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Grands absents des catégories de personnel, ces « experts » sont des

4.1 Les trois visages de la réorganisation

logiciel 57 Grands absents des catégories de personnel, ces « experts » sont des

dessinateurs de métier qui consacrent leurs activités quotidiennes au développement et au réglage de la technologie de travail. Peu nombreux dans l’entreprise au Québec, détenant un statut périphérique à la production de dessins, ils jouent pourtant un rôle décisif dans le déroulement du mégaprojet. Localisés dans l’unité de l’Estrie, certains sont spécialisés dans le logiciel CAD, d’autres dans le logiciel DESK. Ce sont les deux technologies de modélisation utilisées pour les mégaprojets.

Cette spécialisation du poste de travail est relativement récente pour l’entreprise. Avant la réorganisation, les dessinateurs qui maîtrisaient ces logiciels intervenaient ponctuellement dans le réglage des « machines », mais sans nécessairement laisser de côté leurs activités de travail. L’expert-logiciel s’adonne maintenant à temps plein au développement du logiciel de travail. Son objectif : rationaliser et adapter les méthodes de travail et de gestion aux outils que procurent ces logiciels spécialisés. Le passage de la production en trois dimensions vers la gestion en six dimensions, c’est en partie leur responsabilité58.

Si pendant nos entretiens des noms ont émergé, ce sont certainement ceux de ces experts-logiciels. La maquette numérique contient un univers technique et un langage que peinent souvent à maîtriser les coordonnateurs ou les vérificateurs. Pour accomplir les tâches, ces deux acteurs naviguent de près comme de loin dans la maquette numérique : faire un « back up », un « numbering », une « template », un « custom component » ou en français une « macro », autant d’exemples d’opérations de programmation que les experts-logiciels auront transmises, développées dans le cadre d’une activité de recherche et développement ou bien,

57 Ces experts font partie, comme les vérificateurs, de la catégorie de personnel « dessinateur ». Ne

sachant pas comment se définir, ils se disent « dessinateur-logiciel-spécialiste ». Lorsque les autres acteurs font référence à cet expert, on en parle dans les termes du « contact », de celui qui « règle des affaires », qui s’occupe des « problèmes de machine » et qui « aide » les utilisateurs. Le fonctionnement de la technologie de travail représente un univers méconnu de la majorité des autres experts du pôle d’acteurs québécois.

58 En guise de rappel, les outils de modélisation permettent la production de la maquette (3D) mais

plus souvent, pour le compte spécifique d’un mégaprojet. Ces spécialistes du logiciel agissent effectivement sur trois « tableaux » technologiques : la formation, la recherche et développement et le support aux usagers.

Dans les relations qu’il établit avec les opérateurs d’outre-mer, ce «model manager » gère les pannes par correspondance, soit par courriel ou via un logiciel de clavardage. Régulièrement, il suggère des idées d’applications qui se traduisent par la mise en œuvre d’innovations techniques qui « vont servir à des équipes partout dans le monde »59. La tâche de l’expert-logiciel est de rationaliser le travail

effectué dans les unités d’outre-mer et de s’assurer que le lien entre la technologie et le travail correspond aux objectifs du mégaprojet. Un expert du logiciel DESK nous confirme :

« Le but premier, c’est de sauver du temps et sauver de la recherche au dessinateur, parce que ce métier est devenu un métier de paperasse. Il me semblait que les ordinateurs étaient supposés enlever du papier (rires). C’est épouvantable la recherche qu’un dessinateur doit faire pour travailler sur un projet : RFI60 par-dessus RFI, sketches de connexion, etc. Le but, c’est d’améliorer ça, d’éliminer la recherche le plus possible, d’éliminer les intervenants dans la communication… faciliter que l’information soit disponible en même temps et pas deux jours plus tard pour les salles à dessin en Roumanie et trois jours plus tard pour les salles à dessin externes, parce que c’est comme ça que ça fonctionne pour l’instant. » (Dessinateur-08)

La « lourdeur » administrative du mégaprojet se répercute sur les métiers du dessin. Cette conséquence proviendrait selon les acteurs interviewés à la haute teneur en technicité des mégaprojets61 et de la qualité toujours détériorée de la

matière première62. Des nouvelles fonctions dans le logiciel de production sont alors développées par les experts-logiciels. Elles sont intégrées au logiciel de travail dans le but de réduire le temps et l’effort que les dessinateurs, à l’interne comme à l’externe, accordent aux recherches dans les outils de travail périphériques à la

59 Dessinateur-08

60 Le « RFI » est bien connu des intéressés. Il est une question posée par l’atelier de dessin afin que

l’ingénieur clarifie des éléments nébuleux sur les plans et devis. Ces plans étant toujours incomplets, la réponse de l’ingénieur-conseil à cette question a valeur d’autorité, c’est-à-dire que son croquis ou son courriel impose une révision aux plans originaux, donc nécessairement à la maquette.

61 La haute technicité des mégaprojets demande à ce que le service d’ingénierie de Superfab, des

« ingénieurs de connexions », développent des croquis pour chacun des joints du bâtiment en acier. Cette contrainte légale et technique oblige les acteurs de la production et de la vérification à composer avec des « cartables de sketches de cinq pouces d’épais » (dessinateur-06), de la « paperasse » autrement dit.

62 Cette variable « qualité des plans » est récurrente quand les acteurs interviewés évoquent les

problèmes qui les bloquent dans leur travail. Comme nous a dit à cet égard un vérificateur qui en a vu d’autres, en raison de cette mauvaise qualité, « ça prendrait des petites boules de cristal sur certains projets » (dessinateur-05).

maquette (croquis d’ingénieurs, système informatique de gestion des questions RFI, plans de repérage des croquis, etc.). La rationalisation du travail dans les ateliers de dessin passe donc, en grande partie, par ces experts du logiciel. Le lien entre le métier et la machine, c’est maintenant à eux.