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Des taxes locales au partage des retombées fiscales du développement métropolitain

Une question de fond devrait être débattue : les finances publiques d’agglomérations urbaines sont- elles adaptées par rapport aux défis que ces agglomérations ont à relever? Cette question ne peut malheureusement que rester théorique. La notion de finances publiques d’agglomérations n’est pas opérationnelle. Il serait bien difficile d’établir une comptabilité par agglomération urbaine de tous les revenus de taxation générés pour une agglomération et surtout de toutes les dépenses publiques, tous niveaux de gouvernement confondus, qui sont effectuées dans une agglomération. Certes, il est facile d’agréger les comptes des autorités décentralisées; il est beaucoup plus difficile d’estimer les dépenses des ministères. Devrait-on faire une telle comptabilité? De solides arguments militeraient pour une réponse positive. Une telle comptabilité permettrait d’avoir une vue d’ensemble des activités gouvernementales, de relativiser l’importance des différents organismes publics et, dans une perspective d’imputabilité démocratique, de donner juste crédit aux différents niveaux de gouvernement. Elle permettrait aussi d’estimer approximativement les efforts sur les différents atouts de compétition et éventuellement d'éclairer plus judicieusement les choix. Cependant, l’opportunité politique d’une telle comptabilité serait vite questionnée. Elle mettrait en évidence les excédents et les surplus, et donc des flux de péréquation entre agglomérations et/ou régions. La solidarité interrégionale subirait là un sérieux test de vérité dont les conséquences sont difficilement prévisibles. En l’état actuel, la péréquation est sans doute plus facile à réaliser et à vivre politiquement lorsqu’elle se fait en catimini.

Cette question centrale n’étant pas traitable, il reste deux questions importantes et d’actualité. Les revenus de source locale des municipalités sont-ils suffisants pour assumer adéquatement les compétences municipales? La fiscalité de l’agglomération permet-elle de faire face aux défis spécifiques de l’agglomération?

La réponse collective des municipalités à la première question est claire : « les gouvernements municipaux ne disposent ni des pouvoirs ni des ressources nécessaires pour satisfaire aux besoins et aux attentes locales » 68. Ce diagnostic fréquemment posé n’est pas forcément partagé par d’autres intervenants, notamment les organismes provinciaux 69. Le diagnostic de non-adéquation est appuyé par une série d’arguments, développés avec plus ou moins de force selon les plaidoyers :

─ Avec leur niveau de ressources, la plupart des grandes municipalités ont différé dans le temps les réinvestissements nécessaires à l’entretien majeur des infrastructures et équipements.

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FCM, Rôle futur des gouvernements municipaux, mai 2001, p. 1, Ibid.

69

Par exemple au Québec, la Commission Bédard avait reçu, avec circonspection, les prétentions de la ville de Montréal sur l'écart entre ses revenus et ses obligations, Québec Pacte 2000, Rapport de la commission sur les finances et la fiscalité locales, Gouvernement du Québec, 1999, 425 p.

Les besoins en investissement de rattrapage justifient en bonne partie le programme tripartite d’infrastructures. Il est à noter que dans certains cas l’estimation de ces besoins a fait l’objet d’études plus ou moins poussées 70.

─ Au cours de la dernière décennie, la tendance a été à la dévolution de nouvelles responsabilités au niveau local. L’importance du délestage doit cependant être relativisé. De 1988 à 1998, la taille du secteur municipal en pourcentage du produit intérieur brut provincial s’est accrue selon Kitchen de 4,6 % à 4,9 % seulement 71.

─ Les municipalités doivent surtout compter, dans les revenus de source propre, sur la taxe foncière d’où provenait en 1998 56,7 % de l’ensemble de leurs revenus 72. Or, le potentiel de croissance de l’assiette fiscale foncière peut être moins intéressant dans un type d’économie où le besoin en espace immobilier tend à être moins grand pour certaines activités; la croissance de l’assiette foncière ne suivrait plus étroitement la croissance économique globale.

