(Balle, 1995, p. 124). Plus de 90% des enseignants considèrent également que
l’audiovisuel contribue « à dynamiser leurs cours », contre 5% qui trouvent que
« cela disperse l’attention des élèves » et 16% qui jugent le support audiovisuel « trop
superficiel par rapport au média écrit ». Lors du colloque Audiovisuel et formation des
enseignants, organisé par l’INRP en novembre 1992, il est souligné que cette
évolution ne doit pas masquer une développement inégal des usages : « même si les
enseignants sont en 1992 dans un état d’esprit beaucoup plus favorable à l’égard de
la télévision, l’écart se creuse dans le monde enseignant entre les utilisateurs
convaincus (10% ?) et détenteurs de solides compétences – y compris dans les
domaines de la production et de la réalisation – et les autres qui se répartissent par
rapport à l’objectif d’utilisation courante de la télévision en trois catégories : les
indifférents (les plus nombreux, 40%), ceux qui sont déjà sensibilisés sans être des
utilisateurs avertis (20%), les autres (30%), qui sont plutôt des opposants actifs à
l’entrée de la télévision à l’école » (Baron, et. al., 1994, vol. 1). En terme
d’équipement en tout cas, la télévision a réellement pénétré les établissements
scolaires.
Figure 21 - Matériels audiovisuels, vidéo, télématiques et de reproduction (public+privé) en 1994 (Balle, 1995, p. 120)
Entre 1987 et 1994 (cf. Figure 21), le parc des téléviseurs à été multiplié par 3,6, et
particulièrement dans les lycées généraux et technologiques où l’évolution est de 9,6,
de sorte qu’au niveau du secondaire il y a un récepteur pour 94 élèves, contre 344 en
1987
250. Le développement de ce type d’enquête, comme celles menées par La
Cinquième
251, montre la volonté des acteurs de la télévision éducative de cerner les
pratiques des enseignants. L’expérience de la RTS et des critiques portées sur le
manque de corrélation avec les pratiques enseignantes semble avoir été intégrées. Par
ailleurs, l’évaluation des « audiences » devient un marqueur de plus en plus fort de la
télévision commerciale. L’audimat, notion qui émerge dans un long processus
d’uniformisation
252entre acteurs de l’audiovisuel, est passé du statut d’outil de
gestion interne des sociétés à celui d’opérateur de marché (Méadel, 2004). Or, selon
Eric Macé, « le rapport entre « l’audience » telle qu’elle est construite par le système
médiatique, et les pratiques « réelles » de la télévision est aussi lâche que le rapport
entre le cours en bourse des titres d’une entreprise et la « réalité » matérielle,
organisationnelle et humaine de cette entreprise »
253. La Cinquième de con côté va
développer des outils plus qualitatifs que quantitatifs pour mesurer « l’appréciation
des programmes », notamment par les enseignants : baromètres hebdomadaires
d’impact, panel d’évaluation qualitative, enquêtes auprès de public cible, etc. (Cohen
& Meyer, 2000, p. 36). Notons que cette volonté se concrétise à travers la commande
aux instituts de sondages privés plutôt qu’au service de recherche interne de France
Télévisions, supprimé depuis. Elle collabore par exemple avec Ipsos Medias pour
établir un indice de satisfaction, ou « satimat » : en octobre 1997, l’indice atteint sa
meilleure note avec 8,24/10. Parmi les résultats de ces enquêtes on peut noter que La
Cinquième serait particulièrement regardée dans les écoles, les hôpitaux et les prisons,
« autant de milieux hors d’atteinte des sondages et enquêtes d’opinion » (Cohen &
Meyer, 2000, p. 37). Malgré tout, on peut tout de même relever quelques éléments
quantitatifs sur La Cinquième. L’audience moyenne de la chaîne est de 4,5% de parts
de marché, et entre 14 et 17 millions de téléspectateurs regardent au moins une
émission de la chaîne chaque semaine. Selon Médiamétrie, le public serait équilibré
en matière d’âge, de sexe et de profession, les enseignants étant particulièrement
fidèle. L’enquête de la SOFRES, réalisée du 4 au 13 mai 1995
254, nous donne
justement quelques éléments sur ce public enseignant (CRDP, 1995).
