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Face à ces tendances en interaction qui modèlent les agglomérations, quelle approche prendre pour gouverner ces dernières, orienter, arbitrer et essayer d’atteindre des objectifs collectivement désirables? Deux notions, actuellement en vogue, apportent des pistes de réflexion : le holisme et la gouvernance. L’approche holistique préconise une prise en compte de tous les éléments interdépendants dans un système urbain. Elle vient en tête de liste des principes pour mieux gouverner les métropoles, mis de l’avant par l’OCDE 44, notamment dans les interdépendances spatiales entre les sous-régions d’une même agglomération. Cette approche n’est pas en soi originale. Depuis longtemps, les analyses, notamment économiques, du phénomène urbain ont mis en évidence ses facteurs constitutifs : les effets d’agglomération, les effets externes de toutes sortes déclenchés par les multiples interactions que favorise la proximité. En faire un principe d’action publique est sinon plus original, du moins plus innovateur ou plus risqué, si on tient compte des multiples fragmentations sectorielles et spatiales existantes au sein d’une agglomération, et surtout des logiques sectorielles qui caractérisent chaque administration ainsi que, d’ailleurs, chaque secteur de la société civile.

La notion de gouvernance, quant à elle, apporte, dans une perspective d’action, une intuition et une vision, qui devraient modifier les approches passées dans l’action publique. L’intuition est que l’efficacité de l’action publique viendrait surtout d’une concertation et d’une complémentarité dans les comportements de chacun des acteurs. La vision met de l’avant une participation généralisée de toutes les parties concernées par une question, directement ou indirectement, à la définition des

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OCDE, Mieux gouverner les métropoles : conclusions et recommandations du groupe directeur sur le gouvernement

orientations et à la mise en commun de leurs efforts au service de ces orientations communes. Les multiples définitions de la gouvernance urbaine élaborent des variantes sur ce thème central 45. La notion de gouvernance soulève bien des suspicions, autant au plan normatif qu’au plan analytique. Au plan normatif, l’articulation des nouveaux mécanismes de gouvernance avec les mécanismes traditionnels de la démocratie élective et de l’action des gouvernements n’est pas toujours évidente. Certes, les préceptes de bonne gouvernance mis de l’avant par les organismes internationaux, par exemple dans les cours de gestion urbaine de la Banque mondiale, s’insèrent dans un fonctionnement de société démocratique et cherchent à le renforcer. Cependant, des problèmes d’arrimage se posent dans la pratique. Les exercices de concertation cherchent à définir, avec la contribution de tous, un intérêt commun en mettant entre parenthèses les différences politiques. Celles-ci réapparaissent de plein droit lorsque, une fois les orientations définies, vient le temps de l’action, c’est-à-dire le choix des priorités, notamment dans un contexte de rareté de ressources 46.

D’un point de vue analytique, la notion de gouvernance est parfois utilisée de manière englobante pour désigner toutes sortes de phénomènes et d’expériences qui ne sont pas toutes innovatrices et dont certaines relèvent plutôt de l’art classique de gouverner, raffiné par les méthodes les plus avancées de sondages (certains processus de consultation) ou de gestion (partage de responsabilités dans certaines initiatives). On voit qu’autant au plan normatif qu’au plan analytique, la notion de gouvernance vacille aisément sur la pierre d’achoppement que constitue la délimitation du contour de l’emprise gouvernementale dans la société.

Cependant, si la notion de gouvernance urbaine est utilisée aussi fréquemment en dépit de ses écueils, c’est qu’elle permet à la fois d’exorciser une peur et de référer à de nouveaux processus émergents d’interaction collective. La peur est celle du vide politique. Si une réalité socio- économique telle qu’une agglomération fonctionne alors même qu’elle n’a pas de gouvernement, le recours à la notion de gouvernance permet de croire que cette réalité est au moins sous « gouverne » et amène à rechercher les mécanismes sociopolitiques plus ou moins lâches, présents dans l’agglomération. Toutefois, la notion de gouvernance est surtout heuristique lorsqu’elle amène à explorer les contours de l’emprise gouvernementale dans les différents secteurs de la société et surtout ce qui se passe en dehors de cette emprise. Certains secteurs de la société en viennent à s’organiser, sans intervention directe de l’un ou l’autre des gouvernements, avec cependant une aide

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Sans multiplier les références, trois citations :

L. Quesnel, « La gouvernance renvoie à une forme de concertation et de collaboration entre certains types de personne (politicien, gens d’affaires, responsable d’association locales, etc.)», p. 136, Les nouveaux rôles des villes dans le contexte de la mondialisation dans Les Villes Mondiales : Y a-t-il une place pour le Canada, PUO, 1999.

K.A. Graham, S.D. Philips, “Urban gouvernance – defined as the collective capacity to set and achieve public policy goals”…, p. 35, in K.A. Graham, S.D. Philips and A. M. Maslove, Urban Governance in Canada: Representation,

Resources and Restructuring, Harcourt Brace & Company Canada Ltd, 1998, 306 p.

