• Aucun résultat trouvé

Section 1 Pas de gestion sans outils

2. Outils de gestion et action collective

Enseigner la gestion dans le contexte scolaire et universitaire, c‟est souvent enseigner des outils comme s‟il s‟agissait d‟objets naturels, allant de soi : ils sont évidents puisque rationnels et la rationalité est supposée universelle. L‟utilisation de techniques mathématiques ne peut que renforcer la croyance d‟une rationalité naturelle de l‟activité gestionnaire.

Selon Nikitin (2003), « l‟idée d‟introduire une démarche rationnelle et scientifique dans la conduite des entreprises remonte, au moins, au début du XIXe siècle » (p.69). Ce qui explique l‟apparition d‟une science des affaires est « l‟évolution de la taille des firmes, entraînant une plus grande division du travail et une réflexion sur l‟organisation des usines et des bureaux » (p.68).

Le premier paragraphe rappelle que la rationalité économique est un élément fondamental de notre réalité économique et qu‟elle est liée à la division du travail. Comment diviser le travail tout en assurant l‟intégration des différentes activités et la cohésion de l‟organisation ? Le second paragraphe montre que l‟outil de gestion est un artefact conçu pour simplifier le travail de chacun et apporter des réponses. Il en résulte qu‟en formalisant l‟action collective, il normalise les comportements et a un effet structurant dans l‟organisation.

2.1 Rationalité économique et management scientifique

La recherche de rationalité est liée à l‟histoire des firmes engagées dans la recherche de productivité dans les activités de production et dans les activités administratives.

L'importance de la division du travail a été soulignée dès 1776 par un économiste classique, Adam Smith (1723-1790) dans l‟exemple d‟une manufacture d‟épingles. La division du travail y est associée à la rationalité économique (Smith, 1776).

Taylor (1856-1915) poursuivra dans cette voie qu'il nomme organisation scientifique du travail (OST) caractérisée notamment par l‟observation et le chronométrage des tâches, la décomposition des gestes des opérateurs et la détermination des temps standards nécessaires à la réalisation d‟une tâche (Livian, 2001).

Fayol, contemporain de Taylor élabora sa théorie d‟une science administrative vers 1890. Elle comprend les cinq « éléments d‟administration » : planifier, organiser (« munir l'entreprise de tout ce qui est utile à son fonctionnement »), commander (« faire fonctionner le corps social

»), coordonner (« mettre l'harmonie entre tous les actes de l'entreprise »), contrôler (« vérifier que tout se passe conformément au programme adopté, aux ordres donnés, aux principes admis », et signaler « les fautes et les erreurs afin qu'on puisse réparer et en éviter le retour »).

L‟« outillage administratif » est constitué des outils de gestion servant à planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler.

Le principe de la division du travail est donc présent chez Taylor et chez Fayol, les deux grands précurseurs des sciences de gestion. Ce principe obéit à la rationalité économique. Le concept de rationalité s‟ancre dans la microéconomie qui suppose que le comportement du consommateur et du producteur sont rationnels c'est-à-dire qu‟ils cherchent à maximiser leur utilité. La recherche de l‟optimum suppose que l‟information soit gratuite et permette de faire des choix efficients.

Est rationnelle l‟action ou la décision « qui repose sur les raisons objectivement les meilleures » (Boudon, 1990, p. 54). Weber (1956) définit la technique rationnelle comme

« mise en œuvre de moyens orientés intentionnellement et méthodiquement en fonctions d‟expériences, de réflexions et -en poussant la rationalité à son plus haut degré- de considérations scientifiques ». (Weber, 1956, p.104). « Un des critères de la rationalité d‟une technique est aussi le célèbre principe du « moindre effort », c'est-à-dire du rendement optimum par rapport aux moyens à mettre en œuvre » (Weber, p.105). « Une technique ainsi comprise existe dans toute activité » (Weber, p.105). Nous pouvons considérer l‟outil de gestion comme une technique au sens de Weber : une technique sert à économiser les moyens dans un certain but selon le principe du moindre effort.

Dans une perspective instrumentale, l‟apprentissage de la gestion pourrait se résumer dans l‟acquisition de ces techniques rationnelles qui permettent d‟optimiser les choix. Les pères fondateurs des sciences de gestion, Taylor et Fayol, ont contribué à la rationalisation des activités de production et des activités administratives. Les outils de gestion constituent ainsi les outils de travail du gestionnaire travaillant dans une organisation : en explicitant ce que chacun doit faire et comment le faire, ils formalisent l‟action collective.

