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Par delà l’adaptation de l’offre, l’action sur les comportements

Dans les approches des organismes publics, deux tendances se manifestent. Du côté de l’offre, diversification, plus dans les modalités de production que dans l’éventail des services même; du côté de la demande, tentative d’orientation plus forte en influençant les comportements des citoyens. La production des services publics en régie voit son poids sensiblement diminué avec la multiplication des formules de partenariat de toutes sortes, selon des fréquences bien différentes selon les services et plus spécifiquement selon les diverses activités nécessaires à la production d’un service. Par exemple, plus de 70 % des municipalités ont recours à l’impartition pour des activités liées aux déchets, mais seulement 18 % le font pour l’approvisionnement en eau 54. Le recours aux organismes sans but lucratif et communautaires prédomine dans l’impartition des services de loisirs et culturels; par contre l’entreprise privée fournit les services relatifs au génie et les services conseils. Dans les multiples formes de partenariat au Canada, la formule la plus fréquente est celle où l’organisme public renonce le moins à son contrôle, c’est-à-dire la sous-traitance. Des formules où la contribution du privé est plus importante et plus risquée existent, mais paraissent moins importantes que, par exemple, dans beaucoup de municipalités européennes, sans doute en partie à cause d’un encadrement législatif plus contraignant pour les municipalités.

Le recours au partenariat est essentiellement motivé par une volonté de réduire les coûts. Cet objectif est d’ailleurs habituellement atteint, sous certaines conditions. À cet objectif de réduction des coûts, s'en ajoute un autre de meilleure adaptation du service à des clientèles particulières, surtout dans le cas d’impartition à des organismes sans but lucratif ou communautaire. Par exemple, dans les ensembles de logement public, des organismes se chargent de diverses activités pour les locataires et l’offre de logement évolue en offre de services résidentiels, tout comme dans certains segments du marché résidentiel privé.

Par ailleurs, indépendamment du recours au partenariat, les organismes publics ont pris de très nombreuses initiatives pour mieux adapter les services aux besoins des différentes clientèles : par exemple, prise en compte de certaines coutumes de communautés culturelles en séparant les horaires hommes-femmes pour certaines activités récréatives, réponse rapide au citoyen sur le cheminement de leur dossier à l’intérieur de la bureaucratie, transaction électronique pour l’échange d’information 55… Dans le cadre des initiatives de police communautaire, les services de police essaient aussi d’adapter leurs activités aux particularités des quartiers.

sécurité municipale, participation communautaire. Pour une vue d'ensemble, A. Sharpe, A Survey of Indicators of

Economic and Social Well-being, CPRN. 54

B. Aubert, M. Patry et S. Rivard, « L'impartition des services municipaux au Canada : un bilan », pp. 265-280, dans M. Poitevin (ed.), Impartition. Fondements et Analyses, Sainte-Foy, PUL, 1999, 320 p.

55

Le réseau canadien du service axé sur le citoyen a contribué à ce mouvement d'amélioration-adaptation de la qualité, http://www.ccmd-ccg.gc.ca/research/citizen/index_f.html

Cette évolution dans l’offre de service est conforme aux tendances, dans la société, à l’individualisation et à la fragmentation des groupes de clientèles. Cependant, la particularisation ne s’applique pas également dans tous les services. La distribution d’eau potable se veut la plus uniforme possible en terme de disponibilité et de qualité. Les professionnels de la circulation ne sont pas forcément spontanément enclins à aller au-delà de leurs normes habituelles, même lorsque les résidants d’un quartier seraient prêts à être plus sévères. Le temps de réaction des véhicules de pompier ne peut bien évidemment pas être uniforme compte tenu des distances, mais il tend à être en deçà d’un certain seuil de temps défini comme standard de service minimal. Par contre, les activités de prévention des pompiers peuvent elles aussi être adaptées aux caractéristiques de la population de chaque quartier et mettre à profit les associations communautaires. Une des adaptations les plus difficiles dans les services et les programmes réside dans l’ajustement des paramètres à la variété des situations de transition (souvent réversible comme on l’a noté dans la première section). Par exemple, comment ajuster le loyer familial dans un HLM si un membre de la famille effectue un retour au travail sans garantie d’y rester? Les organismes publics qui ont été dans le passé habitués à travailler avec de grandes catégories de clientèles à caractéristiques stables et tranchées font face à plus de complexité.

Parallèlement à ces adaptations dans l’offre de service, dans ses caractéristiques et ses modalités d’organisation, les organismes publics tentent d’orienter l’expression de la demande. Cette action sur la demande peut avoir des motifs économiques (décongestionner, reporter des investissements); mais elle est surtout – et sans doute en premier – motivée par la reconnaissance du fait que les personnes apportent, par leurs comportements, une contribution majeure à la production des biens collectifs. Les exemples abondent dans de nombreuses sphères. Dans le domaine des déchets, la pratique du recyclage s’est diffusée à un rythme, somme toute, impressionnant; elle a certes nécessité des adaptations dans les équipements et modalités de collecte, mais aussi et surtout de nombreuses campagnes d’information, de sensibilisation et d’intéressement. Dans le domaine de la santé, les réglementations municipales anti-tabac ont introduit des contraintes majeures pour les fumeurs; à la suite de diverses pressions locales, des municipalités ont aussi adopté des mesures réglementaires sur l’utilisation des pesticides. Dans le domaine des transports, les campagnes de sécurité sensibilisant les automobilistes au bouclage des ceintures ou aux dangers de l’alcool au volant ont aussi été menées avec intensité, plus au niveau provincial. Des initiatives ont aussi été prises pour encourager les automobilistes au covoiturage, avec plus ou moins de succès, même s’il est démontré que l’adoption du covoiturage par quelques pour cent d’automobilistes atténuerait substantiellement la congestion aux heures de pointe du matin; dans la même veine, certaines grandes organisations sont incitées à étendre leurs heures de travail et à faciliter le transport en groupe de leurs employés.

