1 Rationalité économique et management scientifique

2.2 Les outils de gestion comme formalisation de l‟action collective

Section 2 L’instrumentation spécifique du projet : le management de projet 1 La figure du projet

1.1 Histoire du mot « projet » : entre praxis et téléologie 1.2 Vers une vision humaniste du projet

2 De l‟improvisation à l‟instrumentation de la gestion de projet 2.1 Un demi-siècle d‟histoire du management de projet 2.2 Une pluralité de définitions du projet

2.3 Management de projet et gestion de projet

Section 3 Comment gérer les risques dans un projet ? 1 Vers une définition probabiliste du risque

1.1 L‟apparition récente du mot « risque » 1.2 Le futur, objet de connaissance ?

1.3 Le risque : une question de probabilité objective ou subjective 2 La problématique du risque dans les projet

2.1 Définition et typologie des risques d‟un projet

2.2 Démarche de management des risques dans les projets Conclusion du chapitre 1

Il est difficile d‟évoquer le management d‟une entreprise ou d‟une administration sans lui associer un ensemble d‟outils de gestion. L‟enseignement de la gestion est relativement récent et revêt une double dimension scientifique et technologique. Dans une optique instrumentale, l‟outil de gestion sert à rationaliser le travail du gestionnaire. Il n‟y a pas de gestion sans outils comme le montre l‟histoire des Sciences de gestion.

L‟activité projet est une activité particulière qui nécessite dans l‟organisation une instrumentation spécifique. L‟histoire du management de projet nous permet de comprendre comment l‟improvisation a laissé la place à la conception de la démarche rationnelle et des outils standards de la gestion de projet. Le projet introduit de la nouveauté. Le risque est donc inhérent au projet. Des outils et des méthodes spécifiques ont été développés pour le maîtriser.

Dans une perspective instrumentale, les outils de gestion de projet servent à rationaliser le travail sans se préoccuper du point de vue de l‟utilisateur : le mythe gestionnaire de la rationalité (March, 1999) justifie la croyance que l‟appropriation va de soi.

La première section est centrée sur les dimensions artefactuelle et rationnelle des outils de gestion : le statut de l‟outil de gestion est celui d‟un outil de travail assurant la régulation technique de l‟organisation. La seconde section est consacrée à une catégorie particulière d‟outils de gestion, les outils de gestion de projets. Le management de projet se superpose au management global de l‟organisation. De nombreux chercheurs ont mis l‟accent sur son caractère fortement contingent. Dans la troisième section, nous montrons que le risque est une notion récente et que la vision moderne du risque se réfère au concept de probabilité. Nous empruntons à Courtot (1998) son analyse de la gestion du risque dans les projets.

Section 1 Pas de gestion sans outils

Peaucelle (2003) attribue à Fayol la paternité du concept d‟outil de gestion sous l‟expression d‟outillage administratif, « un ensemble de documents qui renseignent le chef et lui permettent en toutes circonstances de prendre des décisions en connaissance de cause » (Fayol, 1923). La définition proposée par Moisdon (1997) n‟est guère éloignée : les outils de gestion constituent « un ensemble de raisonnements et de connaissances […] destiné à instruire les divers actes classiques de la gestion, que l‟on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler » (p.7).

Les Sciences de gestion produisent des artefacts pour faciliter le travail intellectuel de gestion en introduisant la rationalité dans la conduite des organisations. La fonction de l‟outil

de gestion est de rationaliser le travail grâce à une formalisation de l‟action collective. Fayol dans l‟administration et Taylor dans la production ont été les premiers à expliciter une démarche scientifique fondée sur la rationalisation des activités. L‟histoire des entreprises peut alors être appréhendée comme une histoire des techniques de gestion résultant des vagues successives de rationalisation en contrôle de gestion : introduction des coûts standards aux Etats-Unis dans les années 20 du siècle dernier, des budgets dans les années 30, plus récemment tableau de bord prospectif, méthode ABC, etc. L‟effort de conception de nouveaux outils s‟est accompagné d‟une sophistication croissante liée à l‟informatisation de la gestion des organisations.

Nous abordons dans le premier paragraphe la dimension scientifique et la nature artefactuelle des outils de gestion à travers une double lecture de l‟histoire des Sciences de gestion. Le second paragraphe montre que l‟outil de gestion en formalisant l‟action collective devient un élément structurant de l‟organisation.

