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Le système nous venons de décrire serait porteur d’une dynamique sociale en profonde mutation depuis l’avènement des technologies de modélisation en trois dimensions. Est-ce la technologie de travail qui aurait permis le déploiement et l’articulation de ces entités distribuées? Ou bien l’inverse, l’avènement de ce fonctionnement en réseau aurait-il fait pression en faveur de l’évolution de ces mêmes technologies? Ces questions intéressantes dépassent le cadre de cette recherche. Néanmoins, il est évident pour quiconque prend connaissance des règles de la division du travail chez Genimetal que cette technologie joue un rôle significatif dans sa configuration. Cette troisième section du chapitre est dédiée à la technologie et au circuit de production dans lequel sont impliqués les employés québécois. À partir d’un diagramme de processus de production conçu par le bureau des méthodes d’Atlas et d’un manuel de référence sur le dessin (Nantel et Minh NGoc, 1990), notre objectif est de décrire le circuit de production « type » d’un

Sous-traitants Dessin (Québec, Canada, Australie, etc.) Fournisseurs logiciels de travail (Finlande, E-U) GENIMETAL Fabricant d’acier nord- américain Unité d’affaires Entrepreneur- général Fonction manufacturière Périmètre juridique (ATLAS) Ingénieur- conseil (acier)

mégaprojet, soit d’un projet de dessin de structures d’acier qui peut mobiliser simultanément plusieurs unités de Genimetal et des ateliers de dessin externes. 2.3.1 La maquette numérique

Tel que nous l’avons mentionné au début de ce chapitre, la « matière première » à partir de laquelle débute un projet dans l’atelier sont les plans de structure. Ces plans en deux dimensions sont produits par les firmes de génie-conseil spécialisées en structure d’acier. Ces entreprises situées en amont de la chaîne de production du bâtiment conçoivent les plans qui lui donnent sa représentation finale. Les fabricants d’acier, en l’occurrence Superfab pour le cas d’Atlas, soumissionnent les plans. S’ils obtiennent le contrat, ils prennent automatiquement en charge le dessin des composantes de la structure à des fins de fabrication. Cette charge est alors remise à Genimetal.

À la suite de l’obtention du contrat, les équipes de direction des deux ateliers au Québec évaluent la qualité des plans de structure et les séparent en séquences de production d’après un planning fixé par le gérant de projet du client. Ces séquences de livraison des dessins sont enlignées soit avec celles du montage du bâtiment final, soit selon les complications techniques que pourraient engendrer des composantes plus complexes du bâtiment lors de la phase de fabrication. Ce premier stade d’évaluation du projet sert de cadre fonctionnel à la répartition des tâches entre les groupes de travail internes ou externes.

C’est à partir de ces plans de structure que les gens débutent la production. Le stade suivant — dit de modélisation — s’effectue en deux temps. D’abord, la première étape consiste au montage de la maquette brute. Cette étape, dite d’insertion des membrures — ou « faire le stick » —, consiste à reconstituer dans la plateforme numérique les plans de structure à une échelle réelle et en trois dimensions, selon les spécifications de l’ingénieur-conseil28. À partir des membrures

de la maquette, des données peuvent être extraites sous la forme de listes grâce à des opérations de programmation. Ces listes, destinées au service des achats du

28 En guise de précision, les membrures numériques sont la représentation à échelle réduite d’un

profilé d’acier laminé. Une banque de données permet à l’opérateur d’insérer toutes les formes réelles de profilés produits par les laminoirs, selon les standards nationaux. Des outils dans les logiciels permettent de naviguer à l’échelle humaine à travers les poutres et les colonnes qui composent le squelette du bâtiment.

client, servent à l’approvisionnement en matière première des usines (profilés d’acier). Ensuite, une fois ces membrures insérées, la deuxième étape, dite de connexion, consiste à la modélisation numérique des connexions de joints unissant les membrures par procédures de boulonnage ou de soudage (Figure F). Ces nœuds appliqués dans la maquette par les dessinateurs ont été conçus au préalable sur des croquis par des ingénieurs (épaisseur du matériel à utiliser, nombre de boulons, etc.). Enfin, une fois complétée, la maquette numérique est la somme d’assemblages de membrures connectées et prêtes à être mises en plan pour la fabrication.

Figure F : Photographie numérique d’un joint où se rejoignent des profilés

d’acier (une connexion de type « poutre à colonne »)

(Source : Photographie numérique tirée du logiciel DESK)

À ce stade, plusieurs services sont déjà intervenus dans le processus de production. La programmation du logiciel et l’insertion des membrures sont faites par un groupe de dessinateurs du département Dessin en Estrie. Après un transfert de la maquette numérique « brute » dans le département Structure Atlas, en Roumanie, l’étape de la modélisation des joints peut s’effectuer. Rares sont les mégaprojets où les deux étapes sont effectuées à partir d’un même site. La modélisation des connexions des joints se fait à partir de croquis conçus soit par le service d’ingénierie du client, en l’occurrence Superfab, ou bien soit directement à partir des plans de l’ingénieur-conseil. Le design et le calcul sont conçus et approuvés par ces groupes d’ingénieurs. Ces croquis sont eux aussi redistribués par l’entremise d’Internet vers les sites de production de dessins. L’articulation administrative entre les départements s’effectue par les « coordonnateurs de dessins », à Montréal ou en Estrie, qui eux font circuler les requêtes d’information et les croquis des ingénieurs entre les différents sites de production, qu’ils soient

Connexions par boulons Membrures horizontales (Poutres) Membrure verticale (Colonne)

internes ou externes. L’équipe de préposées au sein du département Coordination procède à l’archivage des croquis ainsi qu’à la mise à jour de la liste d’approvisionnement en matière première pour les usines.