2.2 Les outils de gestion comme formalisation de l’action collective

L‟histoire des outils de gestion est relativement récente comme celle de son enseignement : peu d‟outils sont présents dans l‟entreprise-point de la théorie néo-classique

tandis que qu‟ils se multiplient dans l‟entreprise institutionnelle (de Vaujany, 2005). Le gouvernement par les instruments tend à se généraliser (Lascoumes et Le Gales, 2004) car l‟esprit gestionnaire est dans l‟air du temps (Ogien, 1995). La notion d‟outil de gestion est abordée sous des dénominations différentes (instruments de gestion, instrumentation, machines de gestion, dispositifs de gestion, appareils gestionnaires, innovations managériales etc.). Les définitions qui sont retenues par ces chercheurs mettent l‟accent sur la formalisation et sur l‟action. Moisdon (1997) définit l‟outil de gestion comme« toute formalisation de l‟activité organisée », David (1998, p.44) comme « tout dispositif formalisé permettant l‟action organisée ».

Parmi toutes les organisations, l‟entreprise a été particulièrement étudiée par les Sciences de gestion. « L‟entreprise n‟a pas l‟apanage de l‟action collective réfléchie et l‟on pense aussi activement dans une famille ou dans un couvent » (Hatchuel, 2000, p.17). Mais dans l‟entreprise, des ressources sont consacrées aux activités d‟étude, de conception et de recherche. Il en résulte que « « l‟entreprise » n‟est donc pas une classe particulière de phénomènes collectifs, mais plutôt l‟une des formes la plus universelle de l‟action collective » […]. Les Sciences de gestion […] doivent donc penser la forme la plus artefactuelle de l‟action collective » (p. 17). L‟entreprise est une organisation qui n‟admet pas de définition naturelle, l‟entreprise est artificielle. Simon (2004) étudie les sciences de l‟artificiel comme sciences de la conception et il définit le mot artificiel « dans son sens le plus neutre possible : fait par l‟homme, par opposition à naturel » (p. 30).

Si la nature de l‟entreprise est artefactuelle, dans une vision de l‟action organisée réfléchie, ce n‟est pas le hasard qui guide l‟action. L‟action collective exige de diviser le travail et de le coordonner de façon à ce que les actions individuelles convergent vers l‟action collective. L‟outil de gestion, dans une approche fonctionnaliste, est la médiation permettant de réussir cette différenciation/intégration dans une organisation. L‟outil va dire comment s‟y prendre pour atteindre les objectifs : il prescrit une méthode. Dans cette optique instrumentale, l‟outil de gestion est un outil pour organiser le travail de façon logique et rationnelle (de Vaujany, 2005). Plusieurs chercheurs se focalisent sur le caractère médiatisé de l‟activité humaine (Vygotski, 1934-1985 ; Dewey, 1967-1993). La théorie instrumentale de Lorino (2002) reprend l‟idée que toute activité est médiatisée par l‟outil. Fayol l‟avait pressenti puisque, comparant l‟outil de gestion à l‟outil physique qui facilite le travail physique, « l‟outillage administratif » aide aux tâches intellectuelles de gestion par leur dimension formatrice (Fayol, 1916). Berry (1983) a également souligné la nécessité des

instruments de gestion comme une évidence parce « la conduite des grandes organisations dépasse les capacités d‟un homme » (p. 3).

L‟outil en tant qu‟artefact fournit une représentation symbolique de la réalité et dans une approche positiviste, « représentationniste » et « computationnelle », il permet d‟objectiver l‟action subjective (Lorino, 2002). L‟outil de gestion est par conséquent un artefact qui formalise l‟action collective et permet de faire face à la complexité des situations de gestion en explicitant l‟activité gestionnaire et en facilitant le travail intellectuel. Wallace Clark (1930) explique par exemple « à quoi servent les formules » : il s‟agit de documents, imprimés de bureau ou d‟atelier tels que les bons de travail, les demandes d‟achat, les bons de réparation etc. qui « donnent les instructions relatives à ce qui doit être fait ou bien enregistrent ce qui a été fait ».

Plusieurs chercheurs ont mis l‟accent sur le caractère structurant de la formalisation.