L’action sur la demande est donc une composante de plus en plus significative de l’action publique dans différents secteurs. Certes, en dehors des périodes d’imposition de nouvelles restrictions au comportement, elle est portée à être moins d’actualité que les services offerts, ce qui est normal compte tenu de son caractère politique plus délicat. Regardée au niveau municipal proprement dit, cette action sur les comportements des citoyens (individus et corporations) n’est certainement pas nouvelle. Si les municipalités ont eu tendance à être présentées essentiellement comme des entreprises de services, elles ont toujours aussi été, et sont encore des entreprises de contrôle

social; une de leurs fonctions premières n’est-elle pas de veiller au maintien de la paix et au bon ordre public, d’assurer la cohabitation harmonieuse des citoyens sur un même territoire? Le comportement des citoyens, une fois qu’ils sortent de leur espace résidentiel privé (lui-même d’ailleurs assujetti à un certain nombre de règles) est soumis à de multiples encadrements 56 : cheminement ambulatoire, limitation du flânage, conduite civique à l’égard des autres… sans parler de la tendance à la multiplication des caméras de surveillance (tendance sans doute moins prononcée dans les villes canadiennes que, par exemple, dans les villes anglaises).

Cette notion de contrôle social — il est vrai, politiquement peu alléchante — est essentielle à la compréhension de l’action municipale. Elle est habituellement vue sous son côté négatif, répressif, d’application de certaines réglementations. L’application de ces réglementations varie d’ailleurs énormément en ce qui concerne la rigueur : de municipalité à tolérance zéro sur certains phénomènes à une tolérance tacite plus ou moins grande. Cependant, par delà l’aspect répressif, le contrôle social se manifeste aussi sous différentes formes plus positives : la médiation plus ou moins informelle dans le règlement de différends entre citoyens (par exemple, chicanes entre voisin), la socialisation à certaines conduites acceptables, la mobilisation des efforts communautaires (par exemple, sécurisation des trajets piétonniers des écoliers avec des enseignes parent-secours…). Cette action sur les comportements passe par divers moyens d’intervention : non seulement édiction de règlements, mais surtout intensité de leur mise en application, mise en œuvre de différentes mesures incitatives ou cœrcitives (reconnaissance sociale des conduites exemplaires…), campagne de mobilisation locale. Globalement, dans les analyses universitaires et même dans les études professionnelles visant à améliorer la performance et la gestion (benchmarking, calcul de coût unitaire..), ces interventions ont été moins étudiées que les composantes de l’offre de service proprement dite (équipements, activités, biens, financement), à l’exception notoire des efforts de contrôle de certains phénomènes de « déviance », tels les graffitis ou la prostitution sur rue. Il est à noter que certaines études démontrent que la mise au point de solutions satisfaisantes passe par la participation des personnes visées, ce qui rappelle toute la subtilité du contrôle social au niveau local qui est, et doit rester, démocratique. Parmi ces interventions, le marketing social 57 est appelé à jouer un rôle significatif; partant entre autres de l’observation que le meilleur incitatif est souvent l’exemple observé, le marketing social amène les organismes publics à utiliser de multiples relais associatifs et communautaires qui se chargent de diffuser, démontrer et renforcer les messages officiels (pratique répandue, par exemple, dans la police communautaire, dans la gestion des déchets). Indépendamment de ces initiatives publiques, des associations ou groupes peuvent aussi, sur une base autonome, diffuser le même genre de message.

56

Cet impact des décisions municipales sur la vie personnelle est bien souligné par Ligthbody: « ...the policy that emanates from city hall cidifies important social values, regulatespersonal privacy », p. 5 in J. Lightbody (ed.),

Canadian Metropolies : Governing Own Cities, Toronto, 1995, 321 p. Toutefois, cet aspect n’a pas encore fait l’objet

de beaucoup d’analyses.

57

Mckenzie-Mohr, D., Promoting a Sustainable Future: An Introduction to Community-Based Social Marketing, NRTEE.

Ce type d’intervention est important dans la constitution des atouts collectifs. Nous avons vu que ceux-ci résultaient des effets de multiples contributions : des services publics, d’entreprises privées, d’organismes sans but lucratif et d’associations communautaires, sans oublier l’apport essentiel des conduites des citoyens eux-mêmes. Les municipalités ont une longue pratique de la gestion quotidienne du « cohabiter » et du « vivre ensemble ». Dans le contexte actuel de pression concurrentielle externe, ce savoir-faire collectif dans l’harmonisation quotidienne est aussi appelé à s’appliquer davantage à des projets de développement collectif. Ce qui entraîne une évolution des rôles.