Comme nous l’avons relevé, l’enquête montre qu’une large majorité d’enseignants
(81%) plébiscite la création de la chaîne. Sur les trois-quarts des enseignants déclarant
avoir déjà regardé La Cinquième, 36% la regardent de une à deux fois par semaine à
250
Cf. ANNEXE III : tableau de l’offre de matériel par élève en 1994.
251I.e. enquête de La Cinquième, menée par la SOFRES du 4 au 13 mai 1995
252 Cf. Chaniac Régine (2003), « Télévision!: l’adoption laborieuse d’une référence unique », Hermès,
n°3, vol. 37, pp. 81–93.
253Eric Macé (2003), « Le conformisme provisoire de la programmation », Hermès, n°37, pp. 127-135.
254 Conduite auprès d’un échantillon national de 542 personnes représentatif des personnels enseignants du primaire et du secondaire de MEN, membres du panel enseignant de la SOFRES.
tous les jours. Plus du quart des enseignants déclarent l’avoir utilisé en classe : 10%
au moins deux fois par mois, 16% plus rarement. Une très large majorité d’entre eux
utilisent des cassettes (25%) plutôt qu’une retransmission en direct (4%). Comme le
montre le tableau ci-dessous (cf. Figure 22), on retrouve les plus forts utilisateurs chez
les personnes âgées de 35 à 40 ans, les enseignants en collège et en élémentaire, et les
enseignants de langues vivantes. La durée d’écoute en classe est variable : plus de
trente minutes pour 13%, entre vingt et trente minutes pour 24%, entre dix et vingt
minutes pour 48%, et moins de dix minutes pour 12%. Peu d’enseignants (3%) jugent
les contenus de mauvaise qualité, et une large majorité estime que les contenus sont
d’assez bonne qualité pour illustrer un cours (92%), lancer un débat (87%), dynamiser
une cours (85%), approfondir un sujet (78%) et favoriser des passerelles entre
disciplines (73%).
Néanmoins, la satisfaction par rapport aux contenus est plus contrastée. En effet, la
durée des émissions est jugée trop courte (pour 39% de l’ensemble et 58% des
agrégés) et les rediffusions trop insuffisantes
255. D’autre part, si l’utilisation de La
Cinquième en classe est moins fréquente chez les enseignants du secondaire, cela se
double d’un regard systématiquement plus critique : 41% seulement considèrent que
la chaîne est adaptée aux besoins pédagogiques. Ils considèrent également que les
255
Cf. ANNEXE III.
programmes ne sont pas adaptés à leur discipline pour 74% d’entre eux. Chez les
enseignants du primaire, c’est le manque d’information qui est le premier facteur de
non utilisation
256. Enfin, il est paradoxal de remarquer que, pour les enseignants, la
chaîne semble d’avantage utile à un usage scolaire plutôt qu’un usage d’éducation
populaire. La chaîne n’est pas perçue comme s’adressant au public «
hors-système »
257. Au delà des contenus de La Cinquième, les enseignants sont nombreux à
utiliser en classes des contenus non éducatifs, au sens où il ne sont pas pensés
initialement pour cet usage. C’est ce que nous avons appelé la « didactisation » des
contenus audiovisuels.
En effet, l’offre de programmes à vocation culturelle n’est pas le seul fait de La
Cinquième, chaînes publiques et privées développent ce type de programmes. On peut
citer, par exemple, Thalassa, La marche du siècle, Envoyé spécial pour les chaînes
publiques, et Capital ou E = M6 pour les chaînes privées. Il est d’ailleurs intéressant
de noter que si, en 1996, La Cinquième et Arte paraissent être les chaînes où l’on
apprend le plus de choses pour les téléspectateurs, l’écart n’est pas très grand avec
TF1 ou France 3.
Figure 103 – Sur quelle chaîne de télévision apprenez-vous le plus de choses ? (Cohen & Meyer, 2000, p. 111).
Contrairement à une offre préconçue pour son usage éducatif, la didactisation sollicite
un certain travail de préparation de la part de l’enseignant. Dans Jeunes
téléspectateurs, futurs citoyens, ce travail est décrit comme une opération complexe
en trois phases (CNDP, 2000, p. 14). Tout d’abord, l’enseignant doit s’assurer que
l’émission est conforme aux différents textes concernant le niveau où il intervient. Il
doit ensuite s’assurer qu’elle s’inscrit dans le cadre des valeurs éthiques du système
256Idem.
257 Idem.