R.A.W. Rhodes, “…governance which refers to self-organising, interorganisational networks”, p. xvii in G. Stoker (ed.), The new Management of British Local Governance, MacMillan Press, London, 2001, 200 p.

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Cette façon de concevoir l'arrimage entre concertation stratégique et politique est explicite, par exemple dans la démarche à plusieurs égards exemplaire de Millénaire III, Lyon, http://www.millenaire3.com

occasionnelle financière ou une reconnaissance de fait de certains leaders comme étant représentatifs de leur secteur (par exemple, certains regroupements dans les secteurs de haute technologie s’organisent sous ce mode plus autonome) 47.

Par des échanges directs, certains secteurs de la société civile en viennent à s'influencer dans leur contribution mutuelle, sans l’intervention gouvernementale (la formation et la recherche- développement fournissent de nombreux exemples dans les relations universités et entreprises). Les gouvernements sont peut-être moins des carrefours obligés dans les transactions entre secteurs de la société, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont globalement moins sollicités. La valeur analytique ajoutée de la gouvernance réside sans doute dans cette attention accrue aux capacités d’autoorganisation et d’orientation de la société, en dehors d’un mode de marché ou d’un mode étatique d’imposition de règles. Pour que cette attention soit ciblée correctement sur des nouvelles formes de transactions intersectorielles, encore faut-il que les transformations dans l’action publique au niveau local soient pleinement saisies, afin de ne pas confondre les secondes avec les premières. La gouvernance ne saurait simplement référer à la complexité des interrelations entre organismes publics ou parapublics.

Par action publique urbaine, on entend ici l’ensemble des activités menées dans une agglomération par l’un ou l’autre des gouvernements et les organismes qu’ils contrôlent (les municipalités sont considérées ici comme l’un de ces niveaux de gouvernement). Certes, toutes ces activités ne sont pas également publiques, si on réserve ce qualificatif aux activités qui connaissent une certaine notoriété dans le public, par de l’information régulière ou par des débats; en fait bon nombre d’activités régulières des administrations gouvernementales passent relativement inaperçues. Elles ne sont pas forcément non plus l’objet de décisions politiques fréquentes (ce n’est pas, par exemple, tous les ans que les modalités d’opération d’une usine d’épuration des eaux font l’objet d’un quelconque débat politique). Le qualificatif public retenu ici réfère au caractère gouvernemental du décideur, du financier ou du contrôleur d’une activité. Cet ensemble d’activités publiques couvre tous les domaines : éducation, sécurité, santé, développement économique, environnement, emploi… Or, l’action publique, même dans toute cette étendue et cette complexité, ne couvre pas tous les phénomènes de gouvernance métropolitaine. Celle-ci réfère plutôt à ce qu’on peut appeler l’action collective métropolitaine, c'est-à-dire l’ensemble des actions et initiatives des intervenants de la société civile et des acteurs publics dans leurs effets sur la situation de l’agglomération. L’action publique métropolitaine, pour être efficace, doit, tout en s’intégrant davantage, s’arrimer plus étroitement à l’action des autres intervenants, comme la présentation des grandes tendances va le montrer. Même si certaines tendances communes à tout le secteur public et parapublic vont être soulignées, les remarques ci-dessous porteront davantage sur les activités municipales.

Une ligne de fond inspire cette rapide fresque des transformations dans l’action publique urbaine. Dans une société démocratique, le secteur public ne saurait garder crédibilité et légitimité que s’il vit, d’une certaine manière, à l’unisson de la société dans laquelle il s’insère. En ce qui concerne le discours, cette préoccupation est largement partagée par les responsables publics. Elle s’exprime

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globalement sur la composition du secteur public, sur son mode de fonctionnement, sur sa philosophie générale de gestion. En matière de composition, et malgré les politiques très explicites sur ce plan, la non représentativité de la fonction publique par rapport à la population urbaine des grandes agglomérations continue d’être soulignée, qu’il s’agisse de la faible présence de membres des communautés culturelles et des minorités visibles dans la fonction publique locale ou encore de femmes dans des postes de direction. Du point de vue du mode de fonctionnement, certaines tendances des organisations privées se manifestent sans difficulté dans des organismes publics (utilisation du potentiel des nouvelles technologies de l’information); par contre, d’autres tendances dans l’emploi restent contestées dans un milieu public fortement syndicalisé (recours à des contractuels, travail atypique). Sur le plan de la philosophie de gestion, les vagues des modes de pensée en gestion privée se manifestent aussi dans les organismes publics, avec parfois des dérives où les spécificités du service public sont oubliées ou niées.

Par rapport aux tendances de la société civile, l’action publique urbaine se trouve sous tension, arbitrée politiquement, entre l’encouragement donné à certaines tendances et le freinage ou la prise en charge des effets négatifs d’autres tendances. Le secteur public en vient à être un lieu d’expérimentation tout en espérant garder une capacité d’impulsion et d’orientation. Cette tension se retrouve dans toutes les grandes transformations que nous allons esquisser : dans les objets, dans les rôles, dans les approches, dans le financement et dans l’échelle d’action.