1. Les outils de gestion dans l’histoire des Sciences de gestion

L‟activité gestionnaire n‟est pas récente et est liée à l‟histoire des organisations alors que l‟enseignement de la gestion ne s‟est développé qu‟au XXe siècle dans les lycées, les universités, les écoles de gestion ainsi que dans les écoles d‟ingénieurs. Cet enseignement figure comme enseignement technologique par opposition aux matières de l‟enseignement général. Qu‟enseigne-t-on ? De quoi s‟agit-il : une technologie ou des techniques de gestion ? La gestion semble à la fois connue du grand public et fort méconnue. Elle est souvent confondue et même réduite à la comptabilité. Les outils de gestion s‟inscrivent dans l‟histoire des Sciences de gestion ; une approche historique est utile pour comprendre la nature et la genèse des outils de gestion (Nikitin, 1997).

Niktin (2003) reprend la datation de Cheyssel et Pavis (2001) : l‟appellation Sciences de Gestion serait née en mai ou juin 1969. Elle est pérennisée dans l‟enseignement supérieur au niveau des diplômes et des laboratoires de recherche. Nikitin situe la création des premières écoles de commerce dans les années 1870 tandis que la discipline de gestion n‟est pas encore introduite dans les universités. L‟évolution des vocables est intéressante car elle marque l‟introduction de la dimension scientifique : écoles dans les années 1970 et 1980, instituts dans les années 1900 puis écoles de sciences commerciales après 1910. L‟ESSEC ou Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales a été créée en 1913.

Nous emprunterons à Nikitin (2003) et Hatchuel (2000) leur analyse complémentaire de l‟histoire des sciences de gestion : passage d‟une science des affaires aux sciences de gestion chez le premier, passage progressif d‟un projet éducatif à un projet scientifique original chez le second.

1.1. Une Science de l’artificiel

L‟histoire des sciences de gestion est relativement récente. Nikitin (2003) décrit le passage d‟une science des affaires aux Sciences de Gestion. La science des affaires avant le XIX e siècle concernait les affaires au sens juridique du terme, la gestion des biens fonciers, des contrats de mariage, des successions. Le terme de science correspondait à la connaissance ordinaire, sans caractère de scientificité. Ce n‟est qu‟à la fin du XIX e siècle qu‟apparaît véritablement une science des affaires fondée sur l‟idée d‟introduire de la rationalité dans l‟administration et l‟organisation du travail. Nikitin cite les publications de Gérard-Joseph Christian en 1919 (Vues sur le système général des opérations industrielles, ou plan de technonomie), de Jean-Gustave Courcelle-Seneuil en 1855 (Manuel des affaires) et d‟Adolphe Guilbault en 1877 (Traité d’économie industrielle. Etude préliminaire, organisation et conduite des entreprises). Si ces trois auteurs « affirment la nécessité d‟introduire de la rationalité dans la gestion des entreprises », leur objectif n‟est pas de créer une nouvelle science au sens moderne du terme. Nikitin fait référence à deux autres ouvrages : La science des affaires publié en 1919 par Mosselmans dont « deux paragraphes seulement sont véritablement consacrés à la science des affaires » (p.71) et Les seize axiomes de la nouvelle science des affaires publié par Herbert Casson en 1919 dont l‟objectif est considéré comme « particulièrement ambitieux » (p.72) ; en effet, Nikitin cite Casson : « A partir du moment où nous serons en mesure de formuler d‟avance l‟issue d‟un cas donné, nous pourrons dire que notre connaissance est scientifique » (p.72). Mais la faiblesse théorique des écoles de gestion de l‟époque explique les difficultés à construire une science.

Nikitin s‟interroge même sur le statut des sciences de gestion. Les sciences exactes ne peuvent pas servir de modèle comme le montrent les tentatives de construction d‟une science des affaires. Cependant quelques gardes fou peuvent éviter les dérives : l‟existence d‟une communauté universitaire, l‟observation des pratiques et la confrontation avec des théories, la réflexion épistémologique, la recherche historique (Nikitin, 2003).

Hatchuel (2000) analyse les différentes étapes du développement des sciences de gestion en identifiant les transformations successives de son projet. Sa contribution permet d‟éclairer également sur le pluriel du mot science dans le vocable sciences de gestion.

La première étape de 1900 à 1939 est constituée par un projet pédagogique. Les premiers auteurs, Taylor et Fayol étaient des industriels. Le texte de Pierre Pezeu (1918) reprend la doctrine de Taylor et la complète par une morale de « bon chef ». Pierre Joly (1933) vise quant à lui à professionnaliser la fonction de dirigeant et préconise la méthode des cas pour préparer aux affaires.

Dans la seconde étape de 1947 à 1965, le projet devient un projet d‟ingénierie et connaît un éclatement dans des spécialités professionnelles différentes. Les premiers manuels universitaires en témoignent. Dès lors, le développement du champ de la gestion est pensé comme un perfectionnement continu des techniques et s‟accompagne d‟une professionnalisation accrue dans les différents domaines (marketing, finance, comptabilité etc.).