2.3.2 La mise en page

La production des dessins en deux dimensions réfère au stade de mise en

page, soit « faire le 2D ». À partir des assemblages connectés de la maquette

numérique, une opération de programmation permet de créer les dessins d’atelier et les plans de montage29. De son poste de travail et dans la plateforme numérique, le

dessinateur ouvre, modifie et imprime les dessins qui lui sont assignés. Les dessins subissent des opérations de balayage, car les premières images créées à même la maquette ressemblent davantage à une première ébauche qu’à un dessin final. À partir de ce brouillon, et selon les conventions du dessin industriel, le dessinateur insère sur l’image les cotes de dimensionnement pour l’assembleur, les symboles pour le soudeur, bref, toutes les informations nécessaires à la fabrication de l’assemblage. Cette opération de « nettoyage » est effectuée par les équipes de travail des ateliers roumains ou indiens. Celui qui procède au balayage de l’image peut être différent de celui qui a connecté les membrures, la première opération mobilisant des savoirs propres au travail en usine, tandis que la seconde requiert des connaissances sur les processus de fabrication en usine et en chantier. Les savoirs mobilisés pour opérer les fonctions de l’outil de travail informatique sont aussi différents pour les types de tâches.

Une fois que le balayage est final et que les dessins sont complétés, ils sont imprimés en format électronique et acheminés via Internet par l’intermédiaire du coordonnateur de dessin. Les dessins sont alors examinés par des dessinateurs d’expérience. Ces vérificateurs, peu nombreux voire absents dans les ateliers de production de Roumanie et d’Inde, sont en majorité localisés dans les unités québécoises de Genimetal. La qualité des dessins est systématiquement évaluée afin qu’ils représentent fidèlement les plans de structure de l’ingénieur-conseil et les standards de représentation du dessin30.

29 Voir la note de bas page 20

30 Nous rappelons que la production de dessins de charpentes d’acier (et plus largement de dessin

industriel) repose essentiellement sur deux savoir-faire : interprétation et représentation. Le premier est le fruit d’une compréhension technique des plans de structure émis par l’ingénieur-conseil ; le

Une fois ce contrôle terminé, les dessins annexés de commentaires au crayon rouge sont numérisés et renvoyés aux dessinateurs des unités roumaine ou indienne pour des fins de corrections. Ces modifications vont du balayage partiel du dessin (ex. il manque une cote de dimensionnement) au changement majeur dans la maquette (ex. les membrures d’un plancher ne sont pas insérées à la bonne élévation). Plus on retourne en arrière dans la chaîne de montage, plus le processus de modification est long et laborieux. Enfin, il peut arriver que l’étape de la correction passe par des dessinateurs différents de ceux qui ont initialement fait le balayage ou bien les connexions.

La maquette terminée, les dessins créés, balayés et enfin vérifiés, la suite du processus de production passe par l’approbation des dessins par l’ingénieur- conseil. La version finale des dessins est livrée chez la firme de génie-conseil pour que l’ingénieur les imprime et marque de son estampe l’approbation, l’approbation sous conditions ou bien le refus des dessins d’atelier et des plans de montage. En cas de refus, le dessin remonte la chaîne et des modifications sont apportées afin de satisfaire les demandes du concepteur. Si les dessins sont approuvés sans commentaires, ils sont envoyés directement en usine par les préposées. Donc, à la suite de l’approbation et de corrections, les dessins approuvés sont livrés à l’usine et au chantier31. La Figure G présente le schéma chronologique de ce circuit de

production et le rôle des acteurs québécois de Genimetal :

Figure G : Schéma du circuit de production du mégaprojet

(Source : inspiré d’un schéma construit par le bureau des méthodes d’Atlas)

deuxième est la capacité de schématiser les besoins de l’ensemble des métiers en usine et en chantier qui utiliseront ce dessin à des fins productives.

31 Sont attachés aux dessins expédiés en usine des fichiers de type .MOCN pour la fabrication des

pièces par des machines-outils à commande numérique. Ces fichiers sont créés directement à partir de la maquette numérique via des opérations de programmation intégrées aux fonctions des logiciels de modélisation. Évaluation du projet et Mise en production Modélisation (Étape 1) Mise en page

Vérification Envoi/ Retour

Approbation Envoi Usine/Chantier

Corrections Corrections Coordination de la production (Québec)

Modélisation (Étape 2) Québec