─ Les comparaisons entre la structure des revenus des municipalités canadiennes et celles des municipalités d’autres pays montrent que les revenus municipaux au Canada sont moins diversifiés et, notamment, que les revenus de transfert, qui ont connu une chute importante, sont à des niveaux inférieurs. Dans la compétition internationale, les municipalités canadiennes s’estiment désavantagées 73, mais le poids de cet argument est affaibli du fait que la répartition des responsabilités et des dépenses n’est pas toujours simultanément prise en compte.

─ L’ampleur du déficit structurel des municipalités (l’écart entre leurs revenus de source locale et le coût de prise en charge de leurs compétences actuelles) continue donc de faire l’objet d’appréciations diverses. Le déficit est sans doute plus plausible et significatif si on prend en considération les nouveaux rôles que les municipalités (du moins les municipalités centrales), peuvent être amenées à jouer, en termes d’activité et d’investissements additionnels, pour rester compétitives. L’étude de Berridge lance à cet égard un cri d’alarme 74.

Effectivement, les réflexions sur l’évolution des rôles soulèvent une question additionnelle qui alimente les discussions sur la diversification et l’augmentation souhaitable des sources de revenus municipaux. Si les agglomérations, par des mesures délibérées et concertées sur les différents atouts de développement, en viennent à faciliter leur développement, ne devraient-elles pas

70

Pour l’ensemble des municipalités du Québec, l’état des infrastructures d’eau a fait l’objet d’une évaluation méthodique. Trépanier, M. et al., « L’État des infrastructures d’eau du Québec », dans Villeneuve, J.-P., A. Rousseau et S. Duchesne, Symposium sur la gestion de l’eau au Québec. Recueil de textes des conférenciers, INRS-Eau, 1998, pp. 445-462. 71 Kitchen ibidem, p. 297. 72 Kitchen, ibidem, p. 307. 73

FCM, Early Warning, Will Canadian Cities Compete?, préparé pour la NRTEE, May 2001.

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bénéficier d’une partie des retombées fiscales de ce développement, retombées qui vont surtout dans les coffres des gouvernements supérieurs (taxe de vente, impôt selon les revenus)? Les efforts et les investissements consentis ne devraient-ils pas être récompensés plus largement que par la simple augmentation de la richesse foncière. La marge de manoeuvre financière locale en serait accrue.

Cependant, une telle question ne peut être posée qu’au niveau de l’agglomération. Or, la fiscalité de l’agglomération est encore balbutiante. Certaines mesures ont commencé à être mises en place — notamment la taxation additionnelle sur l’essence ou l’immatriculation pour aider au financement du transport en commun à Montréal et Vancouver — dans le cadre de la nouvelle communauté métropolitaine de Montréal : démarrage d’un partage de la croissance de la richesse foncière et d’une contribution à certains équipements régionaux et au déficit d’exploitation du logement public. Les anciennes communautés urbaines de Montréal et Toronto (à un échelon sous-métropolitain) avaient déjà opéré une certaine forme de péréquation; les contributions étaient fonction de la richesse foncière des municipalités et non des services reçus. La création des deux plus grandes villes est sans doute susceptible d’accentuer cette péréquation. S’il est vrai qu’en bonne théorie de finances publiques, les municipalités ne doivent pas être opérantes dans la redistribution des revenus, il est tout aussi vrai qu’en pratique, et quels que soient les débats sur l’incidence réelle de la taxe foncière, les municipalités font contribuer les citoyens aux charges communes d’abord en fonction de leur richesse foncière (il y a certes beaucoup de cas de figure dans la relation richesse foncière – revenu). Elles se montrent aussi prudentes dans la tarification systématique de certaines activités aux usagers (au Québec plus qu’ailleurs) 75. Ces pratiques sont sans doute des entorses à la théorie économique, mais elles devraient aussi être analysées en matière de contribution à la cohésion sociale locale. Certaines analyses sur la fiscalité locale mériteraient d’être réexaminées à ce point de vue.