Mais en devenant une discipline « carrefour », la période suivante est fortement marquée par des interrogations sur les fondements des sciences de gestion : quel est son objet, quel est le statut de ses techniques et leur efficacité ? Les questions épistémologiques ont concerné les différents paradigmes de recherche (positivisme, interprétativisme, constuctivisme) dans les années 70. Cette période est donc fortement marquée par des interrogations sur les fondements des sciences de gestion et un regain d‟intérêt pour les approches épistémologiques. De plus, les méthodes de recherche qualitatives ont mis en évidence la nécessité de prendre en compte les savoirs des acteurs et ont favorisé le développement de théories de l‟apprentissage collectif. : « [Ces approches] ont attiré l‟attention sur la dynamique des savoirs dans les entreprises et donc sur la capacité de celles-ci à réinventer leur fonctionnement » (Hatchuel, 2000, p. 12).

A partir de 1975, d‟importantes transformations ont eu lieu dans les entreprises. « Les doctrines de « l‟apprentissage collectif » se sont donc développées conjointement à un mouvement profond de reconstruction des entreprises : un mouvement qui s‟accompagne de

« rationalisations » inédites et fortement déstabilisantes puisqu‟elles visent les processus de régénération des compétences et les processus de conception de l‟entreprise » (Hatchuel, 2000, p. 12 ).

Hatchuel nous invite à réfléchir sur les fondements des sciences de gestion et suggère de ne plus considérer les sciences de gestion comme un carrefour pluridisciplinaire « où se

croisent de multiples courants ». Il nous propose de voir l‟objet des sciences de gestion comme « une théorie axiomatique et généalogique de l‟action collective » dans laquelle l‟entreprise est une forme artefactuelle de vie collective. La théorie de l‟action collective ne se résume ni à un principe totalisateur « qui explique le cours de l‟action collective mais dont on ne sait pas comment il est mobilisé » ni à un sujet totalisateur « qui déterminerait l‟action collective à lui seul » (p. 20). La théorie axiomatique repose sur le principe de non-séparabilité entre savoir et relation : « une relation est donc à la fois un savoir sur ce qui relie des acteurs et une condition pesant sur les savoirs détenus par chacun » (p.33). Dans cette optique l‟histoire des entreprises n‟est pas analysée comme la mise en œuvre d‟une rationalité absolue et universelle mais comme une généalogie des processus de rationalisation de l‟action collective. En s‟appuyant sur les travaux de recherche dans le domaine de la genèse des techniques, Hatchuel souligne le lien existant entre les techniques et les rationalisations de l‟action collective : « Les techniques ne peuvent être produites par des collectifs humains que dans la mesure, et dans la mesure seulement, des rationalisations de l‟action collective dont ils sont capables » (p.23). Le développement des techniques est donc la conséquence des rationalisations passées ou la cause de l‟apparition d‟un nouveau modèle de l‟action collective.

Les techniques de gestion et les objets de gestion ne sont par conséquent que des formes de rationalisation collective. Mais s‟agit-il de techniques, de technologies ou d‟outils de gestion ?

1.2 Technologies, techniques ou outils de gestion ?

La gestion est enseignée dans les lycées dans les classes STG (Sciences et technologies de gestion) anciennement dénommées STT (Sciences et technologies tertiaires).

Outre le fait de mettre l‟accent sur la spécificité des activités de gestion par rapport aux activités tertiaires, la nouvelle appellation conserve le terme de technologie. Dans le cadre de l‟Université, le diplôme de licence ne fait référence qu‟aux Sciences de gestion et le diplôme du DUT (Diplôme universitaire de technologie) est délivré dans un IUT (Institut universitaire de technologie). La gestion revêt donc actuellement un double caractère scientifique et technologique.

Quel est le sens du mot technologie ? Quel est son rapport avec les sciences et avec la technique ? Ne faudrait-il pas dire plutôt les techniques ? Logos signifie science et technê signifie art. La signification anglaise du mot technology l‟appréhende comme « sciences

appliquées » tandis que l‟acception française lui préfère parfois le sens d‟étude de la technique.

Une revue de littérature non exhaustive nous permet de retenir deux approches de la technologie :

 l‟approche technique et scientifique : la technologie est un modèle de résolution de problèmes. Selon Ribault et al. (1991), la technologie est un ensemble de connaissances appartenant à plusieurs disciplines, de moyens humains, matériels, financiers et de savoirs-faire permettant de valoriser les connaissances.

 l‟approche stratégique : la technologie est considérée comme une ressource pouvant générer un avantage concurrentiel (Porter, 1986).