Davis (1986) définit la structure organisationnelle comme l‟arrangement des sous-systèmes d‟une organisation et la division de la main d‟œuvre dans une hiérarchie de relations d‟autorité. Davis distingue quatre composantes de la structure organisationnelle : la hiérarchie d‟autorité, la spécialisation, la formalisation et la centralisation. La structure peut être définie comme « la somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches». C‟est pourquoi l‟outil s‟inscrit dans les structures de l‟entreprise (Martinet, 1984).

Formaliser c‟est donc structurer l‟organisation et « le degré de formalisation peut être vu comme l‟étendue des règles et des procédures qui régissent les activités organisationnelles ». Le degré de formalisation permet de dresser des typologies des organisations. Les organisations diffèrent dans leur structure en fonction de leur besoin d‟échanges d‟information. Le degré de formalisation est un élément qui distingue notamment la structure « bureaucratique » de la structure « organique ». Max Weber (1864-1920) a étudié le fonctionnement des bureaucraties ; celles-ci sont caractérisées par un fort degré de formalisation et par une spécialisation importante.

Mintzberg (2002) identifie cinq configurations organisationnelles : la structure simple, la bureaucratie industrielle, la bureaucratie professionnelle, la décomposition en divisions et l‟adhocratie (p. 267-405). La structure simple est caractérisée par l‟absence de normalisation et de formalisation du comportement ; la coordination y est assurée par contrôle direct du sommet stratégique. Dans la bureaucratie industrielle, la coordination est garantie par la normalisation du travail et par une forte formalisation. Dans la bureaucratie professionnelle, la

coordination est réalisée par la normalisation des compétences et une faible formalisation.

Dans la structure en divisions, chaque division tend vers la bureaucratie industrielle et la direction générale impose ses propres normes par le système de contrôle de la performance.

Dans l‟adhocratie, l‟adaptation mutuelle facilite la coordination et la formalisation des comportements est faible. Seules la structure simple et l‟adhocratie sont des structures

« organiques », les trois autres sont des structures « bureaucratiques ».

SYNTHESE de la section 1 : Pas de gestion sans outils

Il n‟y a pas de gestion sans outils comme nous le montre l‟histoire des Sciences de gestion. Nikitin (2003) décrit le passage d‟une Science des affaires aux Sciences de gestion en mettant l‟accent sur l‟introduction d‟une dimension scientifique dans la gestion. Hatchuel (2000) se focalise sur la nature artefactuelle des outils de gestion. Les outils de gestion sont des artefacts conçus pour introduire la rationalité dans la conduite des organisations : ils sont le résultat des rationalisations successives.

Faut-il parler de technologies, de techniques ou d‟outils de gestion ? Une technologie est à la fois technique et scientifique. L‟histoire des outils de gestion peut être rattachée à l‟histoire plus générale des techniques.

A quoi servent ces techniques ? La rationalité économique est un élément fondamental de notre réalité économique et elle est liée à la division du travail. Les outils de gestion permettent de diviser le travail en assurant l‟intégration des différentes activités et la cohésion de l‟organisation. Ce sont des artefacts conçus pour simplifier le travail et apporter des réponses. Ils normalisent les comportements et ont un effet plus ou moins structurant dans l‟organisation selon le degré de formalisation qu‟ils apportent.

Par conséquent, dans une approche rationnelle, le statut de l‟outil de gestion est celui d‟être un outil de travail contribuant à la régulation technique de l‟organisation.

Dans une approche instrumentale et une perspective rationnelle, les outils de gestion sont les outils de travail du gestionnaire qui facilitent le travail intellectuel. Il ne peut pas y avoir de gestion sans instrumentation (Riveline, 1992). La rationalité de l‟outil lui confère une certaine objectivité. Il en résulte l‟idée qu‟il existe de « bons » outils, universels, génériques, transférables dans toutes les organisations pour résoudre les problèmes de gestion.

De la même façon qu‟un problème peut être décomposé en différents éléments pouvant être traités séparément, l‟activité gestionnaire est ainsi découpée en différentes

spécialités de gestion, chacune possédant sa propre instrumentation. Cette multiplication des expertises justifie l‟organisation des études en gestion spécialisées en finance, en comptabilité, en marketing, en ressources humaines etc. Sous l‟impulsion très forte des professionnels, une instrumentation spécifique, la gestion de projet, s‟est développée pour faire face aux problématiques d‟une activité au cœur de l‟organisation, le projet.

Section 2 L’instrumentation spécifique du

Documents relatifs