Ces deux approches ne sont pas exclusives l‟une de l‟autre : les innovations technologiques générées par les diverses sciences s‟insèrent dans les différentes fonctions de l‟entreprise et contribuent à créer de la valeur ce qui procure un avantage stratégique.

Le caractère stratégique de la technologie justifie la gestion des technologies nouvelles, indissociables de la notion de risque. Plus l‟innovation est forte, plus le risque est important.

Ce risque est lié à l‟incomplétude des informations relatives aux impacts de la nouvelle technologie. Les évolutions technologiques peuvent être gérées en considérant :

le positionnement des technologies : la technologie suit une courbe de vie en S. Toute technologie a une limite : quels que soient les investissements réalisés, son efficacité tend vers une limite. Cela rend nécessaire de gérer les discontinuités technologiques.

la prévision des ruptures technologiques par une méthode intuitive pratiquée auprès d‟experts et/ou par une méthode matricielle croisant deux critères, par exemple l‟opportunité de technologies (avis des experts sur les gains potentiels, les performances supplémentaires, les risques encourus, les investissements nécessaires) et l‟opportunité de marché (les besoins des clients, les marges potentielles).

En considérant la technologie comme étude des techniques, nous pouvons remarquer que les techniques de gestion sont à rattacher à un champ d‟étude plus large incluant d‟autres techniques utilisées dans les organisations comme les techniques de production.

L‟apprentissage de la gestion porte sur un ensemble de techniques de gestion qui évoluent dans le temps et dans l‟espace. De Vaujany (2005) oppose l‟entreprise point familiale, d‟implantation locale, fonctionnant avec peu d‟outils de gestion et l‟entreprise institutionnelle,

basée sur l‟actionnariat, d‟implantation internationale, caractérisée par l‟abondance d‟outils produits en partie par de multiples parties prenantes externes. Nous assistons par ailleurs comme dans les technologies industrielles à un renouvellement des techniques de gestion. Par exemple, la comptabilité par activités est venue concurrencer la méthode des centres d‟analyse dans le calcul des coûts complets. Plusieurs de ces innovations managériales ont fait l‟objet de publications scientifiques : les coûts standards (Zimnovitch, 1996), les budgets (Berland, 1997), le tableau de bord prospectif (Kaplan et Norton, 2001), le bilan sociétal (Capron, 2003), la comptabilité par activité (Nikitin, 2000 ; Alcouffe, Berland et Levant, 2003 ; Godowski, 2003 etc.).

La diversité terminologique contenue à la fois dans les discours des managers comme dans les travaux des chercheurs et des enseignants souligne l‟ambiguïté des concepts : technique ou outil de gestion ? Instrument, instrumentation : quel terme retenir ? Gilbert (1998) utilise le terme « instrumentation » dans la double acception de contenu et de processus. Le dictionnaire électronique Trésor de la Langue française Informatisé (2009) définit l‟outil comme « objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d‟une forme et de propriétés adaptées à un procès de production déterminé et permettant de transformer l‟objet de travail selon un but fixé ». Cette définition met l‟accent sur l‟idée qu‟il s‟agit d‟un artefact possédant des propriétés qui le rendent fonctionnel pour réaliser un certain travail. Ce sens apparaît dès 1174 très nettement : « objet fabriqué qui sert à faire un travail ». Au sens figuré, un outil est un « moyen, ce qui permet d‟obtenir un résultat, d‟agir sur quelque chose » et le terme « instrument » est un synonyme. Le mot « outil » nous place donc d‟emblée dans une perspective instrumentale et le travail dont il est question est un travail de gestion.

En quoi consiste l‟activité gestionnaire ? Le Dictionnaire de la langue française Le Petit Robert (1993) définit le management comme « ensemble de connaissances concernant l‟organisation et la gestion d‟une entreprise » et comme « application de ces connaissances » servant à manager c'est-à-dire à « administrer, conduire, gérer, organiser ». Cette définition est à rapprocher de celle de la gestion, « science de l‟administration, de la direction d‟une organisation et de ses différentes fonctions ».

Notre intention n‟est pas d‟entrer dans le débat portant sur la question de savoir si la gestion est un art ou une science. Mais l‟histoire de la gestion nous apprend que la concurrence entre les firmes liée à la recherche du profit maximum pousse à rationaliser le

travail. Les techniques de gestion sont selon Hatchuel des conséquences des rationalisations passées de l‟action collective ou bien des causes de nouveaux modèles d‟